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Culture

Washington reconnaît son passé indien

C’est en plein cœur de Washington D.C que le musée des Indiens d’Amérique devrait ouvrir ses portes en septembre prochain, «une métaphore politique de la renaissance culturelle amérindienne», selon Richard West, directeur du nouveau musée.
Au pied du Capitole où siège le Congrès américain, c’est sur le mall que le futur musée ouvrira ses portes, dirigé par Richard West, Indien chéyenne d’origine. Le mall est une immense esplanade autour de laquelle sont disposés tous les musées gratuits de la ville, et qui s’étend du Capitole à l’obélisque dédié au père fondateur de la nation. Le projet architectural est aujourd’hui entre les mains de la communauté amérindienne et le choix symbolique de l’emplacement signe une reconnaissance du passé indien de l’Amérique. Cette reconnaissance constitue une certaine victoire des Indiens qui, depuis la fin des années 80, se sont mobilisés pour faire évoluer la législation concernant les musées. En effet, ce sont les communautés indiennes elles-mêmes et des juristes Indiens chevronnés issus des Universités américaines les plus prestigieuses (Richard West est diplômé de Harvard et de Stanford) qui ont fait apparaître de nouvelles notions dans le droit américain: celle de «valeur culturelle» mais aussi «de respect vis à vis du sacré» et de «limitation du pouvoir des musées».

Pendant près de 400 ans les Indiens d’Amérique ont été massacrés, spoliés, humiliés, réprimés brutalement par l’armée, puis enfermés dans des réserves leur faisant perdre leurs repères identitaires. Leurs quelques descendants ont obtenu le 23 novembre 1990 le vote d’une loi, la Loi pour la protection et la restitution des sépultures d’Amérindiens, «exigeant des organismes et des musées financés par le gouvernement fédéral qu’ils fassent l’inventaire des restes humains et des objets funéraires, qu’ils le communiquent à leurs communautés d’origine et les restituent si elles en font la demande» comme le rappelle Joëlle Rostkowsky, ethno- historienne, enseignante à l’Ecole des hautes études sociales (EHESS). Les rescapés donnent là un exemple d’admirable résistance aux coups de la machine à standardiser: «ce musée représente la reconnaissance attendue depuis bien longtemps, et l’affirmation justifiée des vastes contributions culturelles des communautés indiennes à ce que nous appelons la civilisation», affirme Richard West, Cheyenne du Sud, car il s’agit bien de défendre à la fois un mode de vie qui fut celui de leurs ancêtres et un système de valeurs. Le musée doit cristalliser une identité selon laquelle dans la tradition indienne art et culture sont intégrés à la vie quotidienne. «L’entreprise vise à rétablir le lien qui existe entre la communauté d’origine et l’objet, et replacer les objets rituels dans leur contexte». C’est pourquoi, insiste Joëlle Rostkowsky, «le Musée national des Amérindiens sera interactif, et sera un nouveau lieu d’accueil pour les expressions nouvelles de sociétés bien vivantes, dont la culture matérielle a été longtemps confinée, par le passé, dans les ailes désaffectées des Musées d’histoire naturelle».

Evolution de l'opinion publique américaine

Joëlle Rostkowsky, qui est également consultante auprès de l’Unesco, souscrit à l’appréciation de Richard West, et confirme qu’il s’agit bien là d’une «révolution silencieuse»: «que l’on ne s’y trompe pas, dit-elle, il ne s’agit pas d’un geste généreux du gouvernement, mais bien d’une ré-appropriation par les Indiens de leur propre passé, grâce à un lobbying de militants autochtones, constitué de juristes qui maîtrisent fort bien le droit et qui défendent les droits de leurs communautés depuis 30 à 40 ans, d’architectes, de spécialistes de musées, d’écrivains (…) cette révolution s’est aussi faite grâce à l’évolution des mentalités au sein de l’opinion publique américaine».

C’est également une révolution dans le monde très hiérarchisé des grands musées américains et au sein de la communauté scientifique; «désormais les savants auront moins de droits et plus de devoirs envers les Indiens, ils devront respecter des limites. Pour les anciens dirigeants des musées, cela va être moins scientifique et trop politiquement correct» rappelle Joëlle Rostkowsky, et la polémique est engagée de savoir s’il vaut mieux restituer les pièces plutôt que de s’appliquer à bien les conserver, car beaucoup s’empoussièrent quelquefois sur les étagères et peuvent se détériorer. Il existe à Maryland un laboratoire chargé de l’étude et de l’entretien hautement technicisé de pièces d’une rareté inestimable.

Le fonds, enfin, promet d’être prestigieux puisque la collection permanente sera forte de huit cent mille objets et de cent vingt-cinq mille photos de la Terre de Feu au Cercle Arctique, s’articulant principalement autour de la collection faramineuse du New Yorkais George Heye, héritier d’un magnat du pétrole accumulée sur une cinquantaine d’années. «Passionné des cultures indiennes, ses achats étaient tellement volumineux qu’il louait des wagons entiers lors de ses voyages dans l’Ouest» rappelle Richard West. «Parmi les trésors accumulés: des sculptures en bois, des pierres taillées des tribus du Nord-Ouest, des couvertures tissées par les Navajos, des peaux de bêtes peintes par les Indiens des plaines du Nord, sans oublier le chapeau de Géronimo et le tambour de Sitting Bull».

L’ouverture du musée est donc prévue le 21 septembre avec une présence symbolique forte de plusieurs milliers d’Amérindiens en procession et vêtus de costumes traditionnels. Ce sera le point de départ d’un festival qui durera une semaine sur l’esplanade. Le musée aura une façade arrondie en pierre calcaire blanche du Minnesota censée évoquer sur 16 000 mètres carrés, les montagnes érodées de l’Ouest américain, balayées par l’eau et le vent. Les jardins alentour traversés par un ruisseau seront censés représenter l’environnement naturel avant l’arrivée de l’homme blanc sur le continent. Enfin, l’entrée du musée sera située à l’Est selon la tradition indienne, «pour saluer le soleil du matin».



par Dominique  Raizon

Article publié le 26/01/2004