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Taiwan

Le président blessé par balle à la veille du vote

Le président Chen Shui Bian a été blessé d’un coup de feu alors qu’il terminait sa campagne électorale à la veille de la présidentielle et du référendum. Le chef de l’État a été hospitalisé mais il n’a pas perdu conscience. L’attentat intervient alors que ce samedi, la population de l’île doit élire un président de la République et se prononcer sur un référendum qui irrite Pékin.
De notre envoyée spéciale à Taipeh

C’est une première : les 16 millions d’électeurs taiwanais vont se prononcer ce samedi par référendum sur la nécessité d’accroître le potentiel défensif de l’île face à la Chine continentale, en même temps qu’ils procèderont à l’élection d’un nouveau président pour un mandat de quatre ans. Tout au long de la campagne, le débat a porté sur l’opportunité de ce référendum, et sur la meilleure façon d’envisager les relations de Taiwan avec la République Populaire de Chine.

À en juger par les gigantesques rassemblements politiques des deux partis en lice –DPP et KMT– et le débat passionné qui les anime, la «petite» Chine souhaite donner l’image d’une «grande» démocratie. Près de deux millions de militants se donnant la main du nord au sud de l’île, le 28 février pour défendre la paix et le projet de référendum du président sortant Chen Shui Bian, presque autant de partisans de l’autre côté le week-end suivant pour défendre l’approche de son adversaire –Lien Chan, plus conciliant vis à vis de Pékin– jusqu’au dernier jour de campagne, la bataille fait rage, et ne permet pas de désigner un favori.

Mais jusqu’à la dernière minute, l’opportunité de tenir un référendum en même temps que la présidentielle a suscité d’importantes réserves. «Si le législateur avait prévu un tel scénario –la tenue d’un référendum défensif contre la Chine en même temps que des présidentielles– il n’aurait certainement pas approuvé, telle quelle, la loi sur le recours au référendum passée en novembre dernier», estime Benoît Vermander, chercheur à l’Institut Ricci de Taipeh. Il se déclare surpris, et estime que le président sortant est ainsi l’auteur d’un véritable coup de Poker.

La forte contestation –à l’intérieur comme à l’extérieur du pays– qui a suivi la décision de Chen Shui Bian, l’a incité par la suite à modérer le contenu des questions, évitant de demander à l’électeur de se prononcer pour ou contre l’indépendance, ce qui aurait pu provoquer de dangereuses réactions de la part de Pékin.

La première question consiste à savoir si oui ou non, les missiles pointés par Pékin contre Taiwan justifient un renforcement des capacités militaires de Taiwan. La deuxième interroge l’électorat taiwanais sur un éventuel engagement de négociations avec Pékin dans un «cadre de paix et de stabilité». L’opposition estime qu’il n’y avait pas lieu de poser de telles questions, puisque la loi n’autorise le recours au référendum qu’ en situation d’urgence. Le parti au pouvoir réplique que la sauvegarde de la souveraineté de Taiwan est à ce prix.

L’ombre de Pékin

Les critiques les plus virulentes sont venues de Pékin, qui considère toujours Taiwan comme une province renégate, depuis 1949, date à laquelle les troupes nationalistes de Chiang Kai- Sheck sont arrivées sur l’île repoussées par les forces communistes.

Le gouvernement chinois a rappelé, deux jours avant le scrutin, par la voix du porte-parole du ministère des affaires étrangères, que «sous prétexte de démocratie», le référendum ne visait en fait qu’à conforter le principe de l’indépendance de Taiwan, et que cela nuisait à la stabilité dans le détroit de Formose.

En fait, Pékin s’est beaucoup moins fait entendre que lors des deux précédentes élections. Ce n’est que depuis 1996, que les électeurs taiwanais sont appelés à voter pour élire leur président au suffrage universel direct. Ces premières élections libres avaient valu à Taiwan d’être la cible d’une série de tirs d’essai de missiles, par l’Armée Populaire de Chine. Quatre ans plus tard, les menaces verbales reprenaient de plus belle, contre le candidat le plus enclin à défendre l’indépendance de l’Ile : Chen Shui Bian, élu en 2000 par une majorité relative de 40 % des voix. Après cinquante ans de pouvoir sans partage, le KMT devait céder la place au DPP. La Chine de Pékin –malgré elle– venait de provoquer un sursaut identitaire. C’est sur cette même vague de résurgence de la conscience taiwanaise, que Chen Shui Bian a voulu surfer pour être réélu.

Lien Chan a donc multiplié les déclarations à l’attention de Pékin, pour que le gouvernement chinois s’abstienne de toute intrusion dans la campagne taiwanaise. Il semble avoir été entendu. Les exercices militaires conjoints entre la France et la République Populaire de Chine ont été dénoncées par le gouvernement sortant, aussi bien que par l’opposition. Mais Taiwan s’est vu relativement épargné par les menaces de Pékin. En revanche, ce que déplorent à présent les autorités taiwanaises, se sont les manœuvres indirectes de Pékin, qui a tout fait pour inciter la communauté internationale à condamner le recours au référendum comme un geste visant à modifier le statu quo dans la région.

Jusqu’au bout le parti au pouvoir a du rassurer l’électeur sur ses intentions en tenant ce référendum. «Non, nous ne cherchons pas la guerre. Au contraire, le référendum vise à instituer un cadre de paix et de stabilité pour entamer des négociations avec Pékin», déclarait jeudi en substance la ministre en charge des relations avec Pékin, Tsai Ing-wen, à la tête du Conseil des affaires continentales (Mainland Affair Council).

Quel que soit le candidat élu ce samedi, le nouveau président taiwanais sera en butte à de fortes pressions venant du continent, d’autant qu’à l’horizon 2008-2010, le rapport de force militaire dans le détroit de Taiwan, pourrait définitivement tourner à l’avantage de Pékin.

A écouter également:

Sophie Malibeaux en direct de Taïwan, donne des précisions sur l'attaque par balle du président, 50''



par Sophie  Malibeaux

Article publié le 19/03/2004