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Proche-Orient

Condamnations unanimes en dehors d'Israël et des Etats-Unis

Une foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes a spontanément convergé vers la modeste maison de cheikh Ahmed Yassine, liquidé lundi à l’aube au cours d’un raid de l’aviation israélienne. Les mosquées de Gaza avaient annoncé dès cinq heures du matin par haut-parleurs la mort du fondateur et chef spirituel du Mouvement de résistance islamique (Hamas), élevé au rang de «martyr». Les obsèques du leader religieux, âgé de 67 ans, se sont déroulés à Gaza où après la traditionnelle prière des morts célébrée dans une mosquée du centre de la ville, les restes de son corps ont été inhumés dans «le cimetière des martyrs». L’Autorité palestinienne a décrété trois jours de deuil national dans les territoires où commerces et écoles ont été fermés et une grève générale décidée. La liquidation de cheikh Ahmed Yassine a été unanimement condamnée dans le monde arabo-musulman où des manifestations ont spontanément éclaté dans plusieurs régions. Alors que plusieurs pays occidentaux ont également dénoncé un acte «inacceptable», les Etats-Unis se sont contentés quelques heures après la liquidation du chef spirituel du Hamas d’appeler les parties «à la retenue».
Silencieuse dans un premier temps à l’annonce de la mort de l’un des ennemis les plus farouches de l’Etat hébreu, la classe politique israélienne s’est majoritairement rangée aux justifications données par le gouvernement israélien au raid de lundi qui outre la liquidation de cheikh Yassine a coûté la vie à sept autres Palestiniens. «Cheikh Ahmed Yassine méritait la mort pour tous les attentats terroristes commis» par son mouvement, avait déclaré le vice-ministre de la Défense Zeev Boim. «Aucun responsable terroriste ne bénéficie d’une immunité», avait-t-il également précisé, faisant allusion à d’autres éliminations possibles de membres d’organisations radicales palestiniennes. Le porte-parole de l’armée israélienne, Ruth Yaron, a pour sa part justifié le raid de lundi en soulignant que «ce chef meurtrier, affublé du titre religieux de cheikh, qui a revendiqué une très longue liste d’attentats contre des femmes, des enfants et des hommes en Israël continuait de planifier le terrorisme».

La décision de tuer cheikh Yassine n’a toutefois pas été approuvée à l’unanimité du gouvernement israélien où deux ministres du parti laïc Shinoui ont voté contre cet assassinat. L’un d’eux, Abraham Poraz, en charge de l’Intérieur a ainsi estimé que de nombreux Israéliens allaient payer de leur vie cette mort. «J’ai peur que la motivation du Hamas soit accrue», a-t-il déclaré. Selon lui «Yassine va devenir une sorte de martyr, de héros national. Et cela n’empêchera pas le Hamas de poursuivre ses activités». Discrète dans un premier temps, l’opposition travailliste a pour sa part estimé qu’Israël n’avait guère le choix. «Le Hamas, sous la direction de cheikh Yassine, avait ouvertement déclaré une horrible guerre de terrorisme visant chaque citoyen de l’Etat d’Israël», a ainsi expliqué le député Haïm Ramon. L’ancien prix Nobel de la paix, le travailliste Shimon Peres, a toutefois déclaré que l’assassinat du leader du Hamas était à ses yeux «une erreur». «Je ne crois pas qu’en liquidant les dirigeants, nous puissions liquider terrorisme», a-t-il ainsi déclaré. L’une des autres rares voix discordantes avec celles des ministres du Shinoui a été celle de la colombe Yossi Beïlin. Pour cet architecte des accords d’Oslo, qui vient de prendre la tête du nouveau parti Yahad, «l’assassinat de cheikh Yassine risque d’ouvrir un nouveau cycle de violence qui pourrait provoquer de lourdes et inutiles effusions de sang».

Dans les territoires palestiniens, tous les mouvements, qu’ils soient politiques ou armés, se sont violemment élevés contre l’assassinat de cheikh Yassine. Le président Yasser Arafat a ainsi dénoncé «un crime barbare» tandis que l’Autorité palestinienne condamnait dans un communiqué un acte «lâche». Selon elle, cet assassinat «va renforcer l’unité nationale palestinienne face à ce crime et aux complots barbare d’Israël qui ont dépassé toutes les lignes rouges». Le Premier ministre Ahmed Qoreï a pour sa part dénoncé «un acte insensé et très dangereux qui ouvre grand la porte au chaos», tandis que le ministre chargé des négociations réclamait «une protection internationale» pour le peuple palestinien. «Le monde doit comprendre que le cycle de violence, que le chaos et l’effusion de sang ne pourront jamais s’arrêter par les assassinats, la construction des murs et des colonies de peuplement mais par la fin de l’occupation israélienne», a affirmé Saëb Erakat.

Les mouvements radicaux palestiniens ont de leur côté appelé à venger l’assassinat de cheikh Yassine. «La guerre est désormais ouverte avec ces meurtriers, ces criminels et ces terroristes», a ainsi déclaré Abdelaziz Rantissi l’un des principaux responsables du Hamas tandis que la branche armée de cette organisation, les Brigades Ezzedine al-Qassam, appelait à une riposte qui dépassera le cadre des territoires palestiniens et d’Israël. «Celui qui a pris la décision d’assassiner cheikh Ahmed Yassine a en fait décidé de tuer des centaines de sionistes», ont menacé dans un communiqué les Brigades qui ont ouvertement accusé l’administration américaine d’avoir «donné son feu vert» à une telle action. Les Brigades des martyrs d’al-Aqsa, un mouvement lié au Fatah de Yasser Arafat, ont pour leur part promis une réplique «dans les heures qui viennent» à cet assassinat. «La réaction à cet acte lâche sera un tremblement de terre», a affirmé l’un de leurs représentants. Le chef du Jihad islamique, l’une des principales organisations radicales palestiniennes, a de son côté prévenu les dirigeants arabes qu’ils seraient renversés s’ils ne défendaient pas les Palestiniens. «Nous disons clairement à ces dirigeants : si vous ne sortez pas de votre silence et n’appuyez pas le peuple palestinien qui est égorgé par Israël, si vous ne bougez pas, le sort de vos trônes, par la main de vos peuples, se sera pas meilleur que celui de la chaise roulante de cheikh Yassine», a notamment menacé Ramadan Challah.

Dans le monde arabe et musulman, les condamnations ont de fait été virulentes. Le secrétaire général de la Ligue arabe, l’Egyptien Amr Moussa, a ainsi déclaré que cette liquidation était l’expression d’un «terrorisme d’Etat dans sa forme la plus hideuse». Selon lui, «cette opération a dévoilé les intentions agressives d’Israël et a traduit incontestablement son refus d’un éventuel retour au calme». «Par cette odieuse opération, a-t-il également ajouté, l’Etat hébreu cherche à miner tout espoir de créer des conditions permettant d’envisager un règlement politique du conflit au Proche-Orient». En Egypte, où des manifestations violentes ont éclaté sur les campus des universités, le président Hosni Moubarak a condamné une «lâche agression qui a visé un homme paralysé». «Je suspends la participation de l’Egypte aux célébrations organisées par la Knesset» pour marquer l’anniversaire du traité de paix signé le 23 mars 1979 entre les deux pays, a-t-il également annoncé.

En Jordanie, où une majorité de la population est palestinienne, le roi Abdallah II a dénoncé un crime qui «ne conduira qu’à plus d’escalade, de violences et d’instabilité» dans la région. Le président libanais Emile Lahoud, dont le pays accueille les plus importants camps de réfugiés palestiniens, a pour sa part prédit une intensification de la résistance palestinienne. «L’armée israélienne connaîtra dans les territoires le même sort qu’elle a connu au Liban sud», a-t-il souligné. Pour le président syrien Bachar al-Assad, «cet acte constitue une escalade dangereuse de la situation» au Proche-Orient «En assassinant cheikh Yassine, Israël a commis un crime vil qui intervient dans le cadre d'une série d'assassinats et de destructions à l'encontre du peuple palestinien», a-t-il précisé. L’Iran, ennemi juré d'Israël, a également condamné avec force un «acte de terrorisme et de barbarie». Le président Mohammad Khatami a notamment estimé que «ce crime reflétait la bestialité et l'angoisse du régime sioniste face à la glorieuse résistance de la volonté palestinienne».

L’Union européenne a officiellement dénoncé l’assassinat du leader spirituel du Hamas. «Le Conseil condamne l'assassinat extra-judiciaire de cheikh Yassine et sept autre Palestiniens par les forces israéliennes lundi matin», ont ainsi affirmé dans une déclaration commune les chefs de la diplomatie des Quinze. «Non seulement les assassinats extra-judiciaires sont contraires au droit international, mais ils sapent le concept même d'Etat de droit qui est un élément central dans la lutte contre le terrorisme», précise le communiqué. Dès l'annonce lundi de l'opération israélienne, le Haut Représentant de l'UE pour la politique étrangère, Javier Solana, s'était inquiété «d'une très, très mauvaise nouvelle pour le processus de paix».

«C'est inacceptable», s’était pour sa part indigné le secrétaire au Foreign Office Jack Straw. Pour le chef de la diplomatie britannique «ce qui est arrivé est clairement un revers, ce n’est pas la peine de le nier». «Pour qu'Israël bénéficie du plein soutien de la communauté internationale, il doit rester dans les limites fixées par le droit international. Je ne crois pas qu'Israël tirera profit du fait que ce matin, un homme en chaise roulante a été la cible d'un assassinat», a-t-il ajouté. Son homologue français Dominique de Villepin a de son côté estimé qu’«à l'heure où il est si important de se mobiliser pour la relance du processus de paix, de tels actes ne peuvent qu'alimenter la spirale de la violence». «Nous sommes très inquiets des conséquences possibles», s'est par ailleurs inquiété le chef de la diplomatie allemande Joschka Fischer qui a souligné que ces actions n’étaient pas «acceptables» pour son pays.

Aux Etats-Unis, l’administration Bush a lancé dès dimanche soir un pressant «appel au calme et à la retenue» à toutes les parties du conflit israélo-palestinien. Les autorités américaines se sont toutefois gardées de condamner l’assassinat ciblé de cheikh Yassine. Réagissant toutefois aux accusations de certains groupes radicaux palestiniens l’accusant d’avoir donné un feu vert préalable au gouvernement Sharon, Washington a démenti avoir été mis au courant de l’opération israélienne. «Les Etats-Unis n’ont pas été prévenu à l’avance» de ce raid, a ainsi affirmé la conseillère de la Maison Blanche pour la sécurité. Condoleezza Rice a également réitéré l’appel au calme lancé la veille. Interrogée sur le fait de savoir si elle jugeait cette attaque «provocatrice», elle s’est contentée de déclarer que «le Hamas était une organisation terroriste» et que le «cheikh Yassine lui-même avait été impliqué dans le terrorisme».

Ecouter également:

De tels actes ne peuvent qu'«alimenter la spirale de la violence», indique le Ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin sur RFI (journal de 12h00 TU, 22 mars 2004, 0’15’’).

Au micro de RFI, le chef de la diplomatie britannique,
Jack Straw juge cette liquidation «inacceptable et injustifiée» (journal de 12h30 TU, 22 mars 2004, 0’44’’).



par Mounia  Daoudi

Article publié le 22/03/2004