Culture
Lille, capitale européenne de la culture
La décision a été prise par le Conseil de l’Union européenne, sur proposition des gouvernements des Etats membres: depuis le 6 décembre 2003 jusqu’à fin novembre 2004, Lille exerce avec Gênes, en Italie, le prestigieux magistère de «capitale européenne de la culture». Lille est sortie de l’ombre en 2001, officiellement reconnue cette année-là «station de tourisme». Auparavant, lorsqu’on disait Lille, on pensait nord et grisaille. Aujourd’hui, quand on dit Lille, les regards se tournent vers une ville rayonnante qui a su relever un joli défi de séduction touristique et culturelle. Pendant 30 ans, et bien avant de remplir ses fonctions de Premier ministre, Pierre Mauroy en fut le maire ambitieux et dynamique. Il est aujourd’hui président de «Lille, métropole communauté urbaine», une métropole qui regroupe 85 communes. Lille lui doit donc la paternité de sa «métamorphose». Entretien.
RFI: Cité industrielle, pauvre et délabrée, Lille était plutôt pénalisée par une image négative. Aujourd’hui, grâce à une réhabilitation bien conçue, l’ambiance Zola fait partie des images d’archive. Lille a réussi sa reconversion et pris sa place sur la scène européenne, aux côtés des autres grandes métropoles, au point de devenir un lieu de rendez-vous culturel et touristique. Quelles sont les grandes étapes qui ont marqué cette reconversion?
Pierre Mauroy: Je pense, pour commencer que cette métamorphose n’est pas terminée bien sûr, Lille est encore en devenir. Pour autant, en moins de 40 ans -ce qui correspond en gros à mon mandat de maire de cette ville- Lille a beaucoup changé, et cela s’est fait progressivement. Le Nord de l’après-guerre est le symbole du redressement de la France. Avec le charbon, le textile, la sidérurgie, le Nord contribue alors à la richesse de la France, et c’est la première région économique de la France après Paris. Et tandis qu’entre les années 60-80 l’économie de la région perd ses piliers traditionnels, on voit peu à peu apparaître des signes avant coureur de modernité: les industries automobile, sidérurgique, agroalimentaire et textile se modernisent; la grande distribution favorise l’émergence d’activités nouvelles (conditionnement, publicité, art graphique, imprimerie), et l’emploi tertiaire se développe. La création de la communauté urbaine, en 1968, constitue un événement déterminant qui suscite l’innovation marquée par le VAL, c’est-à-dire le métro, et Villeneuve-d’Ascq, la ville nouvelle. Dans le même temps, il y a prise de conscience de la richesse des patrimoines, et de la nécessité de développer une politique culturelle: c’est le début de la rénovation du vieux Lille, et la création de l’Orchestre national de Lille, dans les années 70. A ce moment-là, je suis le président de la première région dans le Nord, et je lance «le vieux Nord s’en va, il ne faut pas l’oublier, mais nous devons aller au devant d’un Nord nouveau que nous devons servir».
RFI: «Le Nord nouveau», c’est donc Lille qui s’est fait une beauté et, qui aujourd’hui attire le touriste…
P M: Oui, cela ne fait aucun doute. Nous étions les derniers dans le domaine du secteur tertiaire. Mais dans les années 90, tout s’accélère: c’est la construction de l’Europe et la réalisation du tunnel sous la Manche, du TGV, et des grands projets métropolitains comme Euralille, ce que j’appelais «la turbine» à l’époque afin de ne pas effaroucher ceux qui n’acceptaient pas le tertiaire! Aujourd’hui, les structures ont été rénovées et Euralille c’est, schématiquement, 7000 emplois, et de grandes innovations: les gares Lille-Flandres et Lille-Europe -lesquelles accueillent 20 millions de voyageurs par an-, et Lille Grand-Palais qui compte un million de visiteurs par an et 300 manifestations. Oui, c’est vrai, Lille est réellement devenue un lieu à haut potentiel touristique. Le secteur du tourisme fait travailler aujourd’hui 16 000 salariés. J’ai donné une visibilité à une ville traditionnelle de province qui accumulait, certes, de beaux restes du XVIIe et du XVIIIe siècle, mais ils avaient besoin d’être restaurés. Et puis, à l’époque, on m’a également appelé le «bulldozer» parce que je détruisais à tour de bras des bâtis vétustes du XIXe siècle, devenus totalement insalubres. Mais j’ai aussitôt assaini l’habitat des Lillois en construisant des HLM pour répondre aux besoins de la population ouvrière pauvre. Lille était noire, couverte de suie, elle ne l’est plus. Quant à la bonne humeur légendaire des nordistes, elle est toujours d’actualité. Lille est une région où la population est très jeune. Le taux de natalité y est élevé, du coup cela imprime une vitalité certaine à la ville, les cafés sont animés, l’ambiance est joyeuse et dynamique, et maintenant Lille est jeune et belle.
RFI: En 1998, Lille postulait pour les Jeux olympiques d’été 2004 et, déception, c’est Athènes qui fut élue. Personne ne peut vous reprocher un manque de motivation et d’investissement personnel, vous vous êtes démené pour appuyer sa candidature. Doit-on considérer qu’en laissant Lille accéder au titre de «capitale européenne de la culture» c’était lui accorder un lot de consolation?
PM: Oh là si je me suis battu!… Le résultat était certes incertain, mais au-delà des Lillois, et des jeunes à Lille, c’étaient 80% des Français qui auraient souhaité la victoire de Lille. Alors, d’une certaine manière, on a incontestablement bénéficié d’un phénomène d’image auprès d’une majorité écrasante de Français. Lille est apparue sympathique, on a beaucoup parlé d’elle et sa cote d’amour a assisté à une montée en puissance. Mais, si Lille est aujourd’hui devenue capitale européenne de la culture, on peut dire que le déterminisme a été rigoureusement organisé. Nous avons méthodiquement réfléchi à ce qu’il fallait faire, et nous nous sommes attaqués aux dossiers avec beaucoup de rigueur. La candidature aux Jeux olympiques a suscité un vaste enthousiasme, la déception a été proportionnelle à l’investissement de chacun dans le projet, mais la flamme et l’esprit sportif sont restés, et on peut dire que tout le monde -le public tout autant que les chefs d’entreprise- était resté sur sa lancée. Les deux dossiers se sont enchaînés: les Lillois ont eu le sentiment de vivre une victorieuse défaite, ils voulaient alors remporter une vraie victoire.
RFI: Quand vous dites «nous», Pierre Mauroy, vous pouvez préciser de qui il s’agit ?
PM: Il s’agit de la métropole et des Lillois car entre temps j’étais devenu président de la communauté urbaine, cela regroupait donc Lille, le fer de lance, mais aussi Roubaix, Tourcoing et un total de 85 villes. Mais, au final, c’est un gros «cocorico» car, c’est vrai, on arrive assez vite à fédérer la population du Nord autour de projets qui défendent la région. L’université aussi a été très présente, les professeurs d’histoire, de géographie, tout le monde a participé à la réflexion. Donc, pour résumer, en tant que maire je bénéficiais d’une confiance renouvelée de mes électeurs, c’est vrai, j’étais aussi président de région, et parlementaire… Cette confiance conjuguée à l'énergie générale, à l’enthousiasme et l’ambition des chefs d’entreprise pour le grand Lille -que moi-même j’ai toujours défendu pour l’ensemble de la région- a fait que, voilà, Lille commence à goûter les fruits d’une ambitieuse politique de rayonnement, et le succès de Lille 2004 dépasse ce que nous pouvions imaginer et espérer. D’ailleurs, le succès le jour de l’inauguration nous a tous secoués! Depuis, les chiffres d’affaire du secteur du tourisme ont explosé de 30%, on compte déjà 300 000 billets vendus pour les expositions, et si nous résumons en quelques chiffres éloquents, ce sont 2200 entreprises qui ont participé à nos projets, 70 tours opérateurs, et 400 journalistes internationaux qui se sont déjà déplacés à nos grands rendez-vous.
RFI: Mais Lille «capitale européenne de la culture» ne doit pas être un lieu du seul rayonnement de la culture française. Le concept veut que la ville nominée soit aussi une vitrine de la culture européenne ?
PM: Bien sûr, bien sûr! D’ailleurs, Lille seule, avec 154 020 habitants, c’était un peu juste! La communauté urbaine est donc devenue très vite, et je dois dire très bien, son prolongement logique, faisant de Lille une grande métropole européenne multipolaire. Je souhaitais ardemment le rayonnement d’une région. J’ai lancé une opération sur le transfrontalier afin que les lignes de sang et de misère puissent s’effacer, et j’ai voulu agrandir l’ère de la métropole. Depuis 10 ans je ferraille pour ce projet, cette année j’ai remporté l’accord franco-belge: j’ai obtenu l’accord franco-belge pour ce transfrontalier. Désormais le Courtraisie (autour de Courtrais) et le Tournaisie (autour de Tournais), c’est-à-dire un territoire flamand et un territoire wallon, vont tous les deux faire partie d’un seul et même ensemble. On est la seule ville, à cheval sur une frontière, à organiser de la sorte un territoire européen. Mon prochain combat portera sur la réorganisation du bassin minier -qui jusque là avait sa propre vie-: je souhaiterais que la population de ce bassin, qui amorce sa reconversion et qui vient déjà travailler dans la région, puisse s’intégrer à la métropole tout en gardant sa singularité. Il faut pour cela réorganiser les transports. A terme, cette grande métropole devrait donc devenir l’aire européenne centrale de notre région. C’est déjà bien engagé: nos échanges avec Londres dépassent nos espérances, les Britanniques sont très nombreux à nous rendre visite, et nos échanges avec les Belges flamands et wallons n’ont jamais été aussi importants. En revanche il nous faut encore réfléchir pour développer l’axe Bruxelles-Lille. Je crois véritablement aux réseaux de ville. J’ai été président de la fédération des villes jumelées mondiales et je suis très heureux de voir les relations progresser. Maintenant, j’aimerais augmenter les fusions… pour élargir encore les échanges.
Pierre Mauroy: Je pense, pour commencer que cette métamorphose n’est pas terminée bien sûr, Lille est encore en devenir. Pour autant, en moins de 40 ans -ce qui correspond en gros à mon mandat de maire de cette ville- Lille a beaucoup changé, et cela s’est fait progressivement. Le Nord de l’après-guerre est le symbole du redressement de la France. Avec le charbon, le textile, la sidérurgie, le Nord contribue alors à la richesse de la France, et c’est la première région économique de la France après Paris. Et tandis qu’entre les années 60-80 l’économie de la région perd ses piliers traditionnels, on voit peu à peu apparaître des signes avant coureur de modernité: les industries automobile, sidérurgique, agroalimentaire et textile se modernisent; la grande distribution favorise l’émergence d’activités nouvelles (conditionnement, publicité, art graphique, imprimerie), et l’emploi tertiaire se développe. La création de la communauté urbaine, en 1968, constitue un événement déterminant qui suscite l’innovation marquée par le VAL, c’est-à-dire le métro, et Villeneuve-d’Ascq, la ville nouvelle. Dans le même temps, il y a prise de conscience de la richesse des patrimoines, et de la nécessité de développer une politique culturelle: c’est le début de la rénovation du vieux Lille, et la création de l’Orchestre national de Lille, dans les années 70. A ce moment-là, je suis le président de la première région dans le Nord, et je lance «le vieux Nord s’en va, il ne faut pas l’oublier, mais nous devons aller au devant d’un Nord nouveau que nous devons servir».
RFI: «Le Nord nouveau», c’est donc Lille qui s’est fait une beauté et, qui aujourd’hui attire le touriste…
P M: Oui, cela ne fait aucun doute. Nous étions les derniers dans le domaine du secteur tertiaire. Mais dans les années 90, tout s’accélère: c’est la construction de l’Europe et la réalisation du tunnel sous la Manche, du TGV, et des grands projets métropolitains comme Euralille, ce que j’appelais «la turbine» à l’époque afin de ne pas effaroucher ceux qui n’acceptaient pas le tertiaire! Aujourd’hui, les structures ont été rénovées et Euralille c’est, schématiquement, 7000 emplois, et de grandes innovations: les gares Lille-Flandres et Lille-Europe -lesquelles accueillent 20 millions de voyageurs par an-, et Lille Grand-Palais qui compte un million de visiteurs par an et 300 manifestations. Oui, c’est vrai, Lille est réellement devenue un lieu à haut potentiel touristique. Le secteur du tourisme fait travailler aujourd’hui 16 000 salariés. J’ai donné une visibilité à une ville traditionnelle de province qui accumulait, certes, de beaux restes du XVIIe et du XVIIIe siècle, mais ils avaient besoin d’être restaurés. Et puis, à l’époque, on m’a également appelé le «bulldozer» parce que je détruisais à tour de bras des bâtis vétustes du XIXe siècle, devenus totalement insalubres. Mais j’ai aussitôt assaini l’habitat des Lillois en construisant des HLM pour répondre aux besoins de la population ouvrière pauvre. Lille était noire, couverte de suie, elle ne l’est plus. Quant à la bonne humeur légendaire des nordistes, elle est toujours d’actualité. Lille est une région où la population est très jeune. Le taux de natalité y est élevé, du coup cela imprime une vitalité certaine à la ville, les cafés sont animés, l’ambiance est joyeuse et dynamique, et maintenant Lille est jeune et belle.
RFI: En 1998, Lille postulait pour les Jeux olympiques d’été 2004 et, déception, c’est Athènes qui fut élue. Personne ne peut vous reprocher un manque de motivation et d’investissement personnel, vous vous êtes démené pour appuyer sa candidature. Doit-on considérer qu’en laissant Lille accéder au titre de «capitale européenne de la culture» c’était lui accorder un lot de consolation?
PM: Oh là si je me suis battu!… Le résultat était certes incertain, mais au-delà des Lillois, et des jeunes à Lille, c’étaient 80% des Français qui auraient souhaité la victoire de Lille. Alors, d’une certaine manière, on a incontestablement bénéficié d’un phénomène d’image auprès d’une majorité écrasante de Français. Lille est apparue sympathique, on a beaucoup parlé d’elle et sa cote d’amour a assisté à une montée en puissance. Mais, si Lille est aujourd’hui devenue capitale européenne de la culture, on peut dire que le déterminisme a été rigoureusement organisé. Nous avons méthodiquement réfléchi à ce qu’il fallait faire, et nous nous sommes attaqués aux dossiers avec beaucoup de rigueur. La candidature aux Jeux olympiques a suscité un vaste enthousiasme, la déception a été proportionnelle à l’investissement de chacun dans le projet, mais la flamme et l’esprit sportif sont restés, et on peut dire que tout le monde -le public tout autant que les chefs d’entreprise- était resté sur sa lancée. Les deux dossiers se sont enchaînés: les Lillois ont eu le sentiment de vivre une victorieuse défaite, ils voulaient alors remporter une vraie victoire.
RFI: Quand vous dites «nous», Pierre Mauroy, vous pouvez préciser de qui il s’agit ?
PM: Il s’agit de la métropole et des Lillois car entre temps j’étais devenu président de la communauté urbaine, cela regroupait donc Lille, le fer de lance, mais aussi Roubaix, Tourcoing et un total de 85 villes. Mais, au final, c’est un gros «cocorico» car, c’est vrai, on arrive assez vite à fédérer la population du Nord autour de projets qui défendent la région. L’université aussi a été très présente, les professeurs d’histoire, de géographie, tout le monde a participé à la réflexion. Donc, pour résumer, en tant que maire je bénéficiais d’une confiance renouvelée de mes électeurs, c’est vrai, j’étais aussi président de région, et parlementaire… Cette confiance conjuguée à l'énergie générale, à l’enthousiasme et l’ambition des chefs d’entreprise pour le grand Lille -que moi-même j’ai toujours défendu pour l’ensemble de la région- a fait que, voilà, Lille commence à goûter les fruits d’une ambitieuse politique de rayonnement, et le succès de Lille 2004 dépasse ce que nous pouvions imaginer et espérer. D’ailleurs, le succès le jour de l’inauguration nous a tous secoués! Depuis, les chiffres d’affaire du secteur du tourisme ont explosé de 30%, on compte déjà 300 000 billets vendus pour les expositions, et si nous résumons en quelques chiffres éloquents, ce sont 2200 entreprises qui ont participé à nos projets, 70 tours opérateurs, et 400 journalistes internationaux qui se sont déjà déplacés à nos grands rendez-vous.
RFI: Mais Lille «capitale européenne de la culture» ne doit pas être un lieu du seul rayonnement de la culture française. Le concept veut que la ville nominée soit aussi une vitrine de la culture européenne ?
PM: Bien sûr, bien sûr! D’ailleurs, Lille seule, avec 154 020 habitants, c’était un peu juste! La communauté urbaine est donc devenue très vite, et je dois dire très bien, son prolongement logique, faisant de Lille une grande métropole européenne multipolaire. Je souhaitais ardemment le rayonnement d’une région. J’ai lancé une opération sur le transfrontalier afin que les lignes de sang et de misère puissent s’effacer, et j’ai voulu agrandir l’ère de la métropole. Depuis 10 ans je ferraille pour ce projet, cette année j’ai remporté l’accord franco-belge: j’ai obtenu l’accord franco-belge pour ce transfrontalier. Désormais le Courtraisie (autour de Courtrais) et le Tournaisie (autour de Tournais), c’est-à-dire un territoire flamand et un territoire wallon, vont tous les deux faire partie d’un seul et même ensemble. On est la seule ville, à cheval sur une frontière, à organiser de la sorte un territoire européen. Mon prochain combat portera sur la réorganisation du bassin minier -qui jusque là avait sa propre vie-: je souhaiterais que la population de ce bassin, qui amorce sa reconversion et qui vient déjà travailler dans la région, puisse s’intégrer à la métropole tout en gardant sa singularité. Il faut pour cela réorganiser les transports. A terme, cette grande métropole devrait donc devenir l’aire européenne centrale de notre région. C’est déjà bien engagé: nos échanges avec Londres dépassent nos espérances, les Britanniques sont très nombreux à nous rendre visite, et nos échanges avec les Belges flamands et wallons n’ont jamais été aussi importants. En revanche il nous faut encore réfléchir pour développer l’axe Bruxelles-Lille. Je crois véritablement aux réseaux de ville. J’ai été président de la fédération des villes jumelées mondiales et je suis très heureux de voir les relations progresser. Maintenant, j’aimerais augmenter les fusions… pour élargir encore les échanges.
par Dominique Raizon
Article publié le 22/03/2004