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Rwanda

Ingando, le purgatoire des anciens rebelles

Rwanda. Muhazi.  A droite le chef d'état major de l'armée de terre le général Kayomba. A gauche le pdt de la commission de démobilisation et de  réintégration  Jean Sayinzoga. 

		(photo Monique Mas/RFI)
Rwanda. Muhazi. A droite le chef d'état major de l'armée de terre le général Kayomba. A gauche le pdt de la commission de démobilisation et de réintégration Jean Sayinzoga.
(photo Monique Mas/RFI)
Soldats de métier ou d’occasion, des milliers de rebelles rwandais ont été enrôlés dans les armées et les milices des deux Congo, mais aussi dans les rébellions burundaises ou angolaise. Ceux qui rentrent font 45 jours de rééducation.

De notre envoyée spéciale à Mutobo.

En 2001, des «Camps de la solidarité» avaient été chargés, de debriefer avant leur retour dans leurs communes d’origine quelque 5 000 rebelles rwandais, «infiltrés», selon eux-mêmes, entre les volcans de la Virunga (au nord du pays) et capturés ou conduits à la reddition par la froideur de la population vis-à-vis de leur lutte armée. Depuis lors, c’est une Commission de démobilisation et de réintégration qui s’occupe des soldats et des miliciens de l’ancien régime, rapatriés par la Mission des Nations unies au Congo (Monuc) ou par leurs propres moyens. Après avoir rendu leurs armes, uniformes voire leurs galons, et avant de revenir à la vie civile, les anciens combattants rebelles passent par un camp d’Ingando (rééducation en kinyarwanda), à Mutobo, tout près de Ruhengeri, la capitale des volcans.

A Mutobo, c’est un ancien rebelle qui sert de guide au visiteur. Lui-même n’a pas envie de se raconter. Non point par crainte de quoi que ce soit, assure-t-il, mais parce que «son cœur ne souhaite pas s’ouvrir aujourd’hui». D’ailleurs, entre le camp et l’extérieur, la circulation est libre. Les trois femmes «anciennes combattantes» sont au marché. Une quinzaine de jeunes gens s’entraînent au karaté. L’un des 242 pensionnaires dit qu’il a eu une permission de sept jours pour aller voir sa famille à Cyangugu, à l’autre bout du pays. Personne n’a grand chose à redire sur la vie à Mutobo, en dehors de la pauvreté des rations alimentaires. «On m’avait dit que le FPR enlevait des gens dans ce camp. Mais jusqu’à présent, personne ne manque. Ici on a la sécurité», affirme un démobilisé. Pour eux, visiblement, l’essentiel viendra après l’Ingando, la session de 45 jours de «cours» dont ils attendent la fin avec impatience et même le début, car l’enseignement de la nouvelle idéologie ne commence pas au premier jour des arrivées mais en fonction d’un agenda administratif qui prolonge souvent le séjour.

Sur le discours unitaire et réconciliateur de l’Ingando, les anciens combattants rebelles ne formulent pas non plus de critique. D’ailleurs, au camp, on ne juge pas. Le cas échéant, les jurés populaires des Gacaca s’en chargeront, sur les collines. Pour ces femmes et ces hommes qui ont passé leur prime jeunesse à courir toute la région aux côtés de tout ce qu’elle compte de groupes armés, pour ces anciens rebelles déterminés, il y a peu, à ne jamais se rendre et à se réorganiser contre Kigali au bout de n’importe quelle «route à destination inconnue», l’appel du terroir et de la vie civile est visiblement aussi pressant qu’angoissant.

A Kigali, le président de la Commission de démobilisation et de réintégration demande au candidat visiteur de ne pas aborder ses pensionnaires comme s’ils étaient à coup sûr des «génocidaires». A Mutobo, bien évidemment, personne n’étant accusé de tels crimes, nul ne s’en réclame. Un ex-Far (Forces armées rwandaises sous Habyarimana) demande d’ailleurs des explications sémantiques sur le génocide, lui même comprenant le mot comme désignant un grand nombre de morts, funeste banalité dans les Grands lacs. Car à Mutobo, chaque entretien croise le fil d’un destin individuel avec celui des dix dernières années d’histoire de la sous-région, celle de ses guerres, de ses retournements d’alliances, de ses implications extérieures, de ses bains de sang et de ses cohortes de réfugiés.

Elam, par exemple, raconte comment jeune comptable de 24 ans à Cyangugu, il a postulé début mai 1994 pour entrer dans la 35ème promotion d’officiers de l’Ecole supérieure militaire de Kigali (ESM). C’était la toute dernière vague de recrutement lancée par les Far au Rwanda par un appel à candidature radiodiffusé. 480 candidats officiers ont été sélectionnés et rapidement transférés à Kigeme (près de Gikongoro) pour échapper à la guerre entrée à Kigali. Des candidats formés et entraîné très classiquement en mai et juin tandis que le commandant Deogratias Rutasira se faisait exfiltrer par les troupes françaises de l’opération Turquoise aux alentours du 22 juin. «Nous étions avec les Français. Leurs hélicoptères allaient et venaient. Ils nous ont dit que si certains d’entre nous se sentaient menacés, ils pouvaient les suivre, qu’ils les installeraient ailleurs. Personne n’a bougé, sauf le général Déogratias», se rappelle Elam. Lui-même ne se considère pas comme un déserteur mais comme une personne raisonnable qui s’indigne encore de l’affichette appelant à la reddition apposée à Kigeme par le commandant Rutasira le 17 juillet 1994, jour où le FPR avait annoncé un cessez-le-feu unilatéral pour consacrer sa victoire militaire. «Déogratias nous a dit : je suis général. Un militaire doit garder son sang-froid. Les Inkotanyi ne vont pas nous tuer. En fait, il voulait nous utiliser comme monnaie d’échange», poursuit Elam, qui a préféré battre retraite avec des milliers de ses compagnons d’armes d’abord à Cyangugu, le 21 juillet, puis à Bukavu, de l’autre côté de la frontière zaïroise, après le retrait des troupes françaises en août.

Côté Zaïre, le général Mobutu les a fait installer dans un camp un peu en retrait, à Panzi, où les rations militaires ont fini par s’épuiser et les Bérets rouges zaïrois intervenir pour «nous chasser plus loin, à Bulongi, du côté de Shabunda, parce que sous la pression internationale, Mobutu voulait nous éloigner de plusieurs dizaines de kilomètres de la frontière rwandaise». La dernière solde payée en octobre 1994, l’armée défaite au Rwanda a néanmoins continué de tenter de se réorganiser tant bien que mal pour la revanche jusqu’à l’offensive du FPR lancée en octobre 1996 avec le concours du Burundi et de l’Angola et qui a conduit Laurent-Désiré Kabila au pouvoir à Kinshasa en mai 1997.

Depuis 1997, Kigali a démobilisé 1 500 ex Far

En 1996, ayant survécu avec sa famille aux bombardements du FPR, Elam partage avec d’autres camarades de promotion l’idée que Mobutu ne fera rien pour eux. Ils partent à pied dans un cortège de 8 000 personnes escortées par deux compagnies d’ex-Far et rejoignent finalement l’Angola, où ils espèrent «être recueillis par Savimbi». Ils sont les premiers arrivés dans les terres de Savimbi. Plus tard, ce dernier recevra le général Augustin Bizimungu, chef d’état-major nommé par les commanditaires du génocide et détenu par le tribunal pénal d’Arusha depuis son extradition d’Angola après la mort de Savimbi. Pour sa part, à son arrivée, la troupe d’Elam se voit opposer une fin de non-recevoir par les chefs de la rébellion angolaise, l’Unita. Ils reprennent alors la route jusqu’aux positions gouvernementales où ils plantent provisoirement leurs abris de plastique. Mais une guerre du manioc finit par opposer réfugiés rwandais et nationaux angolais affamés. Les Rwandais sont chassés au canon. Les survivants retournent au Congo, reviennent ensuite chez Savimbi : «pire que mauvais», selon Elam.

En juin 1997, il ramène au Congo-Kinshasa les 14 membres de sa parentèle encore vivants sur les 24 partis avec lui. Ils s’installent cette fois dans le Kasaï occidental. En 1998, la bisbille entre Kabila et Kigali se solde par une chasse aux Rwandais qui n’épargent pas les Hutu, en République démocratique du Congo (RDC). Les ex-Far se cachent, la famille d’Elam rentre à Cyangugu où son père fera trois ans de prison. Lui estime que «vivre avec les Congolais sans armes, c’est catastrophique». Il cherche «une chance de toucher l’arme». Il n’aura même pas besoin de trouver la poignée de dollars nécessaires car Kabila cherche des supplétifs. Il recrute pour le front du Kivu contre les rebelles congolais du RCD – parmi lesquels des banyamulenge rwandophones – et leurs alliés de Kigali. Le commandant dépêché par Kabila à Rwiza - où se trouve justement Elam - cherche «des Hutu qui connaissent l’arme». Elam devient instructeur et bientôt lieutenant-colonel dans les Forces armées congolaises (FAC). Avec quelque 1 200 autres soldats «étiquetés Hutu rwandais», il stationne à l’Ecole des officiers de Kananga, l’EFO, un immense camp militaire «qui occupe deux montagnes».

«On m’a donné directement un peloton de Hutu ramassé n’importe où dans les forêts et les villages». Ils sont envoyés au feu, par train express, contre les «Tutsi» du RCD sur un «télégramme de Kabila demandant qu’on envoie les Rwandais freiner les autres Rwandais». Le RCD était en effet tout près de prendre Mbuji-Mayi, la cité diamantifère congolaise. A Mbuji-Mayi, «les Congolais sont restés comme des statues» pendant que les Rwandais perdaient leurs hommes dans des combats acharnés finalement emportés avec le concours des Zimbabwéens et des Namibiens, appelés en renfort par Laurent-Désiré Kabila, en échange de concessions minières. Familier de Joseph Kabila, ancien chef d’état-major de son père, Elam n’a pas oublié ses vaines promesses de RCA, la fameuse «Ration calculée en argent». Mais il n’est pas le seul à se plaindre d’avoir servi de chair à canon gratuite.

Lors d’une récente visite à Mutobo de ministres venus des deux Congo, certains pensionnaires ont réclamé haut et fort les soldes promises par Kinshasa et Brazzaville. Les milices Cobras du général Sassou Nguesso comme les Ninjas de son adversaire ont en effet recrutés des Rwandais. Au Burundi, les deux rébellions, celles des FNL et des FDD aussi, de même que l’Unita angolaise qui enrôlaient les hommes mais ne voulait pas s’encombrer des familles. Reste, aux quatre coins des grands lacs, une multitude de Rwandais dont certains ont décidé de faire souche (environ 80 000, selon Kigali) tandis que d’autres poursuivent la lutte armée (10 à 15 000, selon Kigali qui assure que l’armée rebelle en a compté jusqu’à 50 000).

De l’Armée de libération du Rwanda (Alir), en passant par ses versions successives jusqu’au Front de libération du Rwanda (FDLR) créé en 2000 et récemment dissout à Kinshasa, le dernier carré des rebelles rwandais tente de se maintenir en ordre de bataille au sein notamment des Forces combattantes Abacunguzi (Foca). Au début de l’année, le général Rwarakabije qui commandait le FDLR est rentré au Rwanda avec une centaine d’hommes. Il a été vite remplacé dans son ancien état-major. Les irréductibles menacent ceux qui cèdent à la nostalgie. Les retours se font au goutte à goutte : environ 300 en janvier, 150 en février, une trentaine en mars. Les candidats sautent souvent le pas à plusieurs. Au total, depuis 1997, Kigali a démobilisé 1 500 ex Far engagés dans l’ancienne armée avant la mort du président Habyarimana, le 6 avril 1994. Ceux-là touchent un pécule de 150 000 francs rwandais (environ 220 euros) pour les sans grade. L’allocation va jusqu’à 450 000 francs rwandais pour un colonel. Une autre petite enveloppe tombe six mois après. Elam et beaucoup d’autres ont été recrutés après le 6 avril ou bien servaient comme miliciens. Ils devront se contenter de 50 000 francs rwandais.

«La plupart n’ont pas de métier. Il faut leur trouver un emploi rémunérateur et un logement pour éviter le banditisme dans cette région où les armes traînent partout et s’achètent pour rien», s’inquiète le président de la Commission de réintégration. Fraîchement émoulu de l’Ingando, un ancien combattant vient de sortir de Mutobo. Il tente de monter une affaire de commerce de pommes de terre entre Ruhengeri, dont c’est la production vedette, et Cyangugu, sa ville natale. Elam, le comptable, rêve d’un bienfaiteur pour poursuivre ses études, à trente-quatre ans.



par Monique  Mas

Article publié le 05/04/2004 Dernière mise à jour le 05/04/2004 à 09:35 TU