Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Rwanda

La nouvelle Kigali

Une petite entreprise privée à Kigali 

		Photo Monique Mas/RFI
Une petite entreprise privée à Kigali
Photo Monique Mas/RFI
Depuis 1994, Kigali a doublé sa population et vu des quartiers entiers et des immeubles imposants sortir de terre. Mais le chômage est élevé et la vie est très chère.

De notre envoyée spéciale au Rwanda.

Avec le retour des cohortes d’exilés tutsi réfugiés depuis des décennies aux quatre coins des grands lacs, Kigali a doublé sa population et modifié sa composition par rapport à la période antérieure au génocide. Le recensement de 2002 lui attribue quelque 610 000 habitants contre moins de 300 000 avant 1994. En outre, même si, comme par le passé, des vaches laitières continuent de paître sur les flancs de la capitale, en dix ans, celle-ci s’est considérablement urbanisée. De nouveaux quartiers et d’imposants buildings administratifs ou privés continuent de sortir de terre. Le bâtiment affiche une santé insolente mais l’emploi reste très en dessous des besoins de citadins confrontés à la cherté de la vie.

Collines vertes rayées de pistes rouges, macadam encadré de pelouses sur les hauteurs, buildings flambant neuf, villas à étages rutilantes, lotissements pour fonctionnaires, rustiques maisonnettes et même fermettes accrochées aux pentes, Kigali fleurit sous la pluie, aux couleurs des flamboyants, des bougainvillées ou des hibiscus. Les investisseurs traditionnels ont commencé à revenir. Les hommes d’affaires rwandais, anciens ou nouveaux, investissent au pays, mais surtout à Kigali. Pour sa part, l’Etat cadastre, viabilise et encadre l’urbanisation galopante pour éviter l’extension sauvage d’une capitale au visage toujours très provincial bien que fraîchement hérissée de nouveaux sièges sociaux, publics ou privés, de quartiers résidentiels de standing et même de parcs de loisirs. Mais dans les quartiers populaires aux ruelles défoncées, la pauvreté a gagné du terrain. De 1965 à 2000, la proportion de ménages en dessous du seuil de pauvreté est passée de 40 à 60%. Sur fond de mauvaise gouvernance, le sida a ravagé la population active dès la fin des années quatre-vingt. Aujourd’hui, son taux de prévalence atteint 13,5%. De son côté, entre autres effets destructeurs, le génocide a contraint quantité de femmes et d’enfants à s’improviser chefs de familles.

En dix ans, le centre de gravité de Kigali s’est déplacé vers le nord-ouest. Sa population aussi a changé de composition avec l’arrivée massive des réfugiés tutsi suivant la victoire du Front patriotique rwandais (FPR) en 1994, mais aussi avec le départ de ceux qui au contraire la redoutait, des Hutu essentiellement. La peur aussi a accru l’exode rural, même si, par tradition, le Rwandais s’affirme très attaché à son rugo, sa parcelle de colline, si reculée soit-elle. La population est en effet restée rurale, à 90%. En tout cas, en doublant sa population depuis 1994, Kigali n’a pas multiplié par deux ses capacités d’hébergement et surtout d’emploi. Le bâtiment se porte visiblement très bien. Mais il ne peut absorber l’abondante force de travail qui chôme à Kigali, souvent des jeunes gens. Et aujourd’hui, le Rwanda n’espère plus l’aide extérieure massive qui aurait pu le sortir de l’ornière après le génocide. La Banque mondiale l’exigeant, il va même devoir par exemple se séparer de quelque 4 000 fonctionnaires sur environ 30 000 au total. Reste que la consolidation de la paix et de la sécurité exigent un minimum d’avancées sociales.

Des Rwandais à l’assaut du ciel

Dans l’enceinte du camp Kigali, l’une des principales bases militaires de la ville, des ouvriers sont en train d’ériger un mausolée à la mémoire des dix casques bleus belges chargés de la sécurité de la défunte Première ministre hutu, Agathe Uwilingiyimana, assassinée le même jour qu’eux, le 7 avril 1994. Kigali a cédé une parcelle à Bruxelles qui souhaitait dresser ce monument, sur les lieux du meurtre de ses soldats. Agathe Uwilingiyimana repose, elle, au cimetière des héros, aux côtés notamment du premier chef militaire du FPR, Fred Rwigyema, mort au combat au lendemain de l’offensive du 1er octobre 1990, dans la région de Gabiro, au nord-ouest, en bordure du parc de l’Akagera. Sur une autre colline, le bâtiment du CND (Conseil national pour le développement, Assemblée nationale) détonne avec ses trous béants de tirs de mortiers et sa façade grêlée de rafales, souvenirs de la bataille qui opposât en avril 1994 les soldats du FPR (cantonnés dans ses murs en vertu de l’accord d’Arusha) et la Garde présidentielle installée en face. L’Union européenne a promis de longue date de reconstruire le CND. Elle vient tout juste de lancer l’appel d’offres.

Au centre ville, l’ancien quartier général du «gouvernement intérimaire» du 8 avril 1994 – commanditaire du génocide – l’hôtel Les diplomates a changé de peau en devenant Intercontinental de luxe. Tout près, la piscine de l’Hôtel des mille collines a repris son service ordinaire. En 1994, elle servît de citerne aux très nombreux réfugiés entassés dans les chambres et les couloirs. Pour sa part, le président Kagame s’est installé dans la vaste et arborée State House, le palais présidentiel jadis boudé par feu le président Habyarimana, qui lui préférait sa villa de Kanombe, dans le camp militaire de l’aéroport où s’est écrasé l’avion le ramenant de Dar-es-Salam, abattu par un tir de missiles au soir du 6 avril 1994. La Chine signale sa coopération bilatérale avec un immense immeuble jaune pastel. Le tout nouveau ministère de la Défense, une imposante bâtisse aux allures de bunker, vient d’être achevé par une entreprise égyptienne qui a emporté l’appel d’offres. Entre autres réalisations, la Banque mondiale apporte son concours à un vaste espace vert en voie d’achèvement, au fond d’une vallée urbaine. En attendant la piscine annoncée, des employés tondent inlassablement la pelouse du golf, à la machette.

Les Jésuites ont quant à eux programmé le chantier d’un grand hôpital qui devrait réduire notablement le déficit en infrastructures médicales. Des Rwandais se lancent à l’assaut du ciel avec par exemple une grosse entreprise de fabrication de feuilles d’aluminium, un système de téléphonie rurale, des radios privées, ou encore un marché couvert doté d’un parking souterrain bientôt terminé. Ce sera une première dans ce pays où le flux automobile s’épaissit de jour en jour. D’autres créent leur emploi : une laiterie autour de quelques vaches, un garage ou un atelier quelconque. Les fonctionnaires qui garderont leur poste rêvent d’accéder à la propriété grâce à un système de location-vente qui a déjà vu sortir de terre deux quartiers entiers de petits immeubles de briques made in Rwanda. Le ciment vient de la fabrique de Cyangugu, à l’Est, à la frontière congolaise. L’Etat finance. Il a même installé le tout-à-l’égout. C’est nouveau à Kigali où, en la matière, tout reste à faire. Quelque 700 familles ont déjà été servies, d’autres lotissements sont prévus.

Cette explosion immobilière ne va pas sans expropriations. Au fil des ans, des kyrielles de masures de briquettes et de tôles ont vu leurs habitants relogés en périphérie. Le regain du Rwanda ne va pas sans grincements de dents. Le pouvoir ne ménage pas ses efforts pour l’encadrer de manière très serrée. Mais, survivants du génocide, réfugiés rentrés au pays, anciens soldats des deux camps démobilisés et même détenus relâchés pour désengorger les prisons, les autorités sont confrontées à des problèmes de réinsertion cruciaux pour la paix sociale. C’est ainsi par exemple qu’une nouvelle libération massive de prisonniers est imminente. Elle concernera des présumés «génocidaires» accusés et détenus en vertu de dossiers médiocrement documentés. Les gacaca (tribunaux populaires) se chargeront des suites juridiques à leur donner, après leur retour dans leurs communes d’origine. La qualité de leur réinsertion économique, mais aussi celle des rescapés du génocide qu’ils vont côtoyer seront bien sûr déterminante pour l’avenir de la paix civile.

Pour éviter que les lumières de la capitale éclairent seulement un menaçant désert économique, social et administratif, les autorités misent donc désormais sur la décentralisation des infrastructures et des responsabilités.



par Monique  Mas

Article publié le 01/04/2004 Dernière mise à jour le 02/04/2004 à 18:02 TU