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Rwanda, 10 ans après

Le tribunal d’Arusha a accumulé les échecs

Créé par l'ONU en 1994, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a accumulé les erreurs, échoué dans sa mission de réconciliation et discrédité l'idéer d'une justice internationale.
De notre correspondante à La Haye.

En refermant ses dossiers, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pourra se targuer d’un bilan en apparence positif. Si près de dix ans après sa création par le Conseil de sécurité la juridiction a paisiblement prononcé onze jugements contre dix-sept accusés, une grande partie des responsables gouvernementaux, politiques, militaires, administratifs, ainsi que ceux de la propagande en oeuvre pendant le génocide de 1994, ont été déferrés devant le tribunal d’Arusha. En 1998, la juridiction a prononcé la première condamnation pour génocide de l’histoire contre Jean-Paul Akayesu, ancien bourgmestre de la petite ville de Taba au centre du Rwanda. La même année, l’ancien Premier ministre du gouvernement intérimaire, Jean Kambanda, se retournait contre ses anciens comparses, reconnaissait le génocide et plaidait coupable.

Le tribunal est passé à côté de sa mission

Mais derrière ce bilan de façade, le tribunal a multiplié les occasions manquées. En 1998, la procureure Louise Arbour voulait mener dans le box 29 accusés dans un même procès au centre duquel devait figurer Théoneste Bagosora, considéré par le Parquet comme le cerveau du génocide. Mais le super-procès à l’image de l’historique Nuremberg sera rejeté par les juges. Le tribunal passera une seconde fois à côté de sa mission lorsque le Premier ministre, Jean Kambanda, après avoir subi une centaine d’heures d’interrogatoire et reconnu le lourd bilan de 800 000 morts s’est rétracté. Les garanties pour sa sécurité et celle de sa famille, promises par le tribunal et en échange desquelles il avait accepté de témoigner à charge contre ses anciens ministres, sont restées lettre morte. Et tandis que l’ancien chef du gouvernement délivrait un récit complet de l’organisation du génocide depuis un lieu de détention resté longtemps secret, le TPIR affrontait de lourdes crises. Les conflits de pouvoir entre le greffe, le Parquet et la présidence tenaient lieu de bilan. Les premiers rapports des services de contrôle de l’Onu parlent de malversations, de corruption, de problèmes de personnel… Et dans le prétoire, le Parquet fait toujours preuve d’une lourde incompétence et d’une impréparation constante. Année après année, le tribunal s’est affaiblit, laissant à Kigali le choix de se jouer de la juridiction comme d’une marionnette.

La Communauté internationale veut fermer le tribunal

En juin 2000, Carla del Ponte annonçait l’ouverture d’une enquête sur les crimes commis par le Front patriotique rwandais, aujourd’hui au pouvoir. Mais la suissesse n’a pas trouvé le «la» avec le régime Kagame, et a accumulé les fausses notes, jusqu’à son éviction du poste de procureur en septembre 2003. La politique pénale du nouveau procureur, Bubacar Jallow, est tenue par plusieurs résolutions dont celle adoptée le 26 mars et dans laquelle le Conseil de sécurité demande au Parquet de boucler ses enquêtes à la fin de l’année. La communauté internationale souhaite fermer les portes des tribunaux ad hoc, jugés trop coûteux et trop lents. A New York, on estime que les plus hauts responsables sont désormais incarcérés et que justice a été rendu aux victimes. Les états membres demandent néanmoins au Rwanda, mais aussi à la République démocratique du Congo, au Kenya et au Congo-Brazzaville de coopérer pleinement aux enquêtes «concernant l’Armée patriotique rwandaise» et à l’arrestation de l’homme d’affaires, Félicien Kabuga, qui se joue de toutes les polices depuis 1998 et sur la tête duquel les Etats-Unis ont placé une prime de 5 millions de dollars. Le procureur l’accuse d’avoir financièrement soutenu le génocide, d’avoir importé des machettes en grand nombre et d’avoir investi dans la Radio télévision des mille collines qui appelait les Hutus aux massacres.

«Stratégie d’achèvement»

La communauté internationale a imposé une date-buttoir à la juridiction. En 2010, le tribunal devra fermer ses portes. Arusha est donc invitée à mettre en œuvre une «stratégie d’achèvement» de ses travaux. Or le nombre d’affaires en cours et la lenteur des procédures rendent la mission parfaitement impossible. Le TPIR devra donc transférer dossiers et accusés devant les juridictions nationales. Kigali s’est dite prête à négocier les sentences, car la peine de mort est encore en vigueur au Rwanda. Certains des accusés pourraient être renvoyés devant les juridictions des pays où ils ont été arrêtés. Que ce soit du coté des victimes ou des bourreaux, des politiques au pouvoir ou de ceux en exil, la juridiction n’a satisfait personne et sa mission «réconciliatrice» apparaît, aujourd’hui, comme un échec.



par Stéphanie  Maupas

Article publié le 05/04/2004 Dernière mise à jour le 06/04/2004 à 10:56 TU

Pour en savoir plus

le site du TPIR: www.ictr.org

 

Audio

Allison Desforges

Enquêtrice sur le génocide rwandais à Human Rights Watch

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