Thaïlande
Flambée de violences dans le Sud musulman
(Photo : AFP)
Les trois provinces du sud de la Thaïlande, à majorité musulmane,ont été mardi le théâtre d’affrontements d’une rare violence qui ont coûté à la vie à une centaine d’assaillants musulmans qui avaient lancé des attaques contre des postes de police. Ces régions, économiquement très déshéritées, ont connu depuis le début de l’année une flambée de violences que le gouvernement avait jusqu’alors attribuée à des groupes de «gangsters». Mais après les attaques de ces dernières vingt-quatre heures, certains responsables thaïlandais évoquent désormais la thèse d’un séparatisme musulman.
Les attaques ont été lancées mardi à l’aube par une centaine d’assaillants musulmans qui ont tenté de prendre possession de plusieurs postes de police et points de contrôle de l’armée dans les provinces de Yala, Pattani et Songkhla dans le sud du pays. Ces attaques cordonnées en dix endroits différents ont été menées par des groupes de jeunes, âgés de 18 à 20 ans, vêtus de noirs ou de vert et armés de fusils, de machettes et d’épées. Surpris par la réaction des forces de l’ordre, certains des assaillants se sont réfugiés plusieurs heures durant dans une mosquée qui a été ensuite attaquée par les soldats thaïlandais. Officiellement, ces violences sans précédent ont fait au moins 107 morts dans les rangs des assaillants et cinq dans ceux de l'armée. Le bilan pourrait toutefois s’alourdir car selon les propos du porte-parole de la IVème armée qui contrôle la région sud du pays «toutes les zones n’ont pas encore été nettoyées».
Ces heurts sont de loin les plus meurtriers qu’ait connu le sud de la Thaïlande pourtant théâtre depuis le début de l’année d’une flambée de violences inexpliquée qui a déjà coûté la vie à une soixantaine de personnes. Le 4 janvier dernier, un raid contre une caserne avait en effet coûté la vie à quatre soldats –on suppose que les assaillants se sont à cette occasion procurés de nombreuses armes– et depuis, les trois provinces musulmanes ont été frappées quasi-quotidiennement par une série d’attaques armées, d’attentats à l’explosifs et d’incendies criminelles. Les premières victimes de ces violences ont certes été les forces de l’ordre mais les attaques se sont ensuite étendues à des chefs de village, à des moines bouddhistes et également à de simples civils qui ont été abattus ou égorgés. Pas plus tard que la semaine dernière, un soldat et un chef de village ont été assassinés et une cinquantaine d’écoles et de bâtiments publics ont été incendiés. La police, qui n’a pas pu mettre la main sur les commanditaires de ces attaques, avait arrêté une dizaine d’adolescents soupçonnés d’avoir touché chacun l’équivalent de 30 euros pour mettre le feu à ces structures.
«Bandits» ou séparatistes?
Les violences de ces dernières vingt-quatre heures sont sans précédent puisque jamais cette région du sud de la Thaïlande n’avait enregistré une journée aussi meurtrière même lorsqu’elle était secouée par des troubles séparatistes dans les années 70-80. Le Premier ministre Thaksin Shinawatra, qui n’a toujours pas réussi à endiguer les violences de ces derniers mois en dépit de trois voyages dans la région et du limogeage au cours du seul mois de mars des ministres de la Défense et de l’Intérieur et du numéro 1 de la police et du commandant de la IVème région militaire, s’est voulu rassurant. «La situation est désormais sous contrôle» a-t-il affirmé mardi alors que les affrontements se poursuivaientpourtant encore. Selon lui, le but de ces attaques était de «voler des armes aux forces de sécurité pour les revendre». «Les assaillants, qui n’avaient que quelques machettes et quelques fusils, ont agi uniquement par appât du gain et non pas pour des motivations religieuse ou idéologique», a-t-il insisté.
Mais cette thèse est de plus en plus contestée au sein même de l’appareil sécuritaire thaïlandais. Le vice-directeur de l'Internal Security Command, le général Panlop Pinmanee, a ainsi attribué les attaques de mardi à des séparatistes musulmans. «Il est absolument certain que ce sont des séparatistes», a-t-il affirmé, précisant même qu’ils avaient été «entraînés à la guérilla par le BRN et le PULO», en référence à deux mouvements historiques locaux, le Barisi Revolusi Nasional et la Pattani United Liberation Organisation. Cette thèse est largement soutenue par le gouverneur de Yala qui a également le théâtre des dernières violences. Boonyasidh Suwannarat a en effet estimé que la coordination des attaques et l'armement des assaillants permettaient de penser qu'ils avaient reçu un certain entraînement. «Ce qui s'est passé ce matin montre qu'ils en sont arrivés au stade où ils sont assez confiants pour se révéler. Beaucoup d'entre eux portaient des bandeaux blancs ou rouges comme signes distinctifs et type de couteaux qu'ils portaient montre qu'ils doivent avoir été bien entraînés», a-t-il notamment affirmé.
Les provinces du sud de la Thaïlande, où la population est à 90% musulmane, sont des régions économiquement déshéritées. Certains analystes indépendants estiment que certains habitants de ces régions défavorisées, laissées pour compte du décollage économique, pourraient être très sensibles aux idées islamistes radicales. Des organisations extrémistes comme la Jemaah Islamiah pourrait donc à ce titre trouver un terrain de recrutement dans la région.
par Mounia Daoudi
Article publié le 28/04/2004 Dernière mise à jour le 29/04/2004 à 06:15 TU