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Cameroun

Des importations qui donnent la chair de poule

Première conclusion du rapport de l' Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (<A href="http://www.acdic.org/lire010.htm" target=_BLANK>Acdic</A>): le poulet importé constitue «une catastrophe pour la santé des populations» 

		(Photo : ACDIC-2004)
Première conclusion du rapport de l' Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (Acdic): le poulet importé constitue «une catastrophe pour la santé des populations»
(Photo : ACDIC-2004)
Une étude révèle que le poulet importé, communément appelé «poulet congelé» est aussi impropre à la consommation que dangereux pour l’aviculture locale. En cause : le non respect des lois et l’absence d’un cadre approprié de lutte contre les crimes économiques et d’institutions de protection des consommateurs.

De notre correspondant à Yaoundé.

C’est un rapport à couper l’appétit aux inconditionnels de «poulet DG», ou de «poulet braisé», si prisés dans les ménages, les gargotes, et en vedette lors des réjouissances collectives. L’étude que vient de publier l’ Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (Acdic), qui revendique entre autres objectifs l’animation d’une veille citoyenne sans frontières sur les choix et la qualité (résultat de neuf mois d’enquêtes au Cameroun et en Europe) est loin d’être un cocorico pour l’importation de poulet au Cameroun. Première conclusion: le poulet importé constitue «une catastrophe pour la santé des populations». Les statistiques parlent d’elles-mêmes et s’appuient sur des recherches opérées par le très réputé Centre Pasteur du Cameroun. Sur 200 échantillons de poulets prélevés, sur constat d’huissier, entre 2003 et 2004 dans 8 marchés de 6 villes du pays dont Yaoundé, capitale administrative, et Douala, métropole économique, «83,5% des échantillons ne sont pas conformes aux critères micro biologiques, donc impropres à la consommation. Ces prélèvements sont répartis en 39 échantillons de poulets pris sur les étals , dont 87% de qualité non satisfaisante et 161 échantillons de poulets achetés dans les poissonneries, dont 80,5% de qualité non satisfaisante», note le rapport du Centre Pasteur du 3 février 2004 qui poursuit:«Les poulets hébergent une flore totale en quantité importante composée de coliformes , dont des coliformes fécaux ou thermotolérants, des staphylocoques pathogènes. En ce qui concerne les bactéries pathogènes, 30 échantillons (15%) sont porteurs de salmonelles».

Or, «les salmonelles sont responsables chez l’homme, de gastro-entérites, et des intoxications alimentaires» et, «tout comme les salmonelles, le Campylobacter provenant des poulets est la principale cause des zoonoses entériques infectieuses dans les pays industrialisés», selon le Dr Marguerite Wouafo, du Centre Pasteur du Cameroun. Ce qui ne dédouane pas les revendeurs locaux, qui opèrent , dans des conditions d’hygiène exécrables: lors du prélèvement, les huissiers avaient constaté que 15% des congélateurs étaient rouillés, 25% étaient ouverts et dégivrés, tandis que 20% des échantillons étaient jaunâtres, et dégageaient des odeurs, selon l’étude de l’Acdic. Dangereux pour la santé, le «poulet congelé» a fait l’objet d’importations jugées massives ces dernières années, en provenance d’Espagne, de Belgique, de Côte d’Ivoire, des Etats-Unis, de Hollande, de France, d’Italie, de Grèce, du Sénégal, étiquetés respectivement en volume, comme les 9 premiers pays exportateurs de ce produit vers le Cameroun, en 2003. Selon l’étude de l’Acdic, reproduisant les statistiques officielles, «en l’espace de 7 ans, de 1996 à 2003, l’importation de poulets congelés est passée de 978 tonnes à 20000 tonnes».

«Les poulets sont décongelés et recongelés»

Une situation qui n’est pas allée sans causer des dommages à l’économie nationale. Le rapport , qui s’appuie sur un suivi de l’activité des aviculteurs camerounais, avance par exemple les chiffres de 10,5 milliards de francs cfa de perte annuelle en devises, et de quelque 110000 emplois supprimés chaque année, dans le secteur avicole local, lequel subit de plein fouet, l’importation du «poulet congelé», bon marché. Ni le ministère de la santé, ni le ministère du développement industriel et commercial, ni surtout, la ministère de l’élevage, des pêches et des industries animales – qui doit, entre autres missions, assurer la régulation des importations sur le double aspect sanitaire et économique - n’ont officiellement réagi en tant que tels à ces inquiétantes révélations. C’est tout juste si un haut fonctionnaire du ministère de l’Elevage, médecin vétérinaire de son état, a émis des réserves sur cette étude, dans les colonnes du quotidien gouvernemental, Cameroon Tribune. «Pour le vétérinaire que je suis, les résultats obtenus des prélèvements ne veulent pas dire grand chose. Il aurait fallu qu’ils enquêtent aussi sur les lieux de production en Europe, et au port de Douala. Car, sur les lieux de distribution, les poulets sont décongelés et recongelés, ce qui favorise l’apparition des germes. De plus, la ménagère qui vient acheter du poulet va manipuler les pièces dans tous les sens, à mains nues. Là aussi, il y a des risques de transmission de germes. Les germes trouvés dans ces découpes ne sont donc pas leur propriété intrinsèque. Pour ce qui est de tuer l’économie locale, quelle étude le prouve? Nous, nous avons des chiffres qui prouvent que le Cameroun est déficitaire en production de poulet de chair. Un déficit annuel évalué à 14000 tonnes», a déclaré le Dr Alexandre Ngatchou, chef de service de la santé publique, vétérinaire au ministère de l’Elevage.

Il n’empêche. Ce ministère reste sur la sellette. On lui fait grief de ne pas faire respecter des lois censées garantir un accès au marché local des produits sains, et de veiller aux volumes d’importations définis. Reste que ce dossier du «poulet congelé», qui défraie la chronique alors qu’une «affaire» de «faux laits concentrés et sucrés» révélée par un opérateur économique local est encore pendante devant les tribunaux, semble tributaire d’un environnement global. «Au Cameroun, les lois sur les mesures anti-dumping et sur les normes, ainsi que les accords sur les mesures sanitaires et phytosanitaires ne sont pas appliquées», explique M. Babissakana, Directeur de Prescriptor, un cabinet dont les analyses économiques sont respectées. Et d’indexer, pour le cas du «poulet congelé» , du lait, et pour d’autres produits, la contrebande, la fraude douanière, fiscale et commerciale, la corruption, qui relèvent des «pratiques criminelles», d’une part, et les «pratiques anti-concurrentielles», d’autre part. «Ailleurs , ce sont les autorités administratives indépendantes qui servent à combattre ces pratiques, en assurant la régulation. Or, il n’ y en a pas au Cameroun», regrette Babissakana qui ajoute: «on devrait par exemple penser, pour une régulation efficace au Cameroun, à la mise sur pied d’une commission indépendante de lutte contre la corruption, et d’une commission de la concurrence et de la protection du consommateur». La proposition n’est pas nouvelle. Et, déjà, les spécialistes s’inquiètent de l’avenir de plusieurs autres secteurs de l’économie nationale, face à la concurrence des produits importés.



par Valentin  Zinga

Article publié le 08/05/2004 Dernière mise à jour le 08/05/2004 à 10:12 TU