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Festival de Cannes

Moore for president ?

D’une certaine façon, <I>Fahrenheit 9/11</I> est en phase avec une compétition placée cette année sous le signe de la politique. 

		(Photo: AFP)
D’une certaine façon, Fahrenheit 9/11 est en phase avec une compétition placée cette année sous le signe de la politique.
(Photo: AFP)
Un an après Bowling for Columbine, documentaire sur la prédilection américaine pour la violence en général et les armes à feu en particulier, Michael Moore revient à Cannes avec Fahrenheit 9/11, qui lui a valu samedi soir la Palme d’Or.

Politique ou pas? Si la teneur de l’affaire devait se juger à l’aune de la standing ovation saluant samedi soir la remise de la Palme d’Or à Michael Moore, la question ne mérite pas même d’être posée. De même pour la façon dont le film a été accueilli par la critique américaine: des plus enthousiastes au plus assassines, il était presque gênant de constater à quel point les questions s’étaient en l’espace de quelques jours déplacées de la sphère cinématographique pour aboutir à cette unique et taraudante interrogation: dans quelle mesure le film contribuera t-il (ou non) à la réélection de Bush ?

Mais qu’est-ce au juste que Fahrenheit 9/11? Un documentaire, un pamphlet, un brûlot? Pas, en tout cas, ce que son titre laisse entendre, puisque le film s’attache essentiellement à George Bush: les circonstances pour le moins étranges de sa réélection, ses débuts d’homme d’affaires (le pétrole texan), sous la houlette bienveillante de Bush Senior, les liens entre les Bush et la famille royale saoudienne. L’une des scènes les plus impressionnantes du film montre Bush Junior en train de lire un conte pour enfants à une classe de maternelle. Un conseiller l’interrompt brièvement pour lui annoncer une nouvelle, sans que celle-ci semble suffisamment importante pour que le président des Etats-Unis d’Amérique daigne interrompre sa lecture. Le comique de la scène se teinte d’effroi lors qu’on apprend que la nouvelle en question est celle de l’attaque de la première tour du World Trade Center. A cette exception près, tout le film s’apparente à un long collage (deux heures) mêlant images d’archives et plans où, fidèle à son habitude, Moore se met en scène (interpellant les sénateurs américains pour leur demander pourquoi leurs fils ne sont pas en Irak, interrogeant la famille –en larmes- d’un jeune soldat tué en Irak).

Un pur et simple objet de propagande

D’une certaine façon, Fahrenheit 9/11 est en phase avec une compétition placée cette année sous le signe de la politique, notamment avec Alexandrie, New York de Youssef Chahine et La porte du Soleil de Yousry Nasrallah. Mais Chahine joue avec finesse et humour de la faiblesse de ses moyens pour reconstituer dans le capharnaüm d’un studio cairote une université américaine, Nasrallah livre dans la Porte du soleil la première fresque cinématographique de la geste palestinienne tout en la mettant finement en crise… Rien de tout cela dans Fahrenheit 9/11 qui assène sa vérité au marteau-piqueur et se contente de rabattre un commentaire incisif sur des images dont l’origine est le plus souvent incertaine.

La difficulté à appréhender le film de Michael Moore comme un véritable documentaire se joue à deux niveaux: les images ne sont jamais «sourcées» (le cinéaste prétend ainsi que celle de la guerre en Irak sont celles qu’a prises son équipe, infiltrée auprès des soldats américains), et les commentaires en voix off ne sont jamais étayés (il semble ainsi que la plupart des affirmations montrant les intérêts communs aux familles Bush et Ben Laden soient extraites du livre de Craig Unger House of Bush, House of Saud). Force est alors de prendre «le meilleur film de la compétition» (dixit les jurés Emmanuelle Béart et Tarantino) pour ce qu’il est: cheap dans sa forme (la musique lui sert de béquille rythmique permanente), superficiel et simpliste dans le fonds.

Le comble est atteint lorsque Moore filme un groupe de pacifistes américains puis nous apprend qu’ils ont été infiltrés par un agent de la CIA. Le plan qui montre cette débonnaire assemblée plus préoccupée par la dégustation collective d’une corbeille de cookies que par le Grand Soir est assorti d’un ironique commentaire (en substance: «Comment ces braves gens pourraient-ils être des terroristes?»). La grossièreté et le simplisme du procédé, qui relève d’un retournement sommaire du fameux délit de faciès (un obèse accro aux cookies ne peut pas être un terroriste) remet alors définitivement le film à sa juste place: celle d’un pur et simple objet de propagande.



par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 24/05/2004 Dernière mise à jour le 24/05/2004 à 14:46 TU