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Cannes à deux jours du clap «première»

Les camions de l'entreprise Filminger, chargée d'acheminer les copies de film à Cannes, ont été bloqués le 7 mai. 

		(Photo AFP)
Les camions de l'entreprise Filminger, chargée d'acheminer les copies de film à Cannes, ont été bloqués le 7 mai.
(Photo AFP)
Les intermittents du spectacle sont déçus par le«plan d’urgence» proposé par le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, et par le refus de Jean-Pierre Raffarin, premier ministre, de «suspendre l’agrément» de la réforme de leur régime spécifique d’assurance chômage. Ils ont appelé à une «forte mobilisation» pendant le festival de Cannes qui doit se dérouler entre le12 et le 23 mai. S’ils assurent ne pas vouloir «faire capoter» le festival; ce dernier risque bien, toutefois, d’être très vivement bousculé.
A deux jours de l’ouverture du Festival de Cannes, les intermittents du spectacle réclament toujours la renégociation de leur système d’assurance chômage. Ils sont déterminés à faire entendre leurs revendications sur le forum de la ville festivalière, tandis que le Premier ministre les assimile à des «preneurs d’otage».

Renaud Donnedieu de Vabres estime que «la sortie de crise est possible si tout le monde fait preuve de bonne volonté», aussi demande-t-il à l’Unedic, qui gère l’assurance chômage, de «faire un geste dans le dossier des intermittents» et, aux intermittents, «de prendre en compte le changement d’attitude du gouvernement et l’ampleur de [ses] propositions»: «l’Etat a fait un geste en s’impliquant dans le règlement de la situation et jette ainsi les bases d’un nouveau système d’indemnisation» dit-il en faisant allusion à la création d’un fonds spécifique doté de 20 millions d’euros.

Appel à un «renforcement de mobilisation»

Prié de dire pourquoi le gouvernement ne revient pas sur la convention d’assurance-chômage, le ministre de la Culture répond que «le pouvoir de décision est partagé par les partenaires sociaux {et que] l’abrogation pure et simple de l’accord de juin 2003 ne règlerait rien et renverrait les intermittents dans l’inconnu à une situation plus défavorable». Il indique par ailleurs avoir nommé «un expert, ancien responsable de la Sécurité sociale, pour chiffrer l’ampleur de l’exclusion» qu’impliquerait la réforme de juin 2003, jugeant «fantaisiste» le chiffre de «1 500 exclus par mois fourni par la CGT».

Jean Voisin, secrétaire général de la fédération CGT du spectacle, a affirmé, quant à lui, lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale du «comité de suivi» (qui réunit des parlementaires de tout bord, la CGT spectacle et la Coordination des intermittents): «notre volonté n’est absolument pas de faire des menaces. Ce protocole est bon ou mauvais. S’il est mauvais, il faut avoir le courage de le retirer. Nous, nous parlons d’abrogation, mais une suspension serait déjà une avancée importante. Il y a manifestement un blocage, qui ne vient pas de la rue de Valois (siège du ministère de la Culture); il se situe entre le ministère de la Cohésion sociale, et Matignon». L’intuition ne semble pas dénuée de bon sens: selon une toute dernière dépêche AFP, «Jean-Pierre Raffarin demande à l’Unédic de reprendre les discussions».

Les syndicats de leur côté appellent au renforcement de la mobilisation; et promettent «des actions mémorables» à l’occasion de la 57e édition du Festival de Cannes. Soulignant que «ne pas menacer Cannes ne veut pas dire ne rien revendiquer», les intermittents ont déjà fait part de leurs exigences parmi lesquelles «une conférence de presse quotidienne au sein du palais», et «une prise de parole aux soirées d’ouverture et de fermeture». La Coordination des intermittents précaires assure «vouloir occuper le Festival, et les esprits».

Un festival de surprises pas toujours festives

Déterminés à se faire remarquer pour faire entendre leurs revendications, une centaine d’intermittents ont bloqué vendredi soir pendant quelques heures en banlieue parisienne des bobines et des copies de films en partance pour Cannes. Demain mardi, deux bus affrétés par la Coordination des intermittents partiront de Paris vers la Cote d’Azur, emportant entre autres matelas et sacs de couchage: «on peut compter sur six cents lits en centre ville. Renfort ou pas de CRS, on sera partout dehors et dans le palais des Festivals».

Du côté des organisateurs, Véronique Cayla, directrice du Festival, a déclaré sur France Inter «pour l’instant ce qui nous inquièterait le plus, c’est une dramatisation excessive de la part de certains médias. (…) Même si on n’est jamais à l’abri d’un débordement, une annulation du Festival est totalement exclue. Le paradoxe est que sur 1 500 personnes employées chaque mois de mai sur le festival, aucune n’appartient aux intermittents du spectacle. Nous en sommes fiers; nous n’avons jamais cherché (…) à utiliser les avantages de ce régime spécifique, et bien sûr nous continuerons», ajoutant par ailleurs «nos objectifs ne sont absolument pas incompatibles. Nous pouvons tout à fait répondre au désir des intermittents de s’exprimer, tout en respectant la mission première du festival, qui est de recevoir les artistes».

«L’annulation du festival, il n’en est absolument pas question (…) songez à ce que cela représenterait pour le festival dans le monde et (…) pour tous ces artistes qui comptent sur nous pour faire découvrir leurs oeuvres, et pour les défendre», a également précisé Véronique Cayla. Toutefois, les intérêts des uns et les manque à gagner des autres sont loin d’être comparables.

Les prises de position, au sein de la profession, divergent

La société des réalisateurs de films (SRF) «tient à apporter son soutien au ministre de la Culture dans sa recherche d’une solution négociée, équitable et financièrement acceptable pour les intermittents». Par ailleurs, la SFR, créée au lendemain des évènements de mai 68, donnant naissance à la Quinzaine des réalisateurs (section parallèle du Festival de Cannes) «tient à souligner la capacité d’écoute, les efforts et la volonté du ministre de la Culture et de son équipe pour trouver enfin une issue à ce conflit».

Mais douze réalisateurs, dont les films ont été retenus dans l’une des sélections du Festival, ont témoigné de leur solidarité avec les intermittents: «si les intermittents n’existaient pas, nos films n’existeraient pas. Il est urgent de trouver des solutions durables. Nous tenons à ce que les films soient vus et à ce que la parole circule, et nous serons présents le 14 mai à la conférence de presse du comité de suivi».

Depuis le début de son existence officielle, le Festival de Cannes n’a été annulé qu’une seule fois après la Seconde Guerre mondiale: lors de la révolte étudiante et des grandes grèves de 1968. Le cinéaste Jean-Luc Godard s’y était illustré. Or, cette année, le cinéaste propose un film hors compétition, et «a donné 5 000 euros à la Coordination des intermittents. Humour ou provocation, il aurait assorti son geste d’une petite phrase «Tenez, et allez faire sauter Cannes!» rapporte le Parisien de ce jour.

Cannes s’attend donc de plus en plus à connaître des heures mouvementées. La police prévoit d’éventuels débordements et «redoute des actions commandos». Cinq compagnies de CRS sont prévues au lieu des quatre habituelles pour protéger le festival, soit au total près de 600 policiers mobilisés sur place, épaulés en cas de besoin par des renforts de communes limitrophes.

Outre la colère des intermittents, les organisateurs craignent que la «vitrine internationale» servent de marche-pied aux autres mouvements sociaux (chercheurs, précaires, Attac, Confédération paysanne) qui grossiraient les rangs des mécontents et qui voudraient récupérer le mouvement des intermittents du spectacle, à d’autres fins que leur combat.



par Dominique  Raizon

Article publié le 10/05/2004 Dernière mise à jour le 10/05/2004 à 15:34 TU