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Conflit social

Intermittents du spectacle, toujours en colère

Le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, lors de la 18e Nuit des Molières fortement perturbée par quelques intermittents du spectacle. 

		(Photo : AFP)
Le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, lors de la 18e Nuit des Molières fortement perturbée par quelques intermittents du spectacle.
(Photo : AFP)
A la veille de l’ouverture du Printemps de Bourges et la reprise de la saison nouvelle des festivals, la colère des intermittents du spectacle se montre toujours aussi vive. Renaud Donnedieu de Vabres, récemment nommé ministre de la Culture, a eu l’occasion de le mesurer hier, lors de la 18ème cérémonie de remise des Molières qui s’est déroulée dans la plus grande cacophonie, perturbée par une grève surprise des techniciens du spectacle. Le ministre de la Culture s’est montré conscient de l’urgente nécessité à ré-ouvrir le dossier, et s’engage à «entreprendre un dialogue .

La remise des récompenses décernées aux professionnels du théâtre a eu lieu dans la cohue et l’improvisation après avoir failli être totalement annulée: quelques manifestants techniciens du Théâtre des Champs-Elysées, entraînés par une trentaine de membres de la coordination des intermittents d’Ile-de-France et des membres de la CGT Spectacle, avaient envahi le plateau vers 20H.00. Les prix ont finalement été remis dans une joyeuse pagaille, non sans que Michel Drucker, chargé de remettre les prix souligne: «c’est un fiasco, mais on va essayer de s’amuser quand même. Ca me rappelle le Festival de Cannes en mai 1968». Au final, si cette grève spontanée n’a pas été plébiscitée par l’ensemble de la salle -soit quelque 2 000 invités du Tout-Paris du spectacle en robes de soirées et costumes- laquelle était partagée entre sifflets et applaudissements, l’agitation a montré combien le responsable même de la CGT-spectacles pouvait être dépassé par la base, et être contrecarré sur le terrain.

 

Pour rappel, en effet, dans la journée même étaient réunis autour du ministre de la Culture, les 70 protagonistes représentants des artistes, syndicalistes et employeurs parties prenantes dans le conflit (composant le Conseil national des professions du spectacle), afin de relancer le dossier concernant la réforme de l’assurance chômage des intermittents. A l’issue de cette rencontre, le tout nouveau locataire de la rue de Valois avait dit «mesurer la responsabilité écrasante qui est la sienne» dans ce dossier, et souhaiter par ailleurs que le débat «reste le plus ouvert possible», affirmant enfin «j’ai reçu cinq sur cinq le message envoyé par certains de mes interlocuteurs. Je pense pouvoir annoncer quelque chose de concret avant les festivals».

 

Mais, étant donné l’ampleur du dossier, il avait aussi demandé qu’un peu de temps lui soit laissé : «qu’on me fasse un tout petit peu confiance pour tout mettre sur la table et avancer progressivement. J’ai compris qu’il y avait un signal à donner, j’y travaille et j’espère être en mesure le plus rapidement possible de faire des propositions concrètes». Jugeant «décevant» le discours du ministre qui ne «donnait pas le signal fort attendu», le secrétaire général de la CGT-Spectacle, Jean Voisin, avait toutefois ajouté : «Nous avons compris que le ministre est dans de bonnes dispositions, et qu’il vient juste de poser ses valises. Nous ne faisons pas de procès d’intention».

 

«Il faut qu’on ne considère pas comme incompatible l’activité artistique et le débat»

 

La rude journée du ministre de la Culture aura donc mis l’accent, si nécessaire était, sur l’urgence de la situation. Face à la nouvelle menace de perturbations des festivals -à commencer par le Printemps de Bourges cette semaine, et le Festival de Cannes dans trois semaines- le ministre demandait un peu de temps: «Je demande dans un même élan (…) aux régions, aux départements, aux communes, au public et à toutes celles et ceux qui financent l’activité artistique de conjuguer leurs efforts et (aux artistes et aux techniciens) de ne pas faire grève. Il faut qu’on ne considère pas comme incompatible l’activité artistique et le débat». La grève, qui a perturbé la soirée des Molières, constitue un message clair qui n’a pas échappé au ministre de la Culture. Les techniciens du TCE n’ont pas confirmé la position de Jean Voisin -qui s’était déclaré dans la journée confiant en l’«assurance d’un nouveau dialogue social»- et  ont montré que la base pouvait à tout moment rallumer l’incendie qui a déjà mis en péril les festivals de l’été dernier.

 

«Il faut qu’on sorte de cette crise. Je le reconnais» a déclaré le ministre, qui espère être en mesure de «faire rapidement des propositions concrètes», parce qu’il «il est urgent d’entendre et de comprendre chacun». Pour commencer, Renaud Donnedieu de Vabres a renouvelé la promesse selon laquelle il avait obtenu de Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, le maintien du budget de la Culture. Quant à la réforme du régime d’assurance-chômage qui suscite tant de colère depuis un an, «le gouvernement ne se désintéressera pas, a-t-il assuré,  de la négociation entre les partenaires sociaux», invitant patronat et syndicats à renégocier l’accord conclu au printemps 2003 (contre l’avis du syndicat majoritaire, la CGT, et celui de Force ouvrière). Renaud Donnedieu de Vabres a par ailleurs ajouté: «pour moi, l’abrogation n’est pas une fin en soi. Ce qui est l’objectif, c’est d’avoir un système qui convienne à chacun ou au maximum possible parce que je ne pense pas que j’arriverai à faire la paix universelle mais je veux tout mettre sur la table».

 

«Bec et ongles, je défendrai la spécificité du régime des intermittents»

 

Admettant, sur France Inter, que l’on commençait à percevoir les conséquences négatives de la réforme de 2003, le ministre a déclaré qu’il voulait «rétablir la confiance»: «j’ai comme objectif d’être le ministre de l’emploi culturel, d’être le ministre qui soutient sur tous les plans l’exception culturelle française». Mais il a aussi souligné : «la difficulté technique, c’est que je n’ai pas les pleins pouvoirs. C’est un pouvoir partagé entre les partenaires sociaux et de l’autre côté l’Etat, donc je suis obligé de faire très attention pour préciser le cadre juridique dans lequel tout ça doit intervenir».

 

Donnant un coup de canif dans le credo libéral du gouvernement et du Medef, qui voudraient faire du contrat entre organisations patronales et syndicales la clef du droit social, le ministre a avancé: «ce qui est terminé, c’est peut-être le temps où on laissait faire totalement les partenaires sociaux. Je leur fais confiance mais ils ont, et j’ai, une obligation de résultats sur un certain nombre de points. (…) Bec et ongles, je défendrai la spécificité du régime des intermittents du spectacle. Je veux instituer une méthode, avec tout le monde autour de la table, qu’on définisse ensemble un calendrier et que chacun puisse, étape par étape, me prendre au mot, surveiller si je tiens la feuille de route que j’aurai fixée».

 

Si le ministre a reconnu que l’«intermittence ne permet pas vraiment de répondre aux difficultés structurelles rencontrées par l’assurance chômage pour ce secteur», il n’en évoque pas le retrait. Par ailleurs «la dérive de la croissance rapide et non maîtrisable du déficit » de cette même intermittence est inenvisageable». En conséquence de quoi, Renaud Donnedieu de Vabres a demandé «une étude juridique très précise de toutes les possibilités pour l’Etat de marquer son intervention et d’assumer ses responsabilités»: des ajustements notamment vis-à-vis des salariés en congé de maternité ou en congé de maladie, ou bien encore concernant la prise en compte des heures d’enseignement lui semblent, par exemple, nécessaires. Il a également annoncé «le financement du plan d’emploi pour le spectacle vivant». Il a déclaré avoir demandé aux directeurs régionaux des affaires culturelles de réunir un «conseil régional des professions du spectacle», et fait part de son intention «d’obtenir l’extension au secteur audiovisuel» du crédit d’impôt qui existe pour le secteur du cinéma «sous réserve qu’il se traduise par un développement de l’emploi stable».

 

Les intermittents réclament le retour à l’ancien régime, unique en Europe et très avantageux, mais déficitaire de  quelque 850 millions d’euros par an. Ce système permettait de travailler 3 mois pour être indemnisés pendant un an. Mais l’accord 2003 a radicalisé la situation de 100 000 intermittents qui sont loin de vivre tous comme des privilégiés, et souffrent souvent d’une grande précarité. Il est donc urgent de sortir d’une impasse.

 

Le patronat qui gère avec les syndicats l’Unedic, lui-même déficitaire (7 milliards prévus fin 2004) a opposé une fin de non recevoir à toute renégociation de l’accord : «L’accord qui a été signé est un accord sur lequel on ne doit pas revenir. Si accord supplémentaire il y a, il doit être traité dans le cadre du ministère de la Culture» a déclaré Ernest-Antoine Seillière, président du Medef.



par Dominique  Raizon

Article publié le 20/04/2004 Dernière mise à jour le 20/04/2004 à 14:15 TU

Audio

Stéphane LAGARDE

Journaliste à RFI

«Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture, espère être en mesure de faire des propositions concrètes avant les festivals.»

[20/04/2004]

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