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Avignon : le festival «off» continue

Après l’annulation du festival officiel d’Avignon par son directeur Bernard Faivre d’Arcier en raison de la grève des intermittents du spectacle, les quelque quatre cents compagnies du festival «off» qui continuent de jouer quotidiennement sur les scènes privées de la cité papale, devant des salles souvent parsemées, ont le moral en berne. Pourront-elles tenir jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au 31 juillet ? Rien n’est moins sûr. Craignant le chaos et la banqueroute, une centaine de compagnies sur les cinq cent soixante-cinq inscrites initialement ont plié bagage dès l’annonce de l’annulation du festival. Leurs acteurs et techniciens ont soit carrément quitté la région, soit rejoint les différents collectifs d’intermittents qui manifestent tous les jours dans les rues d’Avignon. D’autres ont interrompu leurs spectacles après le week-end désastreux du 14 juillet dont on attendait beaucoup mais qui ne fut riche qu’en non-événements, le président Chirac ayant refusé lors de son allocution télévisée traditionnelle de retirer l’accord sur les intermittents signé par son gouvernement. La tension est très grande au sein même des compagnies qui jouent dans le «off», entre ceux qui veulent continuer à tout prix et ceux qui veulent rejoindre leurs camarades grévistes, arguant de «la nécessaire solidarité corporatiste face à un gouvernement acquis aux thèses ultra-libérales du patronat». Rencontre avec le directeur d’Avignon Public Off, Alain Léonard.
RFI : L’annulation du festival «in» d’Avignon peut-elle être une opportunité pour le festival «off» de s’imposer ?

Alain Léonard:
Absolument pas. Le «in» et le «off» sont deux volets constitutifs et interdépendants du festival d’Avignon. Nos destins sont étroitement liés. Par conséquent, lorsque l’un est affaibli, l’autre l’est aussi, automatiquement. D’autant plus que les raisons qui ont conduit Bernard Faivre d’Arcier à annuler le festival «in» nous concernent directement. Elles concernent tous les acteurs et les techniciens qu’ils soient du «in» ou du «off». Les nouvelles dispositions prises par le gouvernement pour modifier le régime des intermittents portent un coup grave à la création artistique et culturelle de notre pays.

RFI : Alors pourquoi n’avez-vous pas annulé carrément le «off» en solidarité avec les intermittents du «in» ?

A.L. :
Tout simplement parce que je n’ai pas le pouvoir de décider quand le « off » doit s’arrêter. Contrairement à ce qui se passe dans le festival «in», il n’y a pas d’entité centrale qui dirige l’ensemble du «off». L’association Avignon Public Off que je coiffe est simplement une structure de coordination. Nous nous occupons de la publication et de la distribution du programme et nous servons d’interface entre les compagnies et les festivaliers. Ce sont les compagnies qui décident de venir jouer ou de ne pas jouer. C’est elles qui décident de faire grève ou non. Je sais que certaines troupes sont parties. D’autres ont courageusement transformé les lieux de représentation en forum de débat. Et le reste continue de jouer, la mort dans l’âme car elles savent qu’elles jouent leur survie. Au jour d’aujourd’hui sur les six cent soixante-quinze spectacles programmés, près de 80% sont maintenus. Certains théâtres affichent même complets.

RFI : Comment avez-vous vécu l’annulation du festival officiel ?

A. L.:
C’était un très grand choc pour nous tous. Je vous rappelle que c’est la première fois que le festival officiel est ainsi annulé. Même pendant les événements de 1968, les spectacles ont été maintenus. J’aurais personnellement préféré que le «in» continue car il aurait permis d’expliquer au public la justesse des revendications des intermittents. Le festival aurait servi de haut parleur à toute notre profession. En l’annulant, on nous a privé d’un formidable forum. Il ne reste maintenant que les troupes du «off» pour dire haut et fort que la création théâtrale française n’est pas morte.

RFI : Pouvez-vous rappeler comment est né le «off» ?

A. L.:
Le premier spectacle «off» date probablement de 1966. Il s’agissait d’une pièce présentée en marge du festival officiel, mise en scène par un jeune artiste avignonnais André Benedetto. Mais l’idée d’organiser un festival alternatif parallèlement au festival officiel est sans doute né en 1968 suite aux déboires que connaît un autre artiste d’Avignon. Il s’agit de Gérard Gelas. Le préfet du Gard avait interdit la représentation de sa pièce intitulée La paillasse aux seins nus. Cela a mis le feu aux poudres. Le feu s’est répandu à la faveur de l’effervescence de 1968. Maurice Béjart qui était l’invité principal du festival cette année-là, a accueilli sur le plateau du Palais des Papes les acteurs de la troupe de Gelas. Ceux-ci sont venus baillonnés pour bien montrer qu’ils avaient été censurés.

RFI : D’où vient le nom «off» ?

A. L.:
On le doit à une journaliste américaine qui l’a utilisé la première fois dans un papier publié en 1971 et dans lequel elle compare le festival d’Avignon à Broadway où la critique distingue les spectacles de Broadway des spectacles «off Broadway».

RFI : Est-ce que l’esprit du «off» a évolué depuis ces années inaugurales ?

A. L. :
Effectivement, aujourd’hui l’esprit n’est plus le même. Dans les années 60 et 70, les troupes qui participaient dans le «off» le faisaient dans un esprit de contestation. Elles contestaient les choix esthétiques et théâtraux de l’équipe du festival dirigée alors par Jean Vilar lui-même. Cette démarche s’inscrivait dans l’esprit contestataire de l’époque. L’approche des troupes aujourd’hui est beaucoup plus pragmatique. Elles veulent toutes venir à Avignon car les festivaliers sont de plus en plus nombreux. Elles viennent aussi pour rencontrer les acheteurs et les diffuseurs de spectacles qui viennent au festival pour faire leur «marché» pour la saison à venir.

RFI : Comment voyez-vous l’avenir du festival d’Avignon après le choc de 2003 ?

A. L. :
Il faut espérer que de ce choc naîtra quelque chose de nouveau. L’annulation du festival cette année a montré que la culture fait vivre des villes, des régions entières. La prise de conscience que la culture est économiquement viable aura peut-être pour conséquence que nous les permanents et les intermittents de la culture serons enfin pris au sérieux.



par Tirthankar  Chanda

Article publié le 20/07/2003