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France

Cerveaux et artistes en guerre contre le gouvernement

Les intermittents du spectacle ne semblent pas prêts d’arrêter le combat qu’ils ont engagé contre la réforme de leur assurance chômage. En quelques jours, ils ont multiplié les offensives médiatiques pour mettre en cause le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, et son ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, accusés de refuser le dialogue sur le dossier qui les concerne. Après le bras de fer engagé par les chercheurs qui veulent obtenir des financements suffisants pour poursuivre leurs travaux, le gouvernement doit faire face à une nouvelle révolte des représentants des professions culturelles qui mettent en garde contre une tentative pour réduire «l’intelligence» au silence sous couvert d’un nécessaire pragmatisme budgétaire.
Les chercheurs et les intermittents du spectacle ont trouvé leur plus petit dénominateur commun: mettre en cause la politique du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Les premiers dénoncent la réduction des budgets alloués ces dernières années aux laboratoires qui risquent de condamner à terme la recherche publique française à se contenter d’être le parent pauvre de la recherche mondiale. Les seconds refusent d’entériner la réforme de leur assurance chômage et ne cessent d’en appeler au gouvernement pour qu’il rouvre des négociations en vue de modifier le régime qui leur est proposé. Mais tous estiment qu’ils se heurtent à un mur d’incompréhension de la part d’une équipe gouvernementale, entièrement soumise aux logiques comptables, et bien moins préoccupée de l’avenir des professions intellectuelles et artistiques dans le pays que de celui des buralistes et des retaurateurs.

La «pétition contre la guerre à l’intelligence» lancée par le magazine Les Inrockuptibles a, dans ce contexte, obtenu un succès encore plus rapide que celle que les chercheurs avaient diffusé le 7 janvier dernier. En quelques jours, plus de 30 000 signatures ont été recueillies parmi lesquelles celles de quelques intellectuels célèbres comme le sociologue Alain Touraine ou le metteur en scène Patrice Chéreau. Et comme si cela ne suffisait pas, le ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon a dû faire face au supplice de la critique publique durant la dernière cérémonie des Césars, à l’occasion de laquelle les meilleurs films et acteurs de l’année reçoivent des récompenses. Placé au premier rang des spectateurs de la soirée, il a eu droit à une mise en accusation en règle de la part de l’actrice Agnès Jaoui. Les mots de la comédienne, longuement applaudie par la salle, n’ont pas été tendres: «Nous avons une diversité culturelle que le monde entier admire et vous êtes, à coup de lois absurdes, en train de la détruire».

Des arrières-pensées électorales

Ces accusations ont provoqué des réactions très vives de la part de Jean-Jacques Aillagon mais aussi de Jean-Pierre Raffarin, l’un comme l’autre peu enclins à accepter sans riposter d’être traités de fossoyeurs de la culture et du savoir en France. Le ministre de la Culture a répondu à Agnès Jaoui: «Quand j’entends madame Jaoui dire des choses inexactes, je trouve cela consternant.» Mais il s’est aussi insurgé contre le monopole sur l’intelligence que revendiquent les signataires de la pétition des Inrockuptibles: «Quelle outrecuidance, cette prétention à s’arroger le monopole de défense de l’intelligence! Quelle vulnérabilité à l’instrumentalisation politicienne. La pire des choses qui pourrait guetter l’intelligence dans ce pays, c’est de s’enfermer dans un immobilisme et un protectionnisme qui finirait par l’engloutir». Le Premier ministre n’a pas été en reste: «Quand j’entends parler de guerre à l’intelligence, je pense que la géométrie partisane l’emporte sur la finesse républicaine». Car du point de vue du gouvernement, ces mouvements convergents sont entretenus par la gauche dans la perspective des élections régionales du mois de mars et le soutien dont les intermittents bénéficient de la part d’élus socialistes, comme François Hollande ou Jack Lang, n’est pas dépourvu d’arrières-pensées électorales. Jean-Jacques Aillagon a ainsi dénoncé «l’inaction et la démagogie de la gauche» qui «a tenté et continue de tenter, de faire des milieux culturels une base sociologique de son influence».

Il n’empêche que les représentants de la gauche ne sont pas les seuls à avoir pris fait et cause pour les intermittents. Le comité de suivi de la réforme, mis en place le 17 décembre 2003, compte dans ses rangs des parlementaires de la majorité comme le député Etienne Pinte ou la maire d’Avignon Marie-José Roig, qui estiment que leurs requêtes devraient être mieux prises en compte. Ce comité a d’ailleurs présenté une plate-forme qui propose de nouvelles solutions pour réformer le financement de l’assurance chômage des intermittents en garantissant notamment la mutualisation et l’égalité des traitements. Ces propositions sont destinées à servir de base à une nouvelle négociation. Et elles ont rencontré un écho plutôt favorable auprès des ministres concernés. François Fillon, le ministre des Affaires sociales, a annoncé qu’il allait les examiner et qu’il était ouvert à la reprise du dialogue. Jean-Jacques Aillagon a, quant à lui, déclaré que «le dispositif actuel peut être amélioré» et a décidé de recevoir la semaine prochaine la coordination des intermittents pour discuter de la plate-forme.

Il est vrai qu’entre la menace des directeurs des laboratoires publics de démissionner collectivement si leurs revendications ne sont pas prises en compte d’ici le 9 mars, et celle des intermittents, qui ont appelé à manifester le 6 et 13 mars (juste avant les régionales), de bloquer cette année encore les festivals culturels de la saison estivale, s’ils n’obtiennent pas satisfaction, le gouvernement a intérêt à tenter de désamorcer la bombe «intelligente» au plus vite.



par Valérie  Gas

Article publié le 26/02/2004