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France

Recherche : les scientifiques crient casse-cou

Les plus grands chercheurs français ont signé une pétition lancée sur Internet pour demander au gouvernement de revoir sa politique budgétaire et de débloquer sans attendre des moyens suffisants pour leur permettre de travailler. La grogne des chercheurs qui dure depuis près de deux ans est en train de se transformer en révolte. Et plus de deux cents directeurs de laboratoire ont annoncé que, s’ils n’obtenaient pas satisfaction très vite, ils présenteraient une démission collective.
Plus de 4 000 signatures en quatre jours. La rapidité avec laquelle les membres de la communauté scientifique française ont signé la pétition lancée sur Internet pour «sauver la recherche» montre à quel point la situation est grave. D’autant que parmi les signataires, on trouve un grand nombre de chefs d’équipe ou d’unités parmi lesquels Axel Kahn, le directeur de l’Institut Cochin, Alain Fischer, le directeur d’une unité Inserm-Institut Necker ou Geneviève Rougon, la directrice de l’Institut de biologie du développement de Marseille. C’est la première fois que ceux que l’on appelle les «mandarins» s’investissent aussi directement pour soutenir le mouvement des chercheurs. Ils ont non seulement signé la pétition mais menacé de démissionner de leurs fonctions si «les pouvoirs publics ne mesurent pas la gravité de la situation et, en particulier, la désespérance des plus jeunes qui devient le problème central de nos laboratoires».

Et les chercheurs n’attendent pas de vaines promesses d’amélioration à moyen ou long terme. Ils veulent le déblocage immédiat des crédits gelés, l’augmentation des postes mis au concours en 2004 pour les jeunes chercheurs mais aussi la réunion dans les plus brefs délais d’assises nationales de la recherche. Les scientifiques dénoncent en fait l’écart qui existe entre les discours du gouvernement et les actes. Même si le président Chirac a lui-même annoncé l’adoption d’une nouvelle loi d’orientation pour la recherche en 2004 et a réaffirmé que l’objectif défini était de consacrer 3 % du produit intérieur brut (PIB) à ce domaine d’ici 2010, les chercheurs estiment que c’est aujourd’hui qu’il faut commencer à agir pour redresser la barre. Car pour le moment, on est loin du compte. En 2003, les dépenses engagées par la France en faveur de la recherche ont représenté 2,13 % du PIB contre 2,98 % pour le Japon et 2,69 % pour les Etats-Unis.

«On n’a pas besoin de loi, on a besoin de sous»

Claude Allègre, ancien ministre socialiste de l’Education nationale et de la Recherche mais aussi membre de l’Académie des Sciences, professeur à l’Institut universitaire de France et titulaire de la chaire des Sciences de la terre à la faculté de Jussieu, qui s’est dit totalement solidaire du mouvement et prêt à signer la pétition «les yeux fermés», a résumé l’état d’esprit d’un grand nombre de ses confrères : «On n’a pas besoin de loi, on a besoin de sous». Des sous pour pérenniser les projets de recherche fondamentale et offrir aux jeunes chercheurs une juste rémunération de leur talent et des moyens pour poursuivre leurs travaux. Dans un tel contexte, Claude Allègre lui-même affirme qu’il envisage «sérieusement» d’aller travailler aux Etats-Unis «six mois par an».

Les chercheurs estiment que les restrictions budgétaires ont des conséquences catastrophiques : «Les baisses de crédits ajoutées aux annulations de crédits et au non paiement des crédits votés par la parlement mettent plusieurs établissements publics à caractère scientifique et technique (EPST) et les établissements publics industriel et commercial (EPIC) au bord de la faillite». A titre d’exemple, 200 millions d’euros votés en 2002 ont été gelés et 50 % des crédits de fonctionnement du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), pour la même année, ne lui ont pas été versés. Des arguments auxquels Claudie Haigneré, la ministre de la Recherche, a rétorqué que «les crédits gelés en 2002» seraient «versés en 2004 et 2005 en fonction des besoins», sans réussir à convaincre les scientifiques que cette mesure répond à leurs attentes.

Dans un contexte aussi tendu, il semble que c’est l’annonce de la réduction du nombre de postes permanents mis au concours pour l’année 2004 qui a provoqué la colère de chercheurs mal dans leur peau depuis près de deux ans. Près 500 emplois statutaires doivent ainsi être supprimés dans les organismes de recherche publics et remplacés par des contrats à durée déterminée de trois à cinq ans. Pour l’ancien ministre de la Recherche, Roger-Gérard Schwartzenberg, cette décision risque de transformer les jeunes scientifiques en «intermittents de la recherche».

Sans statut et avec un avenir en pointillé, les jeunes diplômés français vont être de plus en plus tentés d’aller chercher ailleurs ce qu’ils ne pourront rapidement plus trouver en France. Selon les pétitionnaires : «Cet abandon fera que l’écart avec les autres pays équivalents atteindra rapidement un point de non retour, d’autant plus rapidement que les jeunes scientifiques s’expatrieront, un mouvement déjà largement amorcé». Autrement dit, l’absence de crédits publics suffisants dédiés à la recherche fondamentale risque d’aboutir à faire entrer la France «dans la logique du sous-développement». Car la recherche appliquée, souvent financée par le secteur privé, qui génère profit et emploi «ne peut exister qu’en utilisant les nouveaux outils et concepts inventés par la recherche fondamentale». Et dans un tel contexte, la fuite des cerveaux ne pourra que s’accentuer au profit des Etats-Unis, qui deviennent de plus en plus la terre d’accueil des chercheurs internationaux.



par Valérie  Gas

Article publié le 12/01/2004 Dernière mise à jour le 29/09/2005 à 12:49 TU