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France

Attentat contre la voiture d’Aïssa Dermouche

Le nouveau préfet «issu de l’immigration», nommé la semaine dernière, Aïssa Dermouche, n’est pas encore entré en fonction dans le Jura, qu’il est déjà la cible d’un acte de malveillance. Sa voiture a explosé dans la nuit du 17 au 18 janvier, à Nantes, où il réside encore. Les enquêteurs ne disposent, pour le moment, d’aucune piste pour identifier les responsables de cette explosion qui a détruit le véhicule mais n’a fait aucun blessé. Par contre, ils ont déjà acquis la certitude qu’il s’agit d’un acte délibéré et préparé.
Aïssa Dermouche ne se connaît aucun ennemi et n’a d’ailleurs reçu aucune menace. Jusqu’à sa nomination, il y a quelques jours, au poste de préfet du Jura, il menait une vie plutôt paisible à Nantes où il dirige l’Ecole supérieure de commerce et de management (Audencia). Et pourtant, des inconnus ont introduit sous le capot de sa voiture une charge puissante dont l’explosion a provoqué, aux alentours de 4 heures du matin dimanche 18 février, la destruction du véhicule mais aussi des dégâts dans les immeubles situés à proximité.

Les enquêteurs qui sont très vite arrivés sur le terrain n’ont pas encore d’indices concernant l’identité du ou des responsables de cet acte qui n’a pas été revendiqué. Ils n’écartent donc aucune piste. Ils attendent, dans un premier temps, d’avoir les résultats des expertises techniques en cours pour connaître la nature des explosifs utilisés et le système de mise à feu. Ces indications pourraient leur permettre d’échafauder des hypothèses sur les éventuels auteurs de l’attentat mais aussi de savoir si la charge a explosé tout de suite ou si un retardateur a été placé dans la voiture. Donc d’évaluer si l’explosion était simplement destinée à intimider le préfet ou visait à le blesser.

«Ce geste criminel visait personnellement le nouveau préfet»

Quel que soit le but recherché, les circonstances dans lesquelles la charge a été placée sur le moteur de la voiture d’Aïssa Dermouche montrent qu’il ne s’agit pas d’un acte improvisé. Le nouveau préfet avait assisté samedi soir à un match de football et était rentré chez lui aux alentours de minuit. Il s’était garé dans une rue voisine de la sienne, dans un quartier résidentiel de Nantes, faute de place plus proche. Tout laisse donc penser qu’il a été suivi et que les auteurs de l’attentat ont agi avec préméditation. Le procureur de la République, Jean-Marie Huet, a d’ailleurs déclaré : «La voiture n’était pas devant chez lui, il fallait donc savoir que c’était la sienne… Le ou les auteurs de cet attentat ont nécessairement préparé ce geste criminel qui visait personnellement le nouveau préfet et le symbole qu’il représente».

Aïssa Dermouche et toute sa famille [il est père de quatre enfants] ont immédiatement été placés sous protection policière renforcée et le procureur a annoncé que des «moyens exceptionnels» seraient mis en œuvre pour mener à bien cette enquête. Le nouveau préfet du Jura a reçu le soutien de l’ensemble des représentants de la classe politique française qui ont condamné l’attentat dont il a été victime. Le président de la République Jacques Chirac a exprimé «son indignation» et a demandé que «les auteurs de cet acte très grave soient poursuivis et punis avec la plus grande fermeté». Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a téléphoné à Aïssa Dermouche pour lui faire part de son soutien et a salué «sa dignité de haut fonctionnaire serviteur de l’Etat». Quant au ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, il a reçu le nouveau préfet dès lundi matin.

L’explosion de la voiture d’Aïssa Dermouche a tout de suite été reliée à sa nomination au poste de préfet du Jura, annoncée la semaine dernière après une polémique particulièrement médiatisée entre Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac autour de la notion de «discrimination positive», qui s’est déroulée dans un climat rendu très tendu par le débat sur le port du voile islamique à l’école et la décision du chef de l’Etat de légiférer pour l’interdire. Le ministre de l’Intérieur a, en effet, expliqué récemment qu’il était partisan de la nomination de hauts fonctionnaires musulmans pour favoriser l’intégration de cette communauté en France. Le président de la République a, quant à lui, affirmé que les nominations à de tels postes ne devaient être fondées que «sur la juste reconnaissance du mérite quelles que soient les origines de la personne concernée». Leurs positions a priori irréconciliables se sont pourtant rapprochées concernant la nomination d’Aïssa Dermouche. A tel point que l’Elysée a finalement revendiqué la paternité du choix du premier préfet issu de l’immigration nommé en vertu du principe de «discrimination positive».

Jusqu’à l’explosion de dimanche, la nomination d’Aïssa Dermouche avait donc été plutôt saluée. Le nouveau préfet avait même reçu de très nombreuses lettres de félicitations. Mais il semble que malgré ses compétences largement reconnues, le choix symbolique de nommer un Kabyle, né en Algérie en 1947 mais qui vit en France depuis l’âge de 18 ans, au poste de préfet n’a pas fait que des heureux. Malek Boutih, le secrétaire national du Parti socialiste aux questions de société, estime que cet acte criminel s’inscrit dans un climat difficile : «A la veille des élections, tous les extrémistes en France cherchent à créer un climat de tension». Reste à savoir si l’attentat est à mettre au compte d’un déséquilibré ou s’il a véritablement été motivé par des raisons politiques. Quoi qu’il en soit, et comme l’a rappelé Michel Alliot-Marie, la ministre de la Défense, cet acte «lâche» n’entamera pas «la volonté du gouvernement de réaliser une totale intégration».



par Valérie  Gas

Article publié le 19/01/2004