Irak
Désaccord sur le futur président
(Photo : AFP)
Si les Etats-Unis avaient voulu écarter les Nations unies du processus de transfert de souveraineté aux Irakiens ils ne s’y seraient pas mieux pris. Car en donnant leur feu vert à la désignation au poste de Premier ministre d’Iyad Allaoui, un médecin proche des services de renseignement américains, et en laissant le soin au Conseil de gouvernement provisoire d’en faire l’annonce, ils ont placé l’envoyé spécial de l’organisation internationale dans une situation peu enviable. Chargé de guider la désignation du futur gouvernement intérimaire irakien, Lakhdar Brahimi a en effet été mis devant le fait accompli. Iyad Allaoui n’était pas le premier choix du diplomate onusien qui lui préférait le Dr Hussein al-Shahristani, un ingénieur nucléaire moins marqué politiquement. Mais la candidature de ce dernier avait été majoritairement rejetée par le Conseil de gouvernement irakien qui en avait appelé à l’arbitrage de Paul Bremer.
L’annonce de la nomination du nouveau Premier ministre a d’ailleurs provoqué une certaine confusion au siège des Nations unies. «Nous ne pensions pas que cela se passerait ainsi», a dans un premier temps déclaré le porte-parole de Kofi Annan. Réagissant avec prudence, Fred Eckhard a toutefois précisé que l’envoyé spécial de l’ONU «respectait» la proposition du Conseil. «Lakhdar Brahimi respecte cette décision et il est prêt à travailler avec cette personnalité» pour sélectionner le gouvernement intérimaire, a-t-il ainsi affirmé en se gardant bien de préciser si ce dernier avait approuvé cette nomination. Plus tard dans la journée, le porte-parole a de nouveau insisté sur le fait qu’il n’y avait «pas de malentendu» sur le soutien de M. Brahimi à M. Allaoui. L’envoyé spécial «est parfaitement à l'aise avec la manière dont le processus se déroule jusqu'ici», a-t-il affirmé.
Mais quoi qu’en dise l’organisation internationale, il semblerait bien que la plupart des propositions de son émissaire aient été jusqu’à présent soit rejetées, soit ignorées. Ainsi le souhait de Lakhdar Brahimi de voir émerger un gouvernement de technocrates, éloigné de l’actuel Conseil de gouvernement qui n’a aucune légitimité auprès des Irakiens, n’a pas été retenue. Et à en croire les rumeurs autour de la formation de la nouvelle équipe au pouvoir, plusieurs membres de ce conseil devraient conserver des postes aussi importants que celui de la Défense ou de l’intérieur. Sa volonté de présenter la liste des nouveaux ministres au Conseil de sécurité pour lui donner un agrément international, a en outre été tout simplement ignorée. Sans compter que son choix –également approuvé par Washington– de nommer à la présidence Adnan Pachachi, est aujourd’hui majoritairement contesté par le Conseil de gouvernement irakien.
Discussions houleuses en perspective à l’ONUCette succession d’«avatars» n’est sans doute pas étrangère au fait que l’envoyé spécial des Nations unies ait pris ses distances avec le processus en cours. Lakhdar Brahimi n’a en effet pas participé à la réunion de dimanche au cours de laquelle le choix du nouveau chef de l’Etat devait être décidé. Cette réunion s’étant soldée par un échec, une ultime rencontre devait se tenir lundi mais elle a été reportée au lendemain par Paul Bremer. La coalition s'oppose en effet au Conseil de gouvernement sur la nomination du président, la première souhaitant voir nommer Adnan Pachachi, un ancien diplomate de 81 ans, le second s'étant lui prononcé en très grande majorité en faveur de Ghazi al-Yaouar, un chef tribal de 46 ans. «Le Conseil veut que Yaouar soit le président alors que les Américains font pression pour que ce soit Pachachi, et l'Onu ne joue aucun rôle», a ainsi affirmé, dépité, Mahmoud Osmane, un membre kurde du Conseil de gouvernement. Selon lui, «il semblerait que ce sont les Américains qui contrôlent l'affaire».
C’est dans ce contexte tendu que doivent se tenir cette semaine les discussions autour du projet de résolution américano-britannique déterminant le cadre du transfert de souveraineté aux Irakiens. Présenté le 24 mai dernier au Conseil de sécurité, ce projet prévoit de transmettre le pouvoir au nouveau gouvernement intérimaire tout en donnant aux troupes de la coalition toute latitude agir militairement et maintenir l'ordre dans un pays où l’insécurité est le principal défi pour les nouvelles autorités. Mais le statut de ces forces étrangères en Irak et leurs relations avec le futur gouvernement de Bagdad est rapidement apparu comme le point le plus épineux du texte dans la mesure où il répond à la question fondamentale du pouvoir réel dont disposera le gouvernement intérimaire irakien. La Chine, la France et l'Allemagne en particulier ont demandé mercredi dernier que le texte soit modifié, notamment sur la question du mandat de ces forces, afin de renforcer la marge de manœuvre des Irakiens.
Un vote rapide sur le projet de résolution se semble donc pas acquis comme le souhaiteraient les Etats-Unis. Et même si l'ambassadeur américain John Negroponte, futur ambassadeur en Irak, s'est montré mercredi inflexible, il n’est pas du tout certain que les membres du Conseil de sécurité se montrent conciliants. «Nous pensons avoir présenté une résolution très solide et nous ne pensons pas que cette résolution ait besoin d'être réécrite», a-t-il notamment déclaré. Une position qu’est bien loin de partager le président français, Jacques Chirac, qui a affirmé jeudi que le texte devait être «sérieusement amélioré» pour permettre au futur gouvernement irakien d'avoir «une capacité de décision réelle».par Mounia Daoudi
Article publié le 31/05/2004 Dernière mise à jour le 01/06/2004 à 08:12 TU