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Irak-Nations unies

L’étroite marge de manoeuvre de Brahimi

Lakhdar Brahimi lors de son séjour en France, le 24 avril 2004. 

		(Photo AFP)
Lakhdar Brahimi lors de son séjour en France, le 24 avril 2004.
(Photo AFP)
A moins de huit semaines de la fin officielle de l’occupation en Irak, les négociations qui doivent conduire à la mise en place du nouvel exécutif chargé de prendre la relève de l’Autorité provisoire de la coalition s’annoncent des plus difficiles. L’envoyé spécial des Nations unies en Irak, l’Algérien Lakhdar Brahimi, a en effet le plus grand mal à convaincre ses interlocuteurs irakiens de former un gouvernement intérimaire de technocrates qui aurait pour mission de gérer le pays en attendant les élections générales prévues en janvier prochain. Un scrutin dont l’organisation semble aujourd’hui des plus aléatoires tant la situation sur le terrain est loin d’être sécurisée.

Largement approuvé par la communauté internationale, le retour des Nations unies sur la scène irakienne pourrait s’avérer plus problématique que prévu pour l’organisation internationale. Chargé par Kofi Annan de superviser le transfert du pouvoir aux Irakiens en aidant à la sélection du nouveau gouvernement intérimaire, Lakhdar Brahimi a en effet le plus grand mal à imposer sa vision des choses. A l’issue d’une visite en avril en Irak au cours de laquelle il avait rencontré les représentants des différentes composantes de la société irakienne, le diplomate algérien avait préconisé la mise en place d’un gouvernement de technocrates. Ce cabinet, à durée de vie réduite et «composé d’un groupe de personnes respectées et acceptables au yeux des Irakiens» aurait eu en charge l’administration «au jour le jour» du pays en attendant les élections générales de janvier 2005. N’étant pas issue d’un scrutin démocratique, cette équipe devait éviter de s’engager sur des décisions de long terme avait en outre précisé l’envoyé spécial de Kofi Annan.

Cette proposition de Lakhdar Brahimi, ainsi que celle préconisant l’organisation dès le mois de juillet d'une Conférence nationale réunissant un millier de personnalités irakiennes et chargée de se pencher sur les grands enjeux nationaux, avaient reçu un large soutien du Conseil de sécurité des Nations unies qui avait approuvé «avec force les efforts et l'engagement de l'envoyé spécial et les idées provisoires qu'il a soumises comme base à la formation d'un gouvernement intérimaire». Mis en difficultés sur le terrain –les troupes américaines étaient alors enlisées à Falloujah, confrontées à une féroce résistance de la part des rebelles sunnites– les Etats-Unis, dont le souci majeur est de transférer comme ils s’y sont engagés la souveraineté aux Irakiens le 30 juin prochain, avaient eux aussi soutenu les propositions du diplomate algérien.

Malgré ce large soutien de la communauté internationale, Lakhdar Brahimi s’est très vite trouvé confronté à une nette opposition de l’actuel gouvernement provisoire irakien nommé par la coalition. La majorité de ses membres a en effet contesté aux Nations unies le droit de se mêler de la transition. Un des poids lourds de cet exécutif, le chiite Ahmed Chalabi, est allé jusqu’à mettre en doute l’impartialité de l’envoyé spécial de Kofi Annan en le qualifiant de «personnalité controversée».«Il est pourtant censé être un rassembleur pour choisir un gouvernement qui sera efficace», avait même dénoncé ce proche du Pentagone.

Des opposants à la coalition s’organisent

Si cette opposition ouverte à un gouvernement de technocrates révèle surtout la crainte de quelques dirigeants irakiens de perdre leur pourvoir –certains d’entre eux sont arrivés dans les bagages de la coalition et n’ont à ce titre aucune légitimité auprès de la population– elle n’en constitue pas moins un problème pour les Nations unies dont la marge de manœuvre est de fait réduite. Et cela d’autant plus que Washington semble s’être rallié aux revendications de ses alliés irakiens. Le New York Times croit en effet savoir que l’administration américaine a demandé à Lakhdar Brahimi de modifier son approche pour la formation du gouvernement intérimaire. Le quotidien affirme ainsi que les Etats-Unis souhaitent que l’envoyé spécial en Irak s’oriente vers une proposition donnant un rôle important au peuple et donc ouverte aux partis politiques.

Fort de ce soutien, certains représentants de l’actuel exécutif irakien ont d’ores et déjà annoncé dimanche que le futur gouvernement intérimaire devrait être composé à la fois de technocrates et de personnalités politiques, estimant qu’il s’agissait d’une «solution de compromis». La veille, l’envoyé spécial des Nations unies avait repoussé les critiques de certains membres du gouvernement provisoire irakien qui l’avaient accusé de ne pas les avoir consulté à propos de ses projets. «Nous avons expliqué les idées que nous avons soumises au Conseil de sécurité en soulignant qu'il ne s'agissait pas d'un plan des Nations unies ou de mon plan personnel, mais de notre lecture de ce que nous avons entendu de la part d'un très, très grand nombre d'Irakiens», a-t-il déclaré en affirmant que son rôle se limitait à prodiguer des conseils, à proposer un certain nombre de changements aux précédents projets élaborés par Washington et l’actuel exécutif.

Cette «encadrement» de l’action des Nations unies qui limite sa marge de manoeuvre ne devrait pas faciliter le vote d’une nouvelle résolution de l’ONU qui doit entériner la fin de l’occupation américaine en Irak. Le président français Jacques Chirac, l’un des plus ardents opposant à la guerre contre le régime de Bagdad, a en effet rappelé dimanche «l'urgence» d'un transfert de la souveraineté au peuple irakien, «sans aucune ingérence particulière». «Cela suppose la création d'un gouvernement de technocrates, dans le bon sens du terme, que propose M. Brahimi et qui pourrait lui-même mettre en place à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine des élections générales d'où sortirait un gouvernement irakien démocratique, qui devrait être réellement en charge de tous les problèmes sans aucune ingérence particulière», a affirmé le chef de l’Etat français prenant de fait position.

C’est dans ce contexte politique tendu qu’une conférence réunissant quelque 500 personnalités politiques et religieuses irakiennes opposées à la coalition s’est tenue samedi à Bagdad. Cette plate-forme composée de personnes d’horizons politiques et religieux divers –elle regroupe aussi bien des chiites modérés que des sunnites, des chrétiens ou des kurdes– s’est prononcée en faveur d’un rôle des Nations unies dans le processus de transition politique. Elle réclame que le transfert de souveraineté se fasse «sous l’égide de l’ONU» et que le futur gouvernement intérimaire «soit formé de personnalités qui ne soient pas liées à l’occupation». Ses représentants ont d’ores et déjà exprimé le souhait de rencontrer Lakhdar Brahimi, compliquant un peu plus la mission de l’envoyé spécial de Kofi Annan.

par Mounia  Daoudi

Article publié le 10/05/2004 Dernière mise à jour le 10/05/2004 à 15:38 TU