Reconstruction
L’Irak peine à se relever
Photo : AFP
La reconstruction en Irak a-t-elle vraiment démarré? Un an après la chute du régime de Saddam Hussein, certains experts économiques en doutent. «Aucun grand chantier d’infrastructure n’a débuté, à l’exception du réseau de téléphonie mobile», assure ce spécialiste occidental à Bagdad. «Rien n’a vraiment changé depuis l’année dernière, l’Irak se trouve dans une situation languissante, poursuit-il. Tant que le pays ne sera pas pacifié, rien n’avancera vraiment. Pour l’heure, c’est la politique de la rustine qui prévaut».
De notre correspondant en Irak
Ruiné par les guerres et l’embargo de l’ONU, l’Irak se remet difficilement des soubresauts de l’Histoire. Le pays, qui possède les deuxièmes réserves pétrolières au monde, est aujourd’hui ruiné: le PIB annuel par habitant s’établit entre 5 à 600 dollars contre 1 200 en 2001 et 3 000 en 1980. Les besoins en termes d’infrastructures et d’équipements sont gigantesques, à la mesure de ce pays de 26 millions d’habitants.
Dans le domaine du logement par exemple, les études montrent que l’Irak devrait construire trois millions d’unités de logements dans les trois prochaines années pour absorber la croissance démographique. Sur le plan énergétique, la production électrique plafonne à 3 500 mégawatts, alors qu’il en faudrait au moins 9 000 pour satisfaire la demande. Toutes les infrastructures publiques (routes, eau, égouts, électricité, téléphone, etc.) nécessitent une réhabilitation partielle voire totale.
Or, les financements font cruellement défaut. Les promesses de dons et d’aides financières claironnées à la conférence de Madrid en octobre 2003 –33 milliards de dollars au total– tardent à se matérialiser. Ainsi, sur les 18 milliards de dollars annoncés par les Etats-Unis, deux milliards seulement ont été déboursés effectivement par Washington. Quant aux deux fonds fiduciaires créés à Madrid et supervisés par la Banque Mondiale et le PNUD, ils sont pratiquement vides…
Mais quel est le partenaire étranger prêt à investir dans un environnement sans lisibilité à court terme? Le problème est avant tout politique et sécuritaire. Les risques sont encore beaucoup trop importants, d’autant plus que certains pays ou investisseurs s’interrogent sur le contenu réel de la souveraineté irakienne après le 1er juillet, date de la dissolution de l’administration d’occupation.
Le monde des affaires désabuséAu quotidien, les Irakiens se plaignent des lenteurs de la reconstruction. Pour eux, le changement est surtout symbolique. Le visage de Saddam Hussein a disparu des billets de banques, désormais remplacé par des sites antiques ou archéologiques. Les gens peuvent pratiquement tout acheter, mais les prix ont explosé. Certes, leurs salaires ont aussi augmenté mais pas suffisamment pour compenser l’inflation. Les marchandises ont afflué de Jordanie, du Koweït, d’Iran ou encore de Turquie. Ce «commerce à la valise» avec les voisins de l’Irak est florissant.
Pourtant, chez les entrepreneurs irakiens, la grogne est bien réelle. Le bilan de la CPA (Coalition Provisional Authority) est sévèrement critiqué dans les milieux d’affaires. «A chaque fois, que je rencontre un interlocuteur à la CPA, je lui demande: qu’avez-vous réalisé depuis la chute du régime? On me répond invariablement: mais, nous vous avons rendu la liberté!», raconte Saad Al-Bunia, PDG de la Banque Warkaa.
Cet homme d’affaires, qui a décroché son Master en économie à l’Université du Sussex en Grande-Bretagne, appartient à la famille Al-Bunia, l’un des clans les plus influents sur le plan économique. Le groupe Al-Bunia, fondé en 1910, a fait fortune dans l’agroalimentaire. Pour survivre sous les différents régimes politiques, Saad Al-Bunia évoque le conseil de son grand-père: «ne te mêle ni de politique, ni de religion ou de casino». Plus que jamais, l’homme d’affaires applique ce principe à la lettre, mais ne cache pas sa déception vis-à-vis de la CPA.
«La tête du système économique de la reconstruction est pourrie, comme l’a prouvé l’affaire Halliburton, lance-t-il. Les Américains se sucrent sur le dos du peuple irakien. Tous les principaux contrats sont réservés aux sociétés américaines, qui les sous-traitent à des compagnies étrangères ou irakiennes avec une décote de 20 à 25% du prix d’attribution du marché. Pourquoi en tant qu’Irakiens, ne sommes-nous pas autorisé à travailler? Les entreprises égyptiennes, jordaniennes, koweïtiennes, elles, décrochent des contrats et pas nous!» Il pointe aussi du doigt ces businessmen Irakiens de la diaspora qui sont revenus dans les valises des Américains et qui trustent les contrats. Mais surtout, se plaint Saad Al-Bunia, «les sociétés étrangères ne réinvestissent pas dans le pays, mais rapatrient directement leurs bénéfices hors d’Irak».
Salah, un homme d’affaires disposant d’un passeport britannique, a choisi de rentrer au pays après la chute du régime. Il a décroché des contrats avec l’armée américaine pour installer des systèmes informatiques. Salah avoue gagner «beaucoup d’argent», mais ne cache pas son inquiétude. «Que va-t-il se passer après le 1er juillet? Tout le monde parle d’une guerre civile ou de troubles confessionnels. C’est pourquoi dans mes affaires, je n’accepte aucun contrat de la part des Américains de plus d’un mois, car je ne sais pas si je serais payé». Salah vient d’ailleurs d’acheter un appartement à Amman …au cas où il devrait plier bagages précipitamment.par Christian Chesnot
Article publié le 10/04/2004 Dernière mise à jour le 10/04/2004 à 12:37 TU