Irak
Les juteux marchés de l’occupation
Un attentat contre un restaurant fréquenté par des journalistes et de diplomates occidentaux à fait 5 morts et 24 blessés le 31 décembre à Bagdad. L’insécurité qui prévaut dans l’Irak de l’après-Saddam fait des heureux. Entrepreneurs et agents de sécurité se partagent les bénéfices d’un marché juteux.
De notre envoyé spécial à Bagdad
Cet homme d’affaires américain pourra couler une retraite heureuse : depuis la chute du régime de Saddam, il a remporté une série de contrats avec l’US Army qui le mettent à l’abri du besoin pour le restant de ses jours. L’état-major lui a en effet commandé la construction d’ici juin 2004 de 3 000 abris sécurisés dans la «green zone», c’est-à-dire l’ex-palais présidentiel de Bagdad transformé en quartier général de l’administration civile d’occupation. Une première tranche de 400 unités vient d’être achevée. «Ce sont des petits bunkers de 6 mètres de circonférence recouvert d’un dôme en béton armé d’une épaisseur de 50 cm capable de résister à des tirs d’artillerie de 120 mm, explique l’entrepreneur américain. Ils serviront pour des bureaux».
Pour lui, c’est le jackpot : «Je facture ces bunkers 35 000 dollars pièce et je réalise une marge de 100 à 300% sur les équipements et le produit terminé», poursuit l’entrepreneur. Obsédés par leur sécurité, les Américains ne regardent pas à la dépense : «Ils étaient très pressés, raconte-t-il. Ils ne m’ont pas demandé de spécifications particulières, ils voulaient simplement aller le plus vite possible. Faites-nous des propositions, m’ont-ils dit. J’ai dessiné les plans à la va-vite et avant même de signer le contrat définitif de cette première tranche de bunkers, ils m’ont donné 30 000 dollars en cash simplement comme acompte pour commencer le chantier ! »
Les bonnes affaires de notre homme ne se sont pas arrêtées en si bon chemin : les autorités d’occupation américaine lui ont aussi passé commande pour 110 maisons préfabriquées dans la «green zone». Dotée de tout le confort moderne (climatisation, chauffage, etc.), chaque habitation dispose d’une pièce de survie, en l’occurrence la salle de bain. «Je vend la maison 50 000 dollars, toujours en réalisant une belle marge bénéficiaire, mais Bechtel qui est le commanditaire, la facture 250 000 dollars à l’armée américaine !» L’architecture de ces contrats passés avec l’US Army est complexe. Au sommet de la pyramide, on retrouve les géants de la construction Bechtel et Halliburton qui centralisent les affaires et les attribuent à une cascade de sous-traitants, américains ou étrangers. A la base de l’échelle, il y a notre entrepreneur qui réalise les travaux.
Dans cet après-Saddam chaotique, l’appât du gain attire de nombreux intervenants plus ou moins sérieux. Le représentant d’un groupe de lobbying anglo-saxon a ainsi demandé 100 000 dollars à une entreprise comme ticket d’entrée dans une sorte de consortium de sociétés contre la promesse de décrocher des contrats avec l’armée américaine. Après un quart d’heure de discussion, le patron de la compagnie démarchée a refusé tout net, flairant l’arnaque…
L’occupation américaine avec ses 150 000 GIs déployés dans le pays génère des affaires dans tous les domaines. La sécurité est le secteur le plus juteux. Toutes les bases de l’US Army, mais également les ambassades, les bureaux des Nations unies, les hôtels hébergeant des étrangers, sont désormais entourés par des murs amovibles de béton. Chaque panneau qui mesure 3,5 mètres de hauteur est facturé 360 dollars l’unité. Quand on sait que des milliers de ce type ont été posés uniquement dans Bagdad, on imagine facilement les profits pour les fournisseurs…
Les agences de sécurité fleurissent
Le ministère du pétrole irakien, lui, n’a pas hésité à confier la sécurité de l’ensemble de ses infrastructures à une société occidentale pour un montant de 35 millions d’euros. A la raffinerie de Beiji, la plus grande du pays, située entre Bagdad et Mossoul, une équipe de spécialistes sud-africains forment et entraînent des Irakiens à la protection de ce site stratégique ainsi que de l’oléoduc la reliant aux champs pétroliers de Kirkouk, régulièrement saboté par la résistance.
Car pour protéger des installations, des bureaux, des résidences ou des personnels expatriés, des agences de sécurité ont fleuri comme des champignons. Employant souvent des anciens membres des forces spéciales britanniques, elles ont pour nom Control Risks Group, Global Risk Strategies, ISI, Optimal Solution Services ou encore Meteoric Tactical Solution. L’une d’entre elles facture 3 500 dollars par jour la protection d’une personne, comprenant un véhicule blindé, un chauffeur et un garde du corps armés et la possibilité de riposter à une attaque. «C’est hors de prix», lâche un homme d’affaires français qui voulait se rendre en Irak pour une mission de reconnaissance et qui a annulé son voyage.
Comme au temps de l’embargo des Nations unies sous Saddam, l’Irak reste une «poule aux œufs d’or». Ainsi, tout le ravitaillement de l’armée américaine provient de l’étranger. «Les Américains importent une grande partie de leurs produits, notamment alimentaires, pour ne pas faire flamber les prix du marché local, car il s’agit d’énormes quantités», explique un homme d’affaires contacté par l’US Army pour des contrats de ravitaillement. L´état-major publie des appels d’offres pour commander des tonnes de légumes, des fruits, des produits laitiers, de la viande, surtout à partir de sociétés installées au Koweït qui en profitent pour pratiquer des tarifs très élevés».
Les entreprises, arguant des risques sécuritaires, facturent au prix fort leurs produits et leurs prestations, sans que l’administration d’occupation américaine n’y trouve rien à redire, à partir du moment où les contrats sont remplis à temps. Sauf quand les profits prennent des proportions extravagantes comme dans l’affaire Kellogg, Brown and Roots (KBR), une filiale du groupe Halliburton, naguère dirigé par le vice-président américain Dick Cheney.
Aux termes d’un contrat sans appel d’offres concernant l’importation d’essence à partir du Koweit, KBR aurait doublé le prix du litre de carburant. Selon un audit mené par le Pentagone, cette surfacturation abusive porterait sur 61 millions de dollars. L’entreprise américaine aurait aussi gonflé ses marges de 67 millions de dollars pour un contrat relatif à la gestion des cantines pour les GIs. «Le système de Saddam était corrompu, conclut songeur un expert économique européen, celui mis en place par les Américains l’est également…»
Cet homme d’affaires américain pourra couler une retraite heureuse : depuis la chute du régime de Saddam, il a remporté une série de contrats avec l’US Army qui le mettent à l’abri du besoin pour le restant de ses jours. L’état-major lui a en effet commandé la construction d’ici juin 2004 de 3 000 abris sécurisés dans la «green zone», c’est-à-dire l’ex-palais présidentiel de Bagdad transformé en quartier général de l’administration civile d’occupation. Une première tranche de 400 unités vient d’être achevée. «Ce sont des petits bunkers de 6 mètres de circonférence recouvert d’un dôme en béton armé d’une épaisseur de 50 cm capable de résister à des tirs d’artillerie de 120 mm, explique l’entrepreneur américain. Ils serviront pour des bureaux».
Pour lui, c’est le jackpot : «Je facture ces bunkers 35 000 dollars pièce et je réalise une marge de 100 à 300% sur les équipements et le produit terminé», poursuit l’entrepreneur. Obsédés par leur sécurité, les Américains ne regardent pas à la dépense : «Ils étaient très pressés, raconte-t-il. Ils ne m’ont pas demandé de spécifications particulières, ils voulaient simplement aller le plus vite possible. Faites-nous des propositions, m’ont-ils dit. J’ai dessiné les plans à la va-vite et avant même de signer le contrat définitif de cette première tranche de bunkers, ils m’ont donné 30 000 dollars en cash simplement comme acompte pour commencer le chantier ! »
Les bonnes affaires de notre homme ne se sont pas arrêtées en si bon chemin : les autorités d’occupation américaine lui ont aussi passé commande pour 110 maisons préfabriquées dans la «green zone». Dotée de tout le confort moderne (climatisation, chauffage, etc.), chaque habitation dispose d’une pièce de survie, en l’occurrence la salle de bain. «Je vend la maison 50 000 dollars, toujours en réalisant une belle marge bénéficiaire, mais Bechtel qui est le commanditaire, la facture 250 000 dollars à l’armée américaine !» L’architecture de ces contrats passés avec l’US Army est complexe. Au sommet de la pyramide, on retrouve les géants de la construction Bechtel et Halliburton qui centralisent les affaires et les attribuent à une cascade de sous-traitants, américains ou étrangers. A la base de l’échelle, il y a notre entrepreneur qui réalise les travaux.
Dans cet après-Saddam chaotique, l’appât du gain attire de nombreux intervenants plus ou moins sérieux. Le représentant d’un groupe de lobbying anglo-saxon a ainsi demandé 100 000 dollars à une entreprise comme ticket d’entrée dans une sorte de consortium de sociétés contre la promesse de décrocher des contrats avec l’armée américaine. Après un quart d’heure de discussion, le patron de la compagnie démarchée a refusé tout net, flairant l’arnaque…
L’occupation américaine avec ses 150 000 GIs déployés dans le pays génère des affaires dans tous les domaines. La sécurité est le secteur le plus juteux. Toutes les bases de l’US Army, mais également les ambassades, les bureaux des Nations unies, les hôtels hébergeant des étrangers, sont désormais entourés par des murs amovibles de béton. Chaque panneau qui mesure 3,5 mètres de hauteur est facturé 360 dollars l’unité. Quand on sait que des milliers de ce type ont été posés uniquement dans Bagdad, on imagine facilement les profits pour les fournisseurs…
Les agences de sécurité fleurissent
Le ministère du pétrole irakien, lui, n’a pas hésité à confier la sécurité de l’ensemble de ses infrastructures à une société occidentale pour un montant de 35 millions d’euros. A la raffinerie de Beiji, la plus grande du pays, située entre Bagdad et Mossoul, une équipe de spécialistes sud-africains forment et entraînent des Irakiens à la protection de ce site stratégique ainsi que de l’oléoduc la reliant aux champs pétroliers de Kirkouk, régulièrement saboté par la résistance.
Car pour protéger des installations, des bureaux, des résidences ou des personnels expatriés, des agences de sécurité ont fleuri comme des champignons. Employant souvent des anciens membres des forces spéciales britanniques, elles ont pour nom Control Risks Group, Global Risk Strategies, ISI, Optimal Solution Services ou encore Meteoric Tactical Solution. L’une d’entre elles facture 3 500 dollars par jour la protection d’une personne, comprenant un véhicule blindé, un chauffeur et un garde du corps armés et la possibilité de riposter à une attaque. «C’est hors de prix», lâche un homme d’affaires français qui voulait se rendre en Irak pour une mission de reconnaissance et qui a annulé son voyage.
Comme au temps de l’embargo des Nations unies sous Saddam, l’Irak reste une «poule aux œufs d’or». Ainsi, tout le ravitaillement de l’armée américaine provient de l’étranger. «Les Américains importent une grande partie de leurs produits, notamment alimentaires, pour ne pas faire flamber les prix du marché local, car il s’agit d’énormes quantités», explique un homme d’affaires contacté par l’US Army pour des contrats de ravitaillement. L´état-major publie des appels d’offres pour commander des tonnes de légumes, des fruits, des produits laitiers, de la viande, surtout à partir de sociétés installées au Koweït qui en profitent pour pratiquer des tarifs très élevés».
Les entreprises, arguant des risques sécuritaires, facturent au prix fort leurs produits et leurs prestations, sans que l’administration d’occupation américaine n’y trouve rien à redire, à partir du moment où les contrats sont remplis à temps. Sauf quand les profits prennent des proportions extravagantes comme dans l’affaire Kellogg, Brown and Roots (KBR), une filiale du groupe Halliburton, naguère dirigé par le vice-président américain Dick Cheney.
Aux termes d’un contrat sans appel d’offres concernant l’importation d’essence à partir du Koweit, KBR aurait doublé le prix du litre de carburant. Selon un audit mené par le Pentagone, cette surfacturation abusive porterait sur 61 millions de dollars. L’entreprise américaine aurait aussi gonflé ses marges de 67 millions de dollars pour un contrat relatif à la gestion des cantines pour les GIs. «Le système de Saddam était corrompu, conclut songeur un expert économique européen, celui mis en place par les Américains l’est également…»
par Christian Chesnot
Article publié le 01/01/2004