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Le sida en Chine

Hu Jia: un problème politique et d’information

Le militant des droits de l'Homme Hu Jia symbolise une nouvelle génération de contestataires en Chine 

		(Photo : Michael Sztanke/RFI)
Le militant des droits de l'Homme Hu Jia symbolise une nouvelle génération de contestataires en Chine
(Photo : Michael Sztanke/RFI)
Activiste politique et militant des droits de l’homme, Hu Jia, 30 ans, a été arrêté le 3 juin dernier à 15h30 à son domicile à Pékin alors qu’il s’apprêtait à commémorer les disparus du massacre de la place Tian An Men. Assigné à résidence pendant trois jours puis détenu et interrogé par la sécurité publique, il a été libéré le 8 juin dernier. C’est dans un centre commercial du centre de Pékin que Hu Jia nous a donné rendez-vous. Un lieu neutre et calme ce dimanche matin pour nous raconter son histoire. Le regard et le corps fatigués, ce jeune homme connu en Chine notamment pour son activisme dans la lutte contre le sida, relate les événements de ces derniers jours et explique son engagement.

RFI : Comment vous définissez-vous ?
Je suis un travailleur social issu de la société chinoise. J’ai commencé à militer en 1996 comme écologiste pour protéger l’environnement. C’est à partir de 2001 que j’ai commencé à m’occuper du sida particulièrement des orphelins de la province du Henan. Mon travail de militant est aussi bien politique que social.

RFI: Hu Jia, que s’est-il passé le 3 juin dernier ?
Hu Jia : A 15h30, le 3 juin, des policiers sont venus chez moi et ont frappé à ma porte, je n’ai pas voulu ouvrir. Il y avait des gens de la sécurité publique et de la sécurité d’État. Ils sont revenus et sont rentrés dans mon appartement avec mon père qu’ils ont suivi. J’ai voulu ensuite allumer une bougie pour la mémoire des disparus de Tian An Men.

En bas de chez moi, il y avait tout un arsenal de policiers en civil et en uniforme. Je me suis demandé alors pourquoi tout cet appareil policier juste pour une personne qui voulait allumer une bougie. Ils sont ensuite restés chez moi du 3 au 6 juin. Ils étaient trois policiers en permanence à mon domicile et me suivaient même aux toilettes m’ empêchant de fermer la porte. J’ai préféré leur demander qu’ils m’emmènent ailleurs dans un autre lieu car je trouvais la situation humiliante en présence de mes parents. Ils m’ont donc emmené dans un endroit souterrain, probablement un commissariat spécial.

Le 6 juin ils m’ont ramené chez moi avec des policiers toujours présents dans mon appartement. Ils m’ont demandé de partir avec eux en me laissant emporter seulement un livre. J’ai trouvé que c’était une atteinte à mon droit. J’ai pris avec moi les Mémoires de Vaclav Havel qui s’appelle « Vivre avec la vérité » car je ne savais pas combien de temps ils allaient me garder. Pour moi ce livre est une bible. Quand je fais du travail social auprès des populations touchées par le sida ou auprès des victimes de Tian an Men, ils me disent la vérité et je n’ai qu’une envie c’est de l’exprimer. Le problème n’est pas de lutter contre le Parti communiste ou le gouvernement mais de dire la vérité. J’ai toujours combattu pour les droits de l’homme dans mon pays et j’ai eu la visite de policiers à de nombreuses reprises. Mais c’est la première fois que l’on m’arrêtait et que l’on ne respectait pas mes droits. J’ai alors compris en vivant moi-même cette expérience ce qu’était l’absence de droits en Chine.

RFI : S’engager politiquement peut-être dangereux et vous en avez fait l’expérience, pensez-vous à renoncer ?
HJ : Depuis mon assignation à résidence, je vis dans la crainte. Chaque matin en me réveillant, je regarde par ma fenêtre et espère que ma ligne téléphonique ne sera pas coupée. Mes parents sont très angoissés d’autant qu’ils ont cherché à m’emmener dans un asile psychiatrique. Ils ont dit à ma mère que j’avais une maladie psychique et qu’il serait bon pour moi d’aller me faire soigner. Mais vous savez je n’ai pas l’intention de renoncer. Mon engagement est quelque part lié à mes origines familiales.

En 1957 sous Mao, mes parents ont été considérés comme des droitiers et j’ai vécu mon enfance comme un enfant de droitier c’est à dire ostracisé. J’étais souvent seul et c’est là que j’ai découvert la nature. Mon seul ami était alors la Grande Nature. En 1996 je me suis engagé d’abord dans un mouvement écologique. Puis en 2001 j’ai rencontré un travailleur social qui s’occupait du sida. Il m’a ouvert les yeux sur le scandale du Henan et je me suis dit que la crise était grave et que je devais m’engager activement. Mais ce n’est pas le seul combat que je mène. Je lutte également pour la révision du jugement sur le 4 juin 1989. J’étais certes trop jeune à l’époque mais pour moi c’est une évidence de lutter pour la reconnaissance de ce mouvement démocratique. C’est aussi une manière de montrer au gouvernement que toute les générations, même celles qui ne l’ont pas vécu, n’oublierons pas l’histoire.

RFI : La lutte contre le sida est donc votre priorité ? Comment agissez-vous ?
HJ : Oui, c’est aujourd’hui ma priorité car c’est dramatique. Aussi bien dans le non-respect des droits des personnes contaminés que dans le risque de propagation. Le gouvernement affirme qu’il y a 840 000 cas de séropositifs mais il est évident que vous pouvez multiplier par deux ce chiffre. Malgré tout, je dois reconnaître que depuis l’année passée, il y a eu un changement de la part du gouvernement. Pour la première fois, par exemple, lors d’une réunion de travail sur le sida en avril dernier à Pékin, le gouvernement a affirmé publiquement que la Chine avait besoin des organisations civiles, qu’elles soient locales ou internationales.

Le problème évident maintenant est la résistance des provinces, notamment celle du Henan. Les deux provinces les plus touchées sont le Yunnan et le Henan, leurs réactions sont tout à fait différentes et prouvent que le problème est avant tout local. Dans le cas du Yunnan, le sida est avant tout lié à la drogue et le gouvernement considère qu’il n’est donc pas responsable. Résultat : il ouvre ses portes à tout le monde. En revanche dans le Henan, les portes sont totalement fermées et ne sont près de s’ouvrir car la responsabilité est directement celle de son gouvernement. Actuellement, l’ancien secrétaire de la province du Henan, en poste à l’époque de l’organisation de la vente de sang, est protégé au niveau central. Il est maintenant encore mieux placé dans l’appareil du Parti. Il a un tel poids qu’il peut protéger les dirigeants actuels du Henan. La tendance est donc a la protection des cadres et des fonctionnaires et à l’indifférence des paysans contaminés.

L’expansion du sida en Chine est donc à la fois un problème purement politique et un problème d’information. J’essaie de diffuser les informations sur ce qui se passe réellement dans le Henan auprès du public chinois et des médias. Avec d’autres bénévoles, nous faisons de la prévention dans cette province, nous nous occupons des orphelins et nous accompagnons la vie des gens en phase terminale.

Propos recueillis par Michael Sztanke.



Article publié le 21/06/2004 Dernière mise à jour le 21/06/2004 à 11:29 TU