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Caisse de résonance du terrorisme ?

Vérification des lignes SNCF en France suite aux menaces du Groupe AZF. Cette affaire est emblématique des problèmes rencontrés par la presse face au traitement des menaces émanant de groupes terroristes. 

		(Photo: AFP)
Vérification des lignes SNCF en France suite aux menaces du Groupe AZF. Cette affaire est emblématique des problèmes rencontrés par la presse face au traitement des menaces émanant de groupes terroristes.
(Photo: AFP)
Menaces du Groupe AZF, affaire des Serviteurs d’Allah le puissant et le sage, attentats de Madrid, multiplication de vidéos d’exécutions d’otages sur Internet. Les médias sont confrontés quotidiennement à des messages émanant de groupes se réclamant d’actions violentes. Comment faire preuve de transparence envers le public tout en évitant de faire le jeu des terroristes ? Les Entretiens de l’information, association de réflexion sur les médias, ont invité journalistes, chercheurs et acteurs institutionnels à débattre autour du sujet «Les médias face aux menaces terroristes» devant près d’une centaine de personnes réunies jeudi après-midi à la Maison de la radio.
«Dans l’affaire du Groupe AZF, on a autant parlé de la menace terroriste que du dysfonctionnement des médias», souligne Jean-Marie Charon, chercheur au CNRS spécialiste des médias, pour ouvrir le débat. Cette affaire rocambolesque qui remonte au mois de mars dernier est emblématique des problèmes rencontrés par la presse face au traitement des menaces émanant de groupes terroristes. Les rédactions, contactées par le ministère des Affaires étrangères afin de différer temporairement la divulgation du chantage à la bombe sur le réseau ferré, se sont posées la même question: quelles peuvent être les conséquences de la diffusion de ces menaces. A chacun sa solution.

La Dépêche du Midi, représentée par Yann Bouffin, est le seul journal qui n’a pas attendu pour divulguer l’information, tout en l’ayant auparavant vérifiée. «Le sigle AZF a fait tilt, nous avons pensé qu’il pouvait s’agir d’une mouvance qui se manifeste autour de la catastrophe de Toulouse en 2001. En cas d’explosion, si le lectorat découvrait que le quotidien du coin savait qu’il était dangereux de prendre le train, nous appréhendions sa réaction, confie Yann Bouffin. Il nous semblait qu’il n’était pas correct de jouer la connivence avec le silence du ministère de l’Intérieur».

Pas de réponse infaillible

Du côté de France Info, la rédaction a décidé de ne pas divulguer l’information mais, comme tous les autres médias, l’a abondamment reprise une fois sortie par la Dépêche du Midi. «Ce n’est pas par gaieté de cœur que nous avons retardé cette annonce. Nous ne nous couchons pas devant le ministère mais nous pensions qu’il s’agissait d’une affaire grave», précise Franck Cognard, journaliste.

Patrick Mauduit, représentant du syndicat de policiers Synergie officiers, reproche à la Dépêche du Midi d’avoir fait capoter l’enquête afin de sortir un scoop. «Dommage, la presse aurait eu une bonne histoire à raconter si elle avait attendu le dénouement de l’affaire, estime-t-il. Les terroristes ont alors pris peur et ont coupé tout contact. Désormais, il y a de fortes chances pour que l’affaire AZF reste à jamais une énigme». Quelle était la décision la plus sage ? Publier ou non ? Il n’existe pas de ligne de conduite fixée à l’avance, chaque cas a ses spécificités et chaque rédaction sa manière de peser le pour et le contre.

Les terroristes profitent de la course à l’audimat

Si le groupe AZF a certainement pris peur face à l’emballement médiatique qui a révélé l’ampleur de la traque policière, les terroristes d’Al Qaïda, en revanche, s’efforcent de mettre en oeuvre une véritable stratégie médiatique. Antoine de Gaudemar, directeur de la rédaction de Libération, considère que les terroristes cherchent à toucher les médias pour en faire leur «caisse de résonance». «Il est difficile d’authentifier leurs messages, nous agissons donc avec prudence», ajoute-t-il.

Le problème se pose de manière encore plus aiguë pour la télévision. Etienne Leenhardt, directeur adjoint de l’information de France 2, assure que la rédaction se demande quotidiennement comment montrer l’image d’un terroriste lisant un communiqué à côté d’un otage qu’il va exécuter -ce qui constitue une information- sans pour autant nourrir le cycle infernal des prises d’otages. Si certaines chaînes décident de censurer ces images, un grand nombre de téléspectateurs voyeuristes ou tout simplement curieux seront tentés d’aller voir ailleurs. Les terroristes savent profiter de cette concurrence acharnée entre les médias, qui les incite à montrer des images choc pour tirer l’audimat vers le haut.

Jean-Marc Berlioz, directeur de l’Institut des hautes études en sécurité intérieure (IHESI), se méfie des restrictions de diffusion imposées ou librement consenties. Il souligne que «toute restriction de nos libertés, dont la liberté de la presse, serait une victoire de ceux qui s’emploient à nous les faire perdre». Claude Moisy, ancien président de l’AFP et membre de Reporters sans frontières, pense également qu’il faut diffuser le maximum d’informations. Certains spectateurs sursautent dans la salle quand il s’écrie: «Ce n’est pas le rôle des médias de faire échec au terrorisme. Les médias sont de toute façon manipulés par les forces économiques, les chanteurs millionnaires et les terroristes! Nous ne travaillons pas pour la paix dans le monde ou contre le racisme, même si ce sont des causes nobles. Notre rôle est simplement d’informer». Bien qu’intéressant, ce débat est déjà presque obsolète. Les nouvelles technologies permettront bientôt aux terroristes de contourner les médias traditionnels en créant leur propre site Internet pour diffuser leurs vidéos et faire passer leur message.

par Sarah  Oliveira

Article publié le 25/06/2004 Dernière mise à jour le 25/06/2004 à 15:08 TU