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Médias

L’information au service de la propagande

Sur le front des mots et des images, la première semaine de l’offensive contre l’Irak a montré que des deux côtés l’information est sélectionnée, manipulée, contournée. Pour gagner la guerre des médias et de l’impact psychologique, Américains et Irakiens manoeuvrent entre propagande et vérité, fausses annonces et vrais bilans.
Oum Qasr est tombé. Lorsque, dès le deuxième jour de la guerre en Irak, cette information a été diffusée par quelques médias, notamment l’agence de presse du Koweït Kuna, la guerre des annonces et des démentis a commencé en fanfare. Celle des incertitudes aussi. Les Irakiens ont immédiatement démenti la chute de la ville et affirmé, au contraire, que leurs forces résistaient avec acharnement dans cette zone stratégique puisqu’elle représente le seul accès du pays sur le Golfe. Il a fallu attendre plusieurs jours avant de savoir ce qu’il se passait. Oum Qasr n’était pas tombé. Et aujourd’hui encore, malgré la prise de la ville par les soldats britanniques après des combats de plusieurs jours, l’accès maritime au port n’est pas totalement sécurisé à cause des mines disséminées par les Irakiens.

Les premiers bilans des blessés et des morts, à coup de conférences de presse, de communiqués et surtout d’images, ont pris le relais de cette annonce (volontairement ou pas prématurée ?). Le point culminant a été atteint lorsque la chaîne satellitaire du Qatar Al Jazira a diffusé des films tournés par la télévision irakienne sur lesquels apparaissaient les corps de GI morts et les premiers prisonniers américains faits par l’armée de Saddam Hussein. En choisissant de montrer au monde entier des cadavres et les visages de jeunes gens effrayés et désorientés, les Irakiens savaient pertinemment qu’ils allaient provoquer un choc psychologique intense. C’est ce qu’ils recherchaient.

Rumsfeld demande de ne pas diffuser les images des prisonniers

Aux Etats-Unis, l’impact de telles images pouvait être tellement néfaste sur une population déjà soucieuse que Donald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense, qui les a vues pour la première fois alors qu’il était en direct sur le plateau de la chaîne américaine CBS, a fait comprendre aux médias nationaux que mieux valait ne pas les diffuser. Il a d’ailleurs obtenu gain de cause, la plupart des télévisions américaines se sont autocensurées et ont décidé de ne pas utiliser les passages les plus choquants. En Irak, par contre, les images ont été diffusées en boucle sur la télévision nationale. Elles ont permis au régime d’offrir au peuple des preuves de la résistance et de l’efficacité de ses troupes.

La réponse américaine à cette provocation par médias interposés n’a pas été convaincante. Donald Rumsfeld a fait appel au droit international et à la Convention de Genève sur la protection des prisonniers pour dénoncer «la propagande» télévisuelle irakienne. Un terrain glissant pour les Américains dans un contexte où eux-mêmes ne les ont pas respectés à de nombreuses reprises.

Soucieux de se donner une image respectable, de mettre en valeur leurs bonnes intentions et leur parfaite maîtrise des événements, les Américains ont axé leur communication militaire sur les aspects techniques des opérations menées en Irak. Des conférences de presse quotidiennes ont lieu au siège du commandement central au Qatar. Elles donnent l’occasion au général Tommy Franks et à ses adjoints de faire des «démonstrations» sur les progrès réalisés sur le terrain ou sur le bien-fondé de leurs bombardements, à coup d’images satellites qui ne peuvent convaincre que des spécialistes capables de les analyser.

Cette manière de procéder n’a rien à voir avec celle du principal interlocuteur irakien des médias le ministre de l’Information, Mohammed Saïd al-Sahhaf qui joue totalement la carte de l’émotion et de la mise en scène. A chacun de ses points de presse, il dresse «un» bilan des victimes civiles des affrontements et des bombardements. Il amène aussi les journalistes présents dans la capitale sur les lieux des impacts des missiles américains pour leur faire constater les dégâts. Il rassure son peuple sur la santé de Saddam Hussein et dénonce les massacres des «criminels» américains.

Les bombardements de mercredi sur Bagdad, qui ont touché un quartier populaire de la ville et fait des victimes au sein de la population, ont donné une occasion aux Irakiens de mettre les Américains en porte-à-faux. A peine l’alerte passée, les caméras étaient sur les lieux pour filmer les immeubles détruits et enregistrer les cris des populations. Un homme brandissait une photo de bébé, comme s’il était sous les décombres, sans que l’on puisse le vérifier. Peu après, les Américains, au Pentagone et au commandement central du Qatar, ont péniblement tenté d’esquiver le problème en affirmant qu’ils n’avaient pas les informations nécessaires pour vérifier s’ils étaient, ou non, responsables de ces «dégâts collatéraux», allant même jusqu’à suggérer que les Irakiens pouvaient porter une part des responsabilités.

En terme d’image, l’allongement de la liste des victimes civiles d’un conflit présenté comme une guerre de libération, est difficile à gérer pour les Américains. Tout comme la multiplication des décès de soldats tombés sous le feu de «tirs amis». Le dernier en date, le bombardement par erreur du poste de commandement des Marines installé près de Nassiriya, a de quoi provoquer l’indignation des familles et des opinions, surtout qu’il fait suite à une liste déjà longue d’erreurs qui ont coûté la vie à 28 militaires américains ou britanniques.

La maîtrise de la diffusion de ce type d’informations est d’autant plus difficile que la stratégie médiatique américaine a été de disséminer dans les unités de combats sur le terrain des journalistes accrédités qui se trouvent donc aux premières loges pour constater ce genre «d’incidents» et en rendre compte. De ce point de vue, l’organisation américaine de la couverture médiatique du conflit, sensée permettre un juste dosage entre contrôle et libre accès à l’information, montre quelques faiblesses.

Les difficultés sont les mêmes lorsque l’on voit les images des habitants de Safwan, premiers bénéficiaires de l’aide humanitaire tant annoncée par les Américains et les Britanniques, qui prennent les vivres et l’eau mais manifestent aussitôt bruyamment leur soutien à Saddam Hussein. Quel est le message le plus fort ? Celui de l’aide qui commence à arriver ou celui des populations hostiles malgré tout ?



par Valérie  Gas

Article publié le 27/03/2003