Proche-Orient
El-Baradeï face à l’ambiguïté nucléaire israélienne
(Photo : AFP)
Mohamed el-Baradeï est officiellement en Israël pour remplir le mandat que lui a donné l’AIEA en septembre dernier. L’Assemblée générale de cette agence onusienne, qui avait à l’époque rejeté une motion des pays arabes condamnant l’Etat hébreu pour son refus de signer le Traité de non-prolifération, était en effet parvenue à un accord a minima sur la nécessité d’«instaurer une zone dénucléarisée au Proche-Orient». La majorité des 137 pays membres s’était toutefois bien gardée de faire ouvertement mention à Israël et à ses capacités atomiques, pourtant un secret de polichinelle pour les experts internationaux. La tâche du diplomate onusien est donc loin d’être aisée. Et cela d’autant plus que ses interlocuteurs ont réaffirmé n’avoir aucunement l’intention de changer la stratégie qui a été la leur depuis quarante ans dans le domaine atomique.
Quelques heures avant l’arrivée du chef de l’AIEA à Tel Aviv, Le Premier ministre israélien a en effet ouvertement indiqué que son pays maintiendrait sa politique d’ambiguïté sur ses capacités nucléaires. «La politique qui est la notre a fait ses preuves et elle se poursuivra», a notamment prévenu Ariel Sharon, laissant même entendre que l’Etat hébreu détenait effectivement un arsenal nucléaire. Cette dernière attitude tranche cependant avec celle de ses prédécesseurs accrochés à la formule-leitmotiv selon laquelle «Israël ne sera pas le premier pays à introduire l’armement nucléaire au Moyen-Orient». Faisant peu de cas de la visite du diplomate onusien, le chef du cabinet israélien s’est en outre montré étonné de la démarche de l’AIEA. «Je ne sais pas ce qu’el-Baradei vient voir», a-t-il ainsi déclaré, relevant qu’«Israël était obligé de détenir entre ses propres mains toutes les composantes de la force nécessaires à sa défense».
Mais le fait même d’évoquer publiquement le dossier nucléaire représente aujourd’hui une avancée en soi. Le sujet a en effet longtemps été tabou en Israël et l’ancien technicien Mordechaï Vanunu en sait quelque chose. Ses révélations sur la centrale de Dimona, dans le désert du Néguev, qui avaient permis aux experts militaires étrangers d’évaluer l’état d’avancement du programme nucléaire israélien –ils estiment aujourd’hui que l’Etat hébreu possède entre 200 et 400 ogives nucléaires, ce qui le place au cinquième rang des puissances nucléaires– lui ont valu une condamnation à dix-huit années de prison pour haute trahison. Libéré en avril dernier, celui que l’on a surnommé le «mouchard nucléaire» a relancé le débat sur l’opportunité de la politique d’ambiguïté adoptée par Israël concernant son arsenal nucléaire.
Un geste politique envers le monde arabeDe plus en plus de voix s’élèvent en effet aujourd’hui en Israël pour remettre en cause l’efficacité de cette stratégie. «Cette politique d’ambiguïté a effectivement permis à l’Etat hébreu d’acquérir une force de dissuasion sans encourir des sanctions internationales pour s’être doté de l’arme atomique», reconnaît le chercheur Reuven Pedatzur. Il estime toutefois que cette politique a fait son temps et qu’il serait préférable aujourd’hui qu’Israël joue carte sur table et lève le voile sur ces capacités nucléaires. «Face à un pays comme l’Iran qui disposera bientôt de l’arme nucléaire et qui affiche sa volonté de détruire Israël, il ne suffit plus de plus de laisser planer de vagues menaces pour dissuader», estime notamment ce chercheur.
Maintenant que le régime de Saddam Hussein, soupçonné de détenir des armes de destruction massive qui n’ont à ce jour toujours pas été découvertes, ne présente plus de menace réelle pour l’Etat hébreu, et alors que l’Iran est soumis à de très fortes pressions internationales concernant son programme nucléaire militaire présumé, la position d’Israël –qui est encore l’un des rares pays à refuser de signer le TNP et à se soumettre aux inspections de l’AIEA– est en effet de plus en plus difficile à tenir dans la région. Les mentalités commencent certes à changer en Israël puisque la très discrète commission israélienne à l’énergie atomique a mis en ligne en début de semaine son site internet levant un coin de voile sur ses activités en montrant notamment des photographies des réacteurs nucléaires de Dimona et de Nahal Sorek. Les rares informations diffusées ne concernent bien évidemment que le nucléaire civil.
Mais cette nouvelle attitude des autorités israéliennes, pour qui détenir l’arme atomique est une «question de sécurité nationale», est toutefois loin de répondre aux attentes du chef de l’AIEA. Conscient du peu d’impact qu’aura sa visite en Israël, Mohamed el-Baradeï a d’ailleurs souligné que le but de son voyage était avant tout d’«examiner la possibilité d’établir un dialogue stratégique sur la paix dans la région». La situation du diplomate égyptien n’est en effet pas aisée dans la mesure où il doit naviguer entre la position de l’Etat hébreu qui conditionne l’élimination de son arsenal nucléaire à l’instauration préalable d’une paix globale dans la région et celle des pays arabes qui estiment au contraire que cette élimination devrait précéder la paix en constituant un pas vers la construction d’une confiance entre les Etats de la région. Deux positions qui a priori n'ont rien de conciliable.
Dans ce contexte, la visite entreprise en Israël par le chef de l’AIEA est avant tout symbolique. Elle peut en tous cas être considérée comme un geste politique envers le monde arabe et musulman qui reproche régulièrement à l’agence onusienne sa politique de deux poids deux mesures qui consiste à faire pression sur l’Iran tout en se désintéressant du programme développé par l’Etat hébreu.par Mounia Daoudi
Article publié le 07/07/2004 Dernière mise à jour le 08/07/2004 à 13:13 TU