Sénégal
La presse menacée après l’arrestation d’un journaliste
Photo: AFP
De notre correspondant à Dakar
Le vendredi 9 juillet, en jetant en prison, Madiambal Diagne, directeur de publication du journal Le Quotidien, le gouvernement du président Wade a franchi un nouveau palier dans sa volonté de museler la presse. Ironie du sort, le président a sorti des tiroirs poussiéreux du Code pénal sénégalais, le fameux article 80 qui avait servi au régime socialiste de Abdou Diouf, pour l’envoyer en prison une vingtaine de fois en vingt ans d’opposition au motif de «troubles à l’ordre public». Cet article, jadis bête noire de l’opposition d’alors aujourd’hui au pouvoir, est un fourre-tout qui permet au régime en place de mettre immédiatement en prison, tout opposant, journaliste, ou simple citoyen, qui aurait exprimé une pensée jugée subversive.
Le directeur de publication du Quotidien, jeté en prison vendredi après sept heures dans les caves du Palais de justice comme un vulgaire voleur à la tire, s’est vu notifier trois chefs d’inculpation : publication de correspondances et de rapports secrets du ministre de l’Économie et des Finances relatifs à une affaire judiciaire en cours (l’arrestation du directeur général de la douane) ; deuxième chef d’inculpation : diffusion de fausses nouvelles ; enfin, avoir commis des actes et manœuvres compromettant la sécurité publique, occasionnant des troubles politiques graves. C’est le fameux article 80 du code pénal. Ce dernier chef d’inculpation a trait à un article d’information sur à une réunion du Conseil supérieur de la magistrature, présidé par le chef de l’État. Un article banal, fruit d’un travail normal de tout journaliste qui fait normalement son travail d’investigation.
Le pouvoir voudrait réduire cette affaire à une simple affaire judiciaire alors qu’elle est foncièrement politique. C’est ce que soulignait vendredi, après l’inculpation du journaliste, Me Boucounta Diallo, président de l’Organisation de défense des droits de l’homme (ONDH) et membre du collectif des avocats du journaliste «il faut éviter d’en faire un débat juridique, parce que la question est d’abord éminemment politique… il y a une crainte, une peur, une manifestation vis-à-vis de la presse». Cette presse que Me Wade encensait naguère, pour l’avoir à plusieurs reprises sorti de prison où le jetait régulièrement son prédécesseur, et pour avoir été un des acteurs principaux de l’alternance qui l’a porté au pouvoir en mars 2000.
«La stratégie de l’intimidation et de l’escalade»
En quatre ans, plus d’une dizaine de directeurs de publication ont été traîné devant la DIC (Division des investigations criminelles) qui est devenue le bras armé du régime contre la presse. Dans un éditorial commun daté de vendredi dernier, les éditeurs de presse des principaux quotidiens de la place écrivent : «Le pouvoir vient de poser un nouveau jalon dans sa tentative de museler la presse en une journée, la justice prend ainsi sur elle la lourde responsabilité d’envoyer en prison, un journaliste qui n’a ni désinformé, ni livré une information explosive à même de saper les fondements de la société. Juste un compte-rendu de la dernière des décisions du Conseil supérieur de la Magistrature et la publication de documents sur l’affaire Boubacar Camara [le douanier en question]».
Pour les éditeurs de presse et l’ensemble des journalistes, «le pouvoir a choisi la stratégie de l’intimidation et l’escalade afin d’installer la panique dans nos rangs. Cette option bien pensée, savamment planifiée et froidement exécutée, a pour objectif clair de semer une honteuse culture d’autocensure dans les rédactions. Un plan de guerre contre notre corporation que semblent accélérer les dernières révélations de Taxi journal sur le passé de l’ex-chef de cabinet, Pape Samba Mboup».
Cette attaque contre la liberté de la presse intervient quelques mois après l’expulsion de la correspondante de RFI à Dakar. En octobre 2003, Sophie Malibeaux a été expulsée du Sénégal sous le prétexte d’un traitement «tendancieux» de la rébellion casamançaise.
En réalité, la presse n’est pas la seule visée dans la croisade de l’ex-«plus vieux opposant de l’Afrique» indépendante. Il y a un mois, c’était à l’opposition politique qu’il s’en prenait en menaçant de jeter en prison tous ceux qui vont à l’étranger «ternir» l’image du Sénégal. Pour cela, il a même annoncé que des réformes allaient être apportées au Code pénal.
Par son attitude menaçante contre tous ceux qui osent critiquer la politique de son gouvernement, dénoncer la violence contre des opposants (l’affaire des coups de marteau contre l’opposant Talla Sylla il y a quelques mois), l’ex-chantre des libertés et de la démocratie a réussi le tour de force de mobiliser contre lui l’opinion sénégalaise. Ce lundi, en guise de protestation, la première action des éditeurs de presse est une «une journée sans presse» et les radios privées FM, diffusent la musique avec des chansons au vitriol contre les régimes qui tuent les libertés. L’opposition politique annonce quant à elle une journée d’action dans les jours à venir.par Demba Ndiaye
Article publié le 13/07/2004 Dernière mise à jour le 14/07/2004 à 16:34 TU