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Sénégal

Les relations Paris-Dakar se réchauffent en Côte d’Ivoire

En visite privée à Paris, le président sénégalais Abdoulaye Wade a déjeuné le 19 février en tête-à-tête avec son homologue français, Jacques Chirac, qui «a accepté le principe d'un voyage officiel au Sénégal avant la fin de cette année». Toute ombre américaine au tableau franco-sénégalais virtuellement écartée, les deux chefs d’Etat se sont accordés sur la question ivoirienne. Déjà présent en Côte d’Ivoire dans la force de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), Dakar pourrait fournir des troupes supplémentaires à l’ONU qui attend le feu vert américain pour recruter 6000 hommes.
Bien que Dakar en écarte l’idée, un certain froid régnait entre Paris et Dakar où le président français Jacques Chirac s'était rendu en visite d'Etat en juillet 1995, à l’aube de son premier mandat. Depuis lors, le chef de l’Etat sénégalais, Abdoulaye Wade, a rencontré son homologue français à de multiples reprises, mais toujours en marge des sommets internationaux ou franco-africain qu’ils fréquentent tous deux. Après leur déjeuner élyséen, Jacques Chirac promet de rendre officiellement la politesse au président sénégalais venu tout spécialement, mais en privé, à Paris. Ce déplacement d’Abdoulaye Wade aura au moins permis de démentir le dépit amical perçu à Paris quand Dakar a sinon soutenu, du moins refusé de condamner, l'intervention militaire américaine en Irak. Du côté des deux chefs d’Etat, «tout va très bien, il n'y a jamais eu la moindre des choses entre Abdoulaye Wade et Jacques Chirac», assure aujourd’hui le président sénégalais. Quant au baromètre des relations entre l’ancienne colonie et son premier partenaire commercial, il est remonté au «beau fixe». Et si Dakar n’hésite pas à tourner les yeux vers Washington, cela n’empêche pas Abdoulaye Wade de suivre les vues de Paris, sur l’épineux dossier ivoirien.

Pour sa part, George W. Bush est déjà venu, en personne, en juillet dernier, pour remercier le président sénégalais d’avoir répondu présent lorsque Washington a fait le compte des partisans de sa guerre à l’Irak. La bataille diplomatique avait alors valu aussi au Cameroun ou à l’Angola d’être assidûment courtisés, comme membres du conseil de sécurité de l’Onu pourvus d’un bulletin de vote. Le décompte n’a jamais été véritablement officialisé, Paris retenant quelque peu son souffle. Pour sa part, en mars 2003, Abdoulaye Wade avait affiché son refus de condamner la décision américaine d’user de la force en Irak sans mandat de l’Onu, relevant crûment l’impuissance générale à «empêcher un pays comme les Etats-Unis de faire ce qu'il a à faire». Selon qu’ils provenaient de Dakar ou de Paris, les commentaires avaient alors considéré ces propos comme une manifestation de souveraineté ou comme une marque d’infidélité délibérée. Certains voyant même un retournement d’alliance dans ce «non-alignement» ajouté à différents mouvement d’humeur sénégalais après l’expulsion d’émigrés, renvoyés comme «du bétail», selon Abdoulaye Wade, en juin 2003, ou faute de réaction française rapide fustigée par Dakar dans l’urgence de la catastrophe du Joola (naufragé le 26 septembre 2002 au large de la Gambie), le non-alignement du Sénégal sur la France dans l’affaire irakienne aurait. Mais de tout cela, il n’aurait pas été question au déjeuner Chirac-Wade, l’Elysée assurant au contraire que «ce nouvel entretien illustre l'intensité de la relation franco-sénégalaise».

Avant d’aller aux Emirats arabes unis, pour une visite de travail de deux jours (22-24), puis en Libye, pour un sommet extraordinaire de l'Union africaine (UA), le président Wade paraît donc être parvenu à rassurer son homologue français sur ses intentions. Concernant l’Afrique en général et son pays en particulier, le chef de l’Etat sénégalais est tout particulièrement attaché à la promotion du Nepad, dont il est l’un des pères et qui exige des financements internationaux bien au-dessus des moyens de la seule France. Abdoulaye Wade n’en a pas moins pris pour preuve des bonnes relations bilatérales les très nombreux projets franco-sénégalais, «par exemple dans le domaine de l'agriculture» menacée par les problèmes d’accès à l’eau voire par la désertification. De son côté, Jacques Chirac a «rappelé le soutien de la France au développement du Sénégal, qui est un partenaire privilégié de notre coopération». En 2002, la France lui a versé plus de 68 millions d'euros, à titre d’aide bilatérale ou via le Fonds européen de développement. Les Français représentent aussi environ la moitié des quelque 500 000 touristes qui visitent chaque année le Sénégal. Et pour sa part, Abdoulaye Wade ne reprend pas l’antienne des mauvais esprits qui veulent voir des malveillances françaises dans la chute d’environ 25% du nombre de touristes au Sénégal (depuis le début de la saison 2003-2004, par rapport à la même période précédente).

Pour le déploiement des Casques bleus en Côte d’Ivoire

Paris a tenu également à lever le moindre doute concernant son opinion sur la politique intérieure sénégalaise –évitant notamment toute allusion aux turbulences casamançaises ou par exemple, aux coups de marteau sur la tête administrés à l’opposant Talla Sylla, le 5 octobre dernier. La diplomatie française assure que «la France éprouve du respect pour le modèle démocratique sénégalais qui permet un fonctionnement régulier des institutions». Pour concrétiser cette bonne entente, les deux chefs d’Etat ont accordé leurs violons sur la Côte d’Ivoire, la position française consacrée par la récente visite du président Gbagbo méritant sans doute quand même une explication de texte. A l’instar de Paris, le président Wade a en effet régulièrement reçu le chef du RDR ivoirien, Alassane Ouattara, mais aussi celui des anciens rebelles des Forces nouvelles, Guillaume Soro. L’un comme l’autre ont en particulier compté sur l’appui sénégalais lorsque les pressions internationales se sont accrues, incitant en particulier les ministres Forces nouvelles à revenir au gouvernement de réconciliation nationale et à engager le désarmement. Aujourd’hui, c’est le président Gbagbo qu’Abdoulaye Wade évoque lorsqu’il indique: «je vais l'aider pour la solution définitive» en Côte d’ivoire.

«Je suis pour le déploiement des Casques bleus. Si le Sénégal peut fournir un contingent, le Sénégal le fera», affirmait à Paris le président Wade. Son pays fournit déjà des troupes à la force ouest-africaine (Minuci) déployée en Côte d’Ivoire aux côtés des 4000 soldats français de l’opération Licorne. Ces derniers doivent servir de «force d’intervention rapide» aux 6000 Casques bleus demandés en renfort par Paris. Après avoir traîné les pieds, Washington s’apprête à donner son feu vert. Les 3000 hommes de la Minuci devraient être intégrés à la force onusienne en cours de constitution. Dakar se déclare disposé à faire un effort supplémentaire pour augmenter son contingent en Côte d’Ivoire. Le président Wade annonce aussi que Laurent Gbagbo est attendu au Sénégal, pour le «remercier». Finalement, les amitiés franco-sénégalaises se confirment, en Côte d’Ivoire.



par Monique  Mas

Article publié le 20/02/2004