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Sénégal

«Joola»: un an après, toujours les polémiques

La plus grande catastrophe de l’histoire du transport maritime a eu lieu il y a un an exactement au large des côtes de la Gambie. Le Joola qui reliait Zinguinchor à la capitale sénégalaise, Dakar, a sombré faisant 1863 morts. Seuls 64 rescapés ont survécu au naufrage. Un an après le drame, les polémiques demeurent sur les responsabilités.
De notre correspondant à Dakar

Il y a un an, dans la nuit du jeudi 26 au vendredi 27 septembre 2002, le Sénégal connaissait sa plus grande catastrophe maritime et peut être la plus grande catastrophe maritime mondiale. Cette nuit-là en effet, le Joola sombrait au large des côtes gambiennes. Le bateau reliait la capitale de la Casamance, Ziguinchor, à Dakar, faisant 1863 morts (seuls 500 corps ont été retrouvés), 64 rescapés (miraculés). Pour mémoire, rappelons que le naufrage du Titanic, en 1912, avait fait 1513 victimes et 711 rescapés. La seule région de Casamance compte quelque 800 victimes. Depuis, trois questions agitent le pays: faut-il, ou non, remorquer l’épave ? Comment traiter l’épineuse question des indemnisations? Faut-il envisager en remplacement du Joola l’achat d’un ou de deux autres bateaux? Des questions dont le traitement donne lieu à d’incompréhensibles atermoiements au sommet de l’Etat sénégalais.

«Sanctuaire marin» ou remorquage ? Jusqu’à ce jour les autorités du Sénégal ont fait preuve d’indécision avec des déclarations contradictoires prononcées par les plus hautes autorités du pays. Alors que les différents collectifs des familles de victimes réclament à cor et à cri le remorquage de l’épave, les autorités, tout au long de cette année de drame, ont louvoyé, sans vraiment convaincre, pour éviter le remorquage. Généralement, on s’appuie soit sur l’aspect psychologique du drame (faut-il raviver la douleur en remorquant l’épave avec ce qu’on risque d’y découvrir ?) soit sur l’état de l’épave qui ne permettrait pas son remorquage en raison du risque de sa désintégration lors de l’opération.

C’est ainsi que lors d’un séminaire gouvernemental tenu à Ziguinchor les 18 et 19 juillet, en présence du corps diplomatique, le Premier ministre Idrissa Seck a exclu catégoriquement le remorquage: «Pour ce qui est de l’épave du Joola, les experts ont déterminé que la coque se disloquerait vraisemblablement lors d’une quelconque tentative de renflouement. Le bateau est profondément ensablé. Trop peu d’effets personnels pourraient être récupérables, souvent en très mauvais état, et non identifiables… Devant ces réalités et dans le souci sincère d’éviter un vain espoir et un nouveau traumatisme aux familles, nous considérons à présent l’épave du «Joola» comme un sanctuaire».

Le Premier ministre fait ici appel à deux arguments: technique (l’état de l'épave) et psychologiques (éviter un nouveau traumatisme aux familles). Or, ce que le Premier ministre Idrissa Seck ne dit pas, c’est qu’il n’y a aucun rapport officiel connu sur l’état de l’épave. En second lieu, M. Seck néglige la demande des familles qui, elles, réclament le renflouement. Elles savent (ou devinent) parfaitement l’état des corps après un séjour de plusieurs mois dans l’eau de mer. Un «sanctuaire marin» constituerait donc pour elles un deuxième abandon des victimes et un déni de vérité. C’est sans doute pour cela, mais peut-être aussi pour des raisons plus politiques, que dix jours après cette sortie de son Premier ministre, le Président Wade le prenait à contre-pied en recevant une délégation des familles pour leur déclarer que le renflouement de l’épave n’était pas exclu, et que les démarches continuaient.

Le «prix» des victimes

La même incertitude pèse sur la question des indemnisations alors que s’engage un terrible marchandage sur le «prix» d’une victime (jeune ou adulte), d’un rescapé (jeune ou adulte), etc. Pour l’avoir tenté devant l’association des familles de Ziguinchor en mai dernier, le garde des Sceaux, Serigne Diop, a failli être lynché par des parents outrés. On a du mal à croire que le ministre de la Justice ait formulé ces propositions de son propre chef, allant jusqu’à menacer ceux qui refuseraient d’être considérés comme ayant renoncé à leurs droits. Plus vraisemblablement, le ministre était chargé d’une mission: sonder les familles pour mesurer leur détermination. Un mois plus tard, lors de ce fameux séminaire gouvernemental à Ziguinchor, le Premier ministre décline lui aussi «les décisions du gouvernement» : ce sera 5 millions de francs CFA par famille, soit une somme globale de 10 milliards de francs CFA. Arguments du chef du gouvernement: «La vie humaine ne peut souffrir d’aucune surenchère monétaire et, sans aucune volonté arbitraire, l’Etat s’est évertué à atteindre les limites budgétaires dans son assistance aux familles». Et sans doute afin d’inciter des parents démunis, qui dans la plupart des cas ont perdu des chefs et mères de familles, à régler le problème, il annonce le déblocage d’une avance d’un milliard pour commencer à indemniser ceux dont les dossiers sont complets dès le lundi suivant, le 21 juillet.

Personne ne se présentera au guichet de l’Agent judiciaire de l’Etat ce jour-là. Et lors de la même rencontre à Dakar avec les représentants des familles, le président Wade dément à nouveau son Premier ministre: l’indemnisation sera portée à 10 millions par famille et non les 5 annoncés par Idrissa Seck. Pour bien marquer que c’est lui qui décide, le président Wade qui, de New York où il participe à l’Assemblée générale de l’Onu devait continuer sur le Japon, a décidé de repasser par le Sénégal pour aller prendre part, vendredi 26 septembre, aux cérémonies religieuses prévues à Ziguinchor. A cette occasion, il remettra symboliquement, le premier chèque de 5 millions de francs CFA au titre de la première tranche d’indemnisation. Car la décision de l’Etat, selon ses disponibilités financières, c’est de payer aux familles une première tranche de 5 millions cette année, et la seconde, l’année prochaine, après le vote du budget 2004.



par Demba  Ndiaye

Article publié le 25/09/2003