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Sénégal

Crise au sommet de l’État

Malgré les contorsions et les communiqués rassurants, les deux têtes de l’exécutif du Sénégal n’ont jamais pu rassurer les Sénégalais sur la guerre qu’ils se livrent au sommet par partisans interposés depuis l’hivernage dernier (juillet-août 2003). L’annonce lundi 8 mars de la célébration de la fête de l’indépendance le 4 avril prochain à Dakar et non plus à Thiès comme initialement annoncée (deuxième ville du pays dont le Premier ministre est le maire), vient aggraver encore plus la crise au sommet des institutions du pays.
De notre correspondant à Dakar

Tout d’abord, rendons au «pape» du sopi (changement en ouolof), le président Wade, ce qui lui appartient: l’idée de décentraliser les cérémonies commémorant la fête de l’indépendance dans les capitales régionales est de lui. La ville de Thiès était celle qui devait inaugurer cette année, ces «tournantes». L’idée était que par ces cérémonies, avec les sommes faramineuses prévues à cet effet, doter les capitales régionales d’infrastructures qui leur font actuellement cruellement défaut. Pour la ville de Thiès, ce sont quarante milliards de FCFA, qui étaient prévus dont 20 pour uniquement les structures liées à la fête de l’indépendance. Quatre-vingt-quatre projets étaient ainsi prévus dont ceux directement liés aux manifestations du 4 avril, et confiés pour leur réalisation, principalement, aux opérateurs économiques nationaux.

Située à 70 km de Dakar, Thiès était devenue un gigantesque chantier à ciel ouvert. Dakar étant une presqu’île, sortir de Dakar ou y entrer, est devenu un véritable chemin de croix. Le plus surprenant dans cette décision de ramener les cérémonies du 4 avril à Dakar, pour des raisons «techniques», est que depuis quelques semaines, plusieurs ministres qui s’étaient rendus sur place pour se rendre compte de l’avancement des travaux, avaient déclaré que tout serait prêt pour la date du 4 avril, ou tout au moins, ceux directement liés au défilé. C’est ce que déclarait Macky Sall, ministre de l’Intérieur il y a quelques jours. Plus grave, le jour même (lundi 8 mars) où on annonçait depuis la présidence de la République à Dakar, le changement de lieu, le ministre de la Construction et de l’Habitat, était en train de déjeuner sur place après six heures de visite des chantiers. La mesure lui a coupé et l’appétit et la parole, selon les témoins sur place.

Mais le plus insolite, c’est que Me Wade lui même, de retour de Touba samedi dernier, a jugé bon de faire une halte impromptue à Thiès et aller se rendre compte lui-même de l’avancement des travaux sans en informer son Premier ministre, maire de la ville, et qui était sur place, en réunion avec les services concernés ainsi que les entrepreneurs.

Mais les Sénégalais ne sont pas dupes, à commencer par les habitants de Thiès, la ville du Premier ministre qui, depuis l’annonce de la mesure sont en effervescence. Ce mardi, l’ensemble des lycées de la ville avait déserté les classes pour prendre d’assaut les principales artères de la ville, interdisant ainsi toute circulation vers les autres villes du pays avant que la police fortement mobilisée et des intermédiaires politiques et religieux ne jouent aux sapeurs pompiers.

Entre le chef de l’État et son Premier ministre, c’est un feuilleton de plusieurs mois d’un bras de fer. D’abord en juin, quand le chef du gouvernement déclare aux familles des victimes du Joola que le bateau ne sera pas remorqué et que les indemnisations étaient de 5 millions de FCFA, à prendre ou à laisser, le président Wade, une semaine après, recevant les membres du bureau contredisait son chef de gouvernement en déclarant que le renflouement du bateau n’était pas abandonné et qu’il doublait la somme des indemnisations. La crise enfle en juillet suite à la parution d’un livre brûlot du journaliste Abdou Latif Coulibaly, «Wade, un opposant au pouvoir, l’alternance piégé». Alors que Me Wade et ses proches étaient étrillés pour les promesses non tenues et leurs volte-faces politiques, Idrissa Seck «épargné» dans cette mise en pièces, était en vacances en Afrique du Sud, en Amérique et ailleurs. On lui reprochait, ce qui est un crime de lèse majesté, et une «preuve qu’il était derrière» le livre, son silence et ses vacances.

«Je t’aime moi non plus»

Alors que la crise enfle et que la presse annonce presque son éviction, Idrissa Seck rentre au pays, rencontre le président. Un communiqué signé de la présidence réaffirme la «confiance» du président à son chef de gouvernement. C’est la paix des braves mais qui ne durera que le temps que vivent les roses sous nous nos pays tropicaux. Me Wade ramène dans son entourage des compagnons de route qui avaient quitté le parti aux heures difficiles pour créer leurs partis et soutenir l’ancien président Abdou Diouf. Des hommes qui avaient accusé Idrissa Seck d’avoir manigancé à l’époque pour que Me Wade les exclue du parti. On parle alors de deux gouvernements: l’un officiel à la primature et l’autre, à la présidence.

Plus grave, des journaux proches de la présidence, certains disent même qu’ils ont sa bénédiction voient le jour et tire quotidiennement à boulets rouges contre le Premier ministre. Enfin, les derniers coups de canif contre Idrissa Seck, sont venus de Me Wade lui même. Invité à un forum en Suisse à la fin de l’année dernier, Me Wade déclare que s’il est réélu en 2007, il prendra une femme comme Premier ministre. Tout le monde y voit une mise en congés anticipés de son actuel Premier ministre… qui n’est pas une femme. Enfin, récemment, depuis Paris où il était en visite officielle, il annonce que dès son retour au Sénégal, il contacterait certains partis de l’opposition en vue d’élargir son gouvernement. Son Premier ministre était alors en pèlerinage à La Mecque. Depuis, si deux des trois partis contactés dont celui de l’ancien Premier ministre Moustapha Niasse, ont décliné l’offre, tout le monde s’attend à un remaniement du gouvernement après les cérémonies marquant la fête de l’indépendance du 4 avril prochain.

Pourquoi le président ne limoge t-il pas son Premier ministre au lieu de lui faire avaler quotidiennement des couleuvres ? Surtout que selon la presse qui en a fait état ces derniers jours, le président, recevant à déjeuner certains leaders politiques de sa majorité, leur aurait confié qu’il aurait effectivement «des problèmes» avec son chef de gouvernement. Mais aussi, pourquoi le Premier ministre accepte t-il d’avaler ainsi des couleuvres au lieu de rendre son tablier ?

Cette énième crise survient à dix jours du quatrième anniversaire de l’alternance (l’arrivée de Me Wade au pouvoir). Outre une grande marche des alliés du président, on attend aussi un «livre blanc» qui serait la réponse de Me Wade et de son gouvernement aux détracteurs de sa gestion.. Outre les criques de l’opposition, trois livres sont parus en 2003 pour pourfendre sa politique et dénoncer les espoirs déçus.



par Demba  Ndiaye

Article publié le 11/03/2004

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