Sénégal
L'esprit du <i>Joola</i>
Les Sénégalais sont toujours plongés dans une profonde tristesse, douze jours après le naufrage du Joola. Les funérailles nationales à la mémoire des victimes sont reportées au vendredi 11 octobre. Cette affaire a également réveillé un fort sentiment de compassion national qui a des conséquences inattendues: les séparatistes casamançais annoncent qu’ils déposent les armes.
Le gouvernement sénégalais a mis en place un site comportant la liste des passagers officiels ainsi qu'un moteur de recherche pour les autres passagers : www.gouv.sn/joola
Le gouvernement sénégalais a mis en place un site comportant la liste des passagers officiels ainsi qu'un moteur de recherche pour les autres passagers : www.gouv.sn/joola
De notre correspondant à Dakar
«Ce que j'ai vu cette nuit du 26 septembre, c'est effroyable et je ne l'oublierai jamais. A un moment, j'ai pensé que c'était la fin du monde».Témoignage d'un rescapé de l'enfer du Joola, Ibrahima Dièye, 21 ans, originaire d'un petit village à l'entrée de Saint Louis, cité par le quotidien privé Sud quotidien dans son édition de mardi 8 octobre. Ibrahima Dièye fait partie des 64 miraculés du drame du «Titanic sénégalais» dont on ignore toujours exactement le nombre de passagers qu'il avait embarqué ce 26 septembre au port de Ziguinchor et à l'escale de Karabane, et dont les entrailles renferment toujours plusieurs centaines de corps, au fond de la mer, non loin des côtes gambiennes. Le «vieux monsieur», dont on avait fermé les yeux sur son âge avancé, de santé précaire, est devenu pour des centaines d'innocents, un catafalque aquatique, dont l'épave, comme le confie le ministre de l'Intérieur, le général Mamadou Niang, «est toujours plantée sur le mat et les cheminées».
Quand on revient de là, de cet enfer aquatique, comment oublier le cauchemar ? Quelle thérapie pourra jamais recoller les morceaux épars de souvenirs d'une tragédie qui, longtemps, continuera comme des images au ralenti, de défiler en boucle ? C'est à cette tâche que s'attelle, sans résultats garantis, la cellule médico-psychologiqe mise sur pied après le drame. Premiers signes du traumatisme: la phobie de l'eau, du bateau, de la pirogue, et le refus de manger du poisson, que l'on soupçonne s'être nourri des corps des parents, amis ou simples compagnons de voyages disparus. Que faire face à ces survivants qui, longtemps encore, vivront dans un autre monde, ailleurs, dans un film d'horreur ? Ecouter, conseiller, rassurer. Bref, accompagner au plus près.
Mais voilà, les bonnes volontés ne suffisent pas quand les victimes se chiffrent par milliers, que les thérapeutes et les moyens sont insuffisants, et que la psychologie est loin de faire partie, culturellement, des thérapies dans une société fortement imprégnée de la «volonté de Dieu» et de survivances de la tradition. La mémoire de l'horreur vécue par les proches, va s’installer d’autant plus longtemps que des centaines de corps sont encore sous les eaux et que, plus durera la récupération des corps et le remorquage du bateau, plus le souvenir s'installera comme «mémoire immédiate». L’œuvre du temps s'en retrouvera moins «thérapeutique». Or, les autorités l'admettent: les efforts de remorquages sont quasi vains du fait de la faiblesse des moyens matériels, le Sénégal n'étant pas équipé pour ce genre d'opérations de sauvetage et la communauté internationale, engagée dans d'autres urgences, tarde à réagir. Bien sûr, aucune autorité sénégalaise n'ose donner un délai et encore moins annoncer que, deux semaines après le drame, le remorquage demeure impossible.
Mais, il y a une évidence: plus le temps passe, plus les choses se compliqueront et les chances de trouver encore des corps entiers diminuent. Alors, on fait ce qu'on peut, avec les moyens du bord. Comme d'indemniser, après recensement, les parents des victimes; prendre en charge ceux dont les parents ont péri dans le naufrage comme «pupilles de la Nation»; donner des bourses aux élèves et étudiants orphelins. En attendant les conclusions de la commission d'enquête sur les causes du drame, qui dispose d’un mois pour déposer sa copie. Alors seulement, après la démission des ministres des Forces armées et des Transports, on prendra des mesures contre ceux qui auront été jugés responsables. A quelque niveau qu'ils soient.
En fait, au-delà du courroux présidentiel sur les responsabilités de l'Etat, c'est sur le chapitre des sanctions que Me Wade est le plus attendu, les sénégalais étant habitués à des commissions d'enquête sans lendemain. Le Sénégal, sous tous les régimes, en a connu des dizaines qui pourrissent dans des coffres hermétiquement clos.
Le MFDC demande pardon
Pour le devoir de mémoire, après les prières dites par toutes les autorités religieuses présentent au Sénégal, une minute de silence a été observée, mardi 8 octobre, par 2 millions d'écoliers et leurs maîtres lors de la rentrée des classes. Mais la prise de conscience la plus brutale produite par le drame du Joola a sans aucun doute été la précarité de la situation des populations. Car, au regard de la vie quotidienne, le drame du bateau n'est qu'un élément parmi des dizains. Qu'il s'agisse des transports en commun, des camions de marchandises, des trains, des routes parsemées de «nids d'éléphants», des bâtiments d'habitations construits n'importe comment, la vie du sénégalais est sans doute l'une des plus précaires d'Afrique. Et il n'est pas évident que les mesures prises par les autorités sénégalaises depuis le drame, comme un contrôle plus stricte sur tous ces risques, ne soient autre chose que du provisoire avant que le naturel ne revienne au galop.
Conséquence inattendue, la question casamançaise est revenue sur le devant de la scène politique. Outre que la région sud a payé le tribut le plus lourd en termes de victimes, c'est aussi parce qu'il fallait calmer ses habitants en désenclavant la Casamance qu'on n'a pas été très regardant sur les moyens, et que le Joola a été remis en service alors qu'il n'offrait pas toutes les garanties. Aujourd'hui, on annonce des mesures qui auraient du être prises depuis longtemps. Il s'agit notamment de l'acquisition de deux bateaux neufs; de la réfection des routes et de leur surveillance, de la réduction dès la fin du mois du prix du billet d’avion et de l’ouverture probable de discussions plus sérieuses avec la Gambie pour résoudre la question de la traversée de ce pays par la construction d'un pont. Dans la foulée de la repentance et des bonnes résolutions, le mouvement séparatiste casamançais MFDC a demandé «pardon au peuple casamançais et au peuple sénégalais» et annoncé qu'il déposait les armes. Enfin, l'appel du président Wade lancé depuis Ziguinchor la semaine dernière pour l'union et la concorde nationales, afin de faire face aux problèmes du pays, semble être bien accueilli par la classe politique, notamment l'opposition.
Reste à voir si toutes ces promesses et autres professions de foi survivront au deuil immédiat. Dernière initiative du président Wade: des funérailles nationales à la mémoire des victimes sur la corniche-ouest de la capitale sénégalaise où sera édifié un mémorial. Cette cérémonie annoncée pour mercredi 9 octobre, a été finalement reportée au vendredi 11.
«Ce que j'ai vu cette nuit du 26 septembre, c'est effroyable et je ne l'oublierai jamais. A un moment, j'ai pensé que c'était la fin du monde».Témoignage d'un rescapé de l'enfer du Joola, Ibrahima Dièye, 21 ans, originaire d'un petit village à l'entrée de Saint Louis, cité par le quotidien privé Sud quotidien dans son édition de mardi 8 octobre. Ibrahima Dièye fait partie des 64 miraculés du drame du «Titanic sénégalais» dont on ignore toujours exactement le nombre de passagers qu'il avait embarqué ce 26 septembre au port de Ziguinchor et à l'escale de Karabane, et dont les entrailles renferment toujours plusieurs centaines de corps, au fond de la mer, non loin des côtes gambiennes. Le «vieux monsieur», dont on avait fermé les yeux sur son âge avancé, de santé précaire, est devenu pour des centaines d'innocents, un catafalque aquatique, dont l'épave, comme le confie le ministre de l'Intérieur, le général Mamadou Niang, «est toujours plantée sur le mat et les cheminées».
Quand on revient de là, de cet enfer aquatique, comment oublier le cauchemar ? Quelle thérapie pourra jamais recoller les morceaux épars de souvenirs d'une tragédie qui, longtemps, continuera comme des images au ralenti, de défiler en boucle ? C'est à cette tâche que s'attelle, sans résultats garantis, la cellule médico-psychologiqe mise sur pied après le drame. Premiers signes du traumatisme: la phobie de l'eau, du bateau, de la pirogue, et le refus de manger du poisson, que l'on soupçonne s'être nourri des corps des parents, amis ou simples compagnons de voyages disparus. Que faire face à ces survivants qui, longtemps encore, vivront dans un autre monde, ailleurs, dans un film d'horreur ? Ecouter, conseiller, rassurer. Bref, accompagner au plus près.
Mais voilà, les bonnes volontés ne suffisent pas quand les victimes se chiffrent par milliers, que les thérapeutes et les moyens sont insuffisants, et que la psychologie est loin de faire partie, culturellement, des thérapies dans une société fortement imprégnée de la «volonté de Dieu» et de survivances de la tradition. La mémoire de l'horreur vécue par les proches, va s’installer d’autant plus longtemps que des centaines de corps sont encore sous les eaux et que, plus durera la récupération des corps et le remorquage du bateau, plus le souvenir s'installera comme «mémoire immédiate». L’œuvre du temps s'en retrouvera moins «thérapeutique». Or, les autorités l'admettent: les efforts de remorquages sont quasi vains du fait de la faiblesse des moyens matériels, le Sénégal n'étant pas équipé pour ce genre d'opérations de sauvetage et la communauté internationale, engagée dans d'autres urgences, tarde à réagir. Bien sûr, aucune autorité sénégalaise n'ose donner un délai et encore moins annoncer que, deux semaines après le drame, le remorquage demeure impossible.
Mais, il y a une évidence: plus le temps passe, plus les choses se compliqueront et les chances de trouver encore des corps entiers diminuent. Alors, on fait ce qu'on peut, avec les moyens du bord. Comme d'indemniser, après recensement, les parents des victimes; prendre en charge ceux dont les parents ont péri dans le naufrage comme «pupilles de la Nation»; donner des bourses aux élèves et étudiants orphelins. En attendant les conclusions de la commission d'enquête sur les causes du drame, qui dispose d’un mois pour déposer sa copie. Alors seulement, après la démission des ministres des Forces armées et des Transports, on prendra des mesures contre ceux qui auront été jugés responsables. A quelque niveau qu'ils soient.
En fait, au-delà du courroux présidentiel sur les responsabilités de l'Etat, c'est sur le chapitre des sanctions que Me Wade est le plus attendu, les sénégalais étant habitués à des commissions d'enquête sans lendemain. Le Sénégal, sous tous les régimes, en a connu des dizaines qui pourrissent dans des coffres hermétiquement clos.
Le MFDC demande pardon
Pour le devoir de mémoire, après les prières dites par toutes les autorités religieuses présentent au Sénégal, une minute de silence a été observée, mardi 8 octobre, par 2 millions d'écoliers et leurs maîtres lors de la rentrée des classes. Mais la prise de conscience la plus brutale produite par le drame du Joola a sans aucun doute été la précarité de la situation des populations. Car, au regard de la vie quotidienne, le drame du bateau n'est qu'un élément parmi des dizains. Qu'il s'agisse des transports en commun, des camions de marchandises, des trains, des routes parsemées de «nids d'éléphants», des bâtiments d'habitations construits n'importe comment, la vie du sénégalais est sans doute l'une des plus précaires d'Afrique. Et il n'est pas évident que les mesures prises par les autorités sénégalaises depuis le drame, comme un contrôle plus stricte sur tous ces risques, ne soient autre chose que du provisoire avant que le naturel ne revienne au galop.
Conséquence inattendue, la question casamançaise est revenue sur le devant de la scène politique. Outre que la région sud a payé le tribut le plus lourd en termes de victimes, c'est aussi parce qu'il fallait calmer ses habitants en désenclavant la Casamance qu'on n'a pas été très regardant sur les moyens, et que le Joola a été remis en service alors qu'il n'offrait pas toutes les garanties. Aujourd'hui, on annonce des mesures qui auraient du être prises depuis longtemps. Il s'agit notamment de l'acquisition de deux bateaux neufs; de la réfection des routes et de leur surveillance, de la réduction dès la fin du mois du prix du billet d’avion et de l’ouverture probable de discussions plus sérieuses avec la Gambie pour résoudre la question de la traversée de ce pays par la construction d'un pont. Dans la foulée de la repentance et des bonnes résolutions, le mouvement séparatiste casamançais MFDC a demandé «pardon au peuple casamançais et au peuple sénégalais» et annoncé qu'il déposait les armes. Enfin, l'appel du président Wade lancé depuis Ziguinchor la semaine dernière pour l'union et la concorde nationales, afin de faire face aux problèmes du pays, semble être bien accueilli par la classe politique, notamment l'opposition.
Reste à voir si toutes ces promesses et autres professions de foi survivront au deuil immédiat. Dernière initiative du président Wade: des funérailles nationales à la mémoire des victimes sur la corniche-ouest de la capitale sénégalaise où sera édifié un mémorial. Cette cérémonie annoncée pour mercredi 9 octobre, a été finalement reportée au vendredi 11.
par Demba Ndiaye
Article publié le 09/10/2002