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Sénégal

Le <i>Joola</i>, révélateur du mal sénégalais

En décidant de limoger deux ministres, le président Wade a pris la mesure des attentes des Sénégalais. Car ce drame est un tragique révélateur d’une incurie qui ne se limite pas au naufrage du Joola.
De notre correspondant à Dakar

Très attendue six jours après le naufrage du Joola le 26 septembre dernier, qui a fait un millier de victimes, l'adresse du président Wade à la nation sénégalaise, n'a pas déçu l'attente des parents de victimes et de l'opinion publique en générale. Pour une fois, Me Wade a regardé les Sénégalais dans les yeux et leur a dit avec des mots durs les maux qui gangrènent la société sénégalaise et qui sont à la base du drame: «les vices qui sont à la base de cette catastrophe trouvent leur fondement dans nos habitudes de légèreté, de manque de sérieux, d'irresponsabilité, parfois de cupidité lorsqu'on tolère des situations qu'on sait parfaitement dangereuses, simplement parce qu'on en tire un profit».

Jamais un chef d'État sénégalais n'avait tenu pareil discours. C'est que Me Wade s'était déjà fait sa religion vingt-quatre heures après le drame quand il s'était adressé devant les grilles du palais aux milliers de manifestants en colère. Il l'a répété lundi soir: «dès le départ, ma conviction a été qu'il y avait quelque part des manquements et fautes successives ou concomitantes dont le cumul est à l'origine de la tragédie». On y avait alors vu un premier désaveu des explications données par son Premier ministre Mme Madior Boye et de certains de ses ministres qui s'en tenaient à l'orage, au vent et à la pluie. ce qui évitait qui cherche et décèle des responsabilités humaines.

La réalité ayant horreur du vide, les premiers éléments de l'enquête sont venus confirmer les soupçons du président Wade le conduisant une nouvelle fois à désavouer deux de ses ministres directement concernés, à savoir ceux des Forces armées, Youba Sambou, et des Transports, Youssoupha Sakho. En effet, dès dimanche, il renvoyait leurs copies aux deux ministres pour «éclaircissements». La pression populaire étant si vive et la détermination du chef de l'État inébranlable, les deux ministres n'ont eu d'autres choix que de rendre leur tablier quelques heures, lundi avant le discours présidentiel.

Ces démissions tant attendues par l'opinion comme gage de bonne volonté du gouvernement de ne plus jamais couvrir des responsables, sont cependant inédites dans l'histoire politique sénégalaise: d'habitude, on ne démissionne pas, on est démis.

Les leçons du drame de Joola

Mesurant la gravité de la situation et le lourd tribut payé par la nation avec la mort tragique d'un millier de personne, mais aussi tenant compte de la légitime suspicion de l'opinion quant au laisser aller ambiant, le chef de l'État sénégalais a martelé sa détermination: «j'ai décidé que la vérité, toute la vérité, sera dite dans cette affaire». En disant cela, le chef de l'État reste en phase avec une opinion suspicieuse, mais qui espère que pour une fois, les tragédies ne passeront pas par «pertes et profits», et les coupables simplement mutés de poste. Cette décision a été bien accueillie y compris par l'opposition politique même si elle attend Me Wade au tournant quant à sa volonté d'aller jusqu'au bout.

La seconde leçon de ce drame, c'est que Me Wade a aussi annoncé une nouveauté en ciblant l'armée qui avait la responsabilité technique du Joola: «j'ai commis l'Inspection générale des Armées pour procéder à une enquête et me déposer un rapport sur les responsabilités dans la commission de l'accident, dans l'organisation de la surveillance militaire à l'heure du drame et aux hures qui ont suivi jusqu'aux premiers secours, sur les responsabilités dans le choix du bateau avec ses caractéristiques techniques, sur les réparations et tout autre fait pouvant nous éclairer». Ce point pourrait bien aller au-delà de l'accident factuel pour toucher plusieurs hautes autorités de l'administration, notamment la grande muette, l'armée, qui a toujours réussi à passer dans les mailles du filet.

Ce qui devrait ne pas se limiter seulement à l'accident lui-même mais aussi, à ce qui y a conduit. L'ancien régime socialiste qui avait acquis le bateau, le constructeur qui l'avait vendu, les sociétés d'entretien et de réparations, tout ce monde devrait être entendu dans le cadre de l'enquête dont le rapport définitif est fixé à dans un mois.

L'autre conséquence du drame, et non des moindres est le traitement de la crise casamançaise. On le sait, il y a un lien de cause à effet dans ce drame. C’est entre autres raisons, l'enclavement de la région qui a conduit à la guerre. C'est le fait que le Joola constitue le principal moyen, de liaison pour les personnes et les marchandises que son immobilisation pendant un an avait mis la pression sur les autorités jusqu'à fermer les yeux sur la remise en eau d'un navire diminué de moitié. C'est aussi pour cela que même après le voyage inaugural à grandes pompes avec presse et tout, personne n'a tenu compte de la lettre envoyé par l'ex-ministre du Transport, qui avertissait le ministre des Forces armées et le Premier ministre sur les incidents notés durant ce premier voyage. Si on sait que l'ex-ministre des Forces armées est originaire de cette région et haut cadre dans le parti du président (PDS), et que les quatre cinquièmes des victimes sont originaires de cette région, on comprend aisément que la question casamançaise, notamment la résolution du conflit, mais avant l'acquisition d'un nouveau bateau, neuf celui-là, sera au cœur des prochaines priorités du gouvernement.



par Demba  Ndiaye

Article publié le 02/10/2002