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Sénégal

Le pays en état de choc après la tragédie du Diola

Trois jours après le naufrage du Diola, au large de la Gambie, au moins 350 corps ont été retrouvés et autant de personnes sont encore portées disparues. La catastrophe semble s’être produite à cause de la tempête, mais aussi, selon le président du Sénégal, Abdoulaye Wade, à cause d'un «cumul de fautes». Les Sénégalais demandent des comptes au gouvernement.
De notre correspondant à Dakar

Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, n'a pas résisté à la vague de douleur des familles des victimes suite au naufrage du «Titanic sénégalais». Samedi 28 septembre, au troisième jour de ce qui restera comme la plus grande catastrophe humaine de l'histoire du Sénégal, des milliers de parents, amis et de simples citoyens, ont marché sur le palais présidentiel pour dire leur douleur qu'ils mettront du temps, un très long temps à effacer de leur cœur et de leur mémoire. Devant les grilles de la mythique résidence du Président, des grappes humaines difficilement contenues par un important dispositif policier ont crié leur colère et dit ce qu'elles attendaient désormais de l'Etat dont la responsabilité est évidente dans cette tragédie.

Devant un président Wade au visage fermé et attentif, le porte-parole des familles des victimes a lu leurs exigences. Il s'agit -entre autres points- de la restitution des corps aux familles dès leur identification ; la diligence des opérations de secours pour sauver encore ce qu'il y a à sauver puisque semble-t-il deux passagers auraient réussi à utiliser leur téléphone portable depuis les cales du Diola pour appeler à l'aide ; la participation de sept délégués à la Commission d'enquête ; un bulletin d'information toutes les demi-heures et un service d'accompagnement des familles pour l'enterrement.

Wade a montré de la compassion devant la douleur indicible des familles des victimes qui crient leur colère et leur douleur. Une douleur qui met à nu ce que la presse n'avait cessé de souligner depuis le début du drame, à savoir la responsabilité de l'Etat et de plusieurs de ses services. «Ma conviction est qu'il y a eu des fautes et des négligences, mais c'est l'enquête qui le déterminera; il y a eu surcharge de passagers et de fret; le bateau était il en état de naviguer avec un tirant d'eau et un moteur en moins. Pourquoi a-t-on autorisé 796 passagers pour une capacité de 540 ?». Tout en prenant des précautions d'usage «par équité» Wade cible certains de ses ministres, comme celui des Forces armées, Youba Sambou en charge de la gestion du bateau; le ministre de la Pêche et celui des Transports.

Désolation et polémique

Cette sortie émouvante-et cependant tranchante- du chef de l'Etat sénégalais est une nouveauté dans les mœurs politiques du pays en matière de gestion des catastrophes. En effet, alors qu'en général, on se réfugie derrière une hypothétique commission d'enquête, le Président Wade accepte d'y inclure le regard suspicieux des parents des victimes. Plus inédit: pour la première fois, un chef d'Etat sénégalais admet publiquement avant toute enquête la responsabilité de l'Etat dans une catastrophe de cette envergure. «Oui, l'Etat est civilement responsable dans ce drame, aussi toutes les familles des victimes seront indemnisées. J'ai demandé qu'on établisse avant même la fin de l'enquête la liste de tous ceux qui ont perdu des parents». Le chef de l'Etat a également annoncé qu'il avait demandé que les résultats de l'enquête soient prêts dès lundi, dans l'après midi. Sur un autre plan, pour répondre au besoin d'informations des parents, le président sénégalais a annoncé que la liste des disparus serait affichée dans un certain nombre de lieux publics (hôpitaux et mairies) et que des photos seraient publiées «dans les journaux, si possible».

Mais au-delà de ces innovations, ce que les observateurs noteront, c'est que le président Wade a démenti publiquement les premières déclarations de certains membres de son gouvernement, en premier lieu de son Premier ministre Mme Mame Madior Boye, de son ministre desTtransports, Youssoupha Sakho et du ministre des Forces armées, Youba Sambou, qui, quelques heures après le drame, excluaient toute idée de faute humaine et défaillance technique en avançant la thèse d'éléments extérieurs, comme les vents, la pluie et la tornade. S'appuyaient t-ils sur les avis des experts (militaires et civils) qui voulaient se laver de tout retour de bâton ultérieur?

Quoiqu’il en soit, si Wade reste dans la ligne de ses déclarations de samedi après midi et que ses accusations se confirment, des têtes sauteront, en premier lieu tout en haut de l'Etat, mais aussi dans les rangs des grands services de l'administration généralement habitués à passer entre les mailles des sanctions. Ainsi, par la force des choses, le remaniement ministériel dont la presse faisait ses choux gras en se basant sur des rumeurs et des suppositions, sera désormais politiquement fondé. Il ne sera plus question d'un rééquilibrage politique pour évincer tel et faire entrer un proche, mais bien de nettoyer un gouvernement et une classe politique qui bien souvent, trop souvent diront certains, se soucient plus son bien être que de celui des populations dont ils ont en charge jusqu'à les envoyer à l'abattoir, dans les fonds marines, comme c'est le cas du drame du «Titanic sénégalais».

Wade a, pour la première fois depuis deux ans et demi qu'il est au pouvoir, mis à exécution sa volonté de transparence politique dans la gestion des affaires publiques. Il a une chance unique de mettre en oeuvre une opération «mains propres», qui le réconcilierait avec des citoyens mécontents d'un pouvoir qui commence à décevoir leurs espoirs. En attendant, ce dimanche a été décrété par le président Wade, avec l'accord des chefs religieux «journée de prières». Lui s'est envolé vers Accra, au Ghana, pour le sommet de la Cedeao sur la crise ivoirienne.



par Demba  Ndiaye

Article publié le 29/09/2002