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Sénégal

Le drame du "Titanic" sénégalais

Le bilan du naufrage du Diola pourrait être très lourd. Près de 800 personnes avaient pris place à bord du ferry qui effectue la liaison Dakar-Casamance. Seule une trentaine de rescapés avait pu être sauve vendredi soir.
De notre correspondant à Dakar

Quand les 796 passagers du bateau le Diola, ont quitté jeudi 26 septembre aux environs de 13h (temps universel) le port de Ziguinchor, ils étaient loin de penser qu'ils avaient rendez-vous avec la mort. Ils ignoraient aussi que ce gigantesque cargo flottant allait devenir un cercueil collectif. Parce que voyager par le Diola, c'est vivre quinze heures de fête non stop dans tous les moindres recoins de ce village amphibie. Ils l'ignoraient parce que personne ne les avait averti que la météorologie nationale avait annoncé de fortes perturbations (orage et tempête) en provenance de la Guinée Bissau. Une tempête qui devait atteindre les côtes sénégalaises, notamment casamançaises dans la nuit, quand ils allaient commencer à somnoler bercés par les vagues.

Si on en croit les premières informations tardivement livrées vendredi 27 septembre par les autorités de Dakar, le Diola a été pris dans le piège des éléments déchaînés (pluies et vents, un violent orage) aux environs de 23h (temps universel) dans les eaux territoriales de la Gambie. Ainsi, le vieux Diola, déjà diminué avec un moteur en moins depuis la reprise de ses rotations le 10 septembre dernier, surchargé au regard de son état, avec 796 passagers (sans compter les marchandises, les véhicules et les camions) pour une capacité de 540 ou de 800, selon les sources, comme une bête blessée, a chaviré, et non coulé comme l'a précisé vendredi après midi le ministre des Transports... Ce qui donne l'espoir qu'on pourrait encore sauver d'autres personnes.

Selon , Mamadou Diop Thioune, l’un des responsables du Centre de plongée sous marine Onénium spécialisé dans les opérations de sauvetage et dont les hommes participent aux opérations de secours estime qu’il y a peu de chances de retrouver des rescapés. Il estime que "c’est très peu probable, maintenant, il faut aller chercher les corps qui sont dans le bateau qui est couché dans les profondeurs". Il précise que le navire a coulé à quelques 160 km de Dakar, aux environs du village de Toubacouta.

Beaucoup de questions sans réponse

Vendredi en fin d’après-midi, le gouvernement qui a observé le silence pendant des heures (de 23h jeudi à 10h du matin ce vendredi), n'a pu livrer qu'un bilan que tout le monde sait dérisoirement provisoire: 41 décès confirmés, 32 survivants repêchés. Bilan fourni par le Premier ministre Mame Madior Boye en fin de matinée. Le ministre de l'équipement, Youssoupha Sakho, qui avait fait le voyage d'inauguration du Diola le 10 septembre dernier, interrogé cet après midi, reconnaît "qu'il n'y a pas de bilan exact, les recherches se poursuivent et que la situation évolue d'heure en heure", et que des "survivants seraient encore dans le bateau".

Les trois jours de deuil décrété par le président Abdoulaye Wade depuis Paris qu'il s'apprêtait de quitter en début d'après midi vendredi pour Dakar, ainsi que le plan Orsec (organisation des secours) mis en place par le gouvernement, n'éluderont pas, loin s'en faut, un certain nombre de questions sur des manquements notoires notés. Il s'agit notamment du fait que seul un moteur sur les deux avait été retapé après la longue immobilisation pour un coût de 200 millions de francs CFA (300 000 euros). Pour le second moteur, l'Etat disait rechercher 250 autres millions de francs CFA. Des sommes ridicules pour un Etat au regard de l'utilité de ce bateau qui reste le principal outil de transport de personnes et de marchandises entre la Casamance et le reste du Sénégal, les routes étant dangereuses du fait de la rébellion armée du MFDC et autres bandits de grand chemin.

Nombre de questions restent sans réponse. Pourquoi a-t-il été décidé de limiter les rotations du bateau entre Dakar et Ziguinchor à une par semaine contre deux aller-retour auparavant ? Pourquoi naviguer avec un seul moteur alors qu'il est en prévu deux? Comment expliquer que d'autres bateaux et chalutiers qui se trouvaient dans la même zone et dont certains ont participé aux opérations de secours n'ont pas subi le même sort que le "Diola"? Pourquoi, le gouvernement, informé du drame depuis 23h, jeudi soir, s'est muré dans un silence incompréhensible jusqu'au milieu de la matinée de vendredi? Enfin, les marins avaient t-ils pris connaissance des prévisions météo qui annonçaient de fortes perturbations?

Ce sont toutes ces questions pour l'heure sans réponse qui ont alimenté la colère des centaines de parents et amis des passagers aux ports de Ziguinchor et de Dakar qui s'affrontent avec les forces de l'ordre sur les deux ports en exigeant des explications et en accusant le gouvernement d'incompétence. Entre pleurs, imprécations et colère, certains réclament déjà la tête du gouvernement, notamment de certains d'entre eux, comme le ministre des Transport. Ce dernier, qui a refusé de répondre à cette question, s'est contenté de déclarer qu'une enquête était en cours pour apporter des réponses à toutes ces questions. Quant au président Abbdoulaye Wade, qui arrivé à Dakar à 14h30 (temps universel) en provenance de Paris, sans doute très touché par cette tragédie annoncée, est resté très discret et digne, déclarant dans une très brève allocution à l'aéroport Léopold Sédar Senghor, que "toutes les dispositions sont prises pour recevoir les survivants " et que "la lumière sera faite sur cette affaire".



par Demba  Ndiaye

Article publié le 27/09/2002