Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Sénégal

Casamance : la paix enlisée

Plus on pense que la paix est à portée de main en Casamance, moins elle est accessible. Les attaques se multiplient dans le nord de cette région du Sud du Sénégal, alors qu’on reparle de l’affaire des quatre français disparus en 1995.
De notre correspondant à Dakar

Du point de vue factuel, cet état de fait s’explique par les exactions, qui sont le quotidien des populations et des voyageurs sur les routes de la région, notamment dans la partie nord (département de Bignona, nord Casamance, à la frontière avec la Gambie). Il est vrai que toutes ces incursions ne peuvent être mises sur le dos du mouvement indépendantiste (MFDC), car la crise a aussi produit des bandes armées. Les objectifs de prédilection des uns (maquisards du MFDC) et des autres (bandits) sont naturellement les voyageurs, les campements de pêcheurs saisonniers, les sites et villages touristiques, comme Kafountine qui en l’espace de deux semaines a reçu la visite de ces bandes armées avec à la clé des pertes en vies humaines et des blessés graves. L’attaque dans la nuit de lundi à mardi dernier dont ce village a fait les frais, est la plus grave perpétrée depuis un an.

Du point de vue structurel, cette situation de ni-guerre, ni-paix, renvoie à la crise politico-militaire du mouvement. En effet, l’éclatement, il y a deux ans, de l’aile politique intérieure avec comme chefs de file les deux dirigeants historiques que sont l’abbé Diamacoune Senghor et Sidy Badji, ex-chef d’état major du maquis dans les années 90 avant qu’il ne dépose les armes en 1993 et rentre à Ziguinchor(la capitale de la région) où depuis il est sous la garde de l’armée. Cette crise de l’aile politique a eu des conséquences dans les rangs du maquis qui s’est scindé en deux avec, d’un côté, des loyalistes (à l’abbé) et, de l’autre, des partisans de Salif Sadio, ex-chef d’état major du maquis depuis les affrontements sanglants inter factions de décembre 2000. Salif Sadio, chassé du maquis situé dans le sud, à la frontière avec la Guinée Bissau, est parti installer ses quartiers à la frontière gambienne. En 2001, il se brouille avec ses principaux lieutenants, Vieux Faye et Ousmane Goudiaby, qui vont créer leurs propres groupes dans la même zone du Nord-Casamance à la frontière gambienne. Ce sont ces groupes armés qui commettent les exactions sur les routes et dans les villages de cette partie de la région, à la barbe des forces de sécurité pourtant omniprésentes sur le terrain.

Rebondissement dans l’affaire des Français disparus

A ces problèmes internes au mouvement indépendantiste, est venue s’ajouter une gestion politique de la crise par les différent gouvernements de la région dont celui d’Abdoulaye Wade arrivé au pouvoir en mars 2000. Cette gestion se caractérise par une opacité justifiée par la sempiternelle raison que «les négociations ne se font pas sur la place publique». Aussi, l’opposition ne se prive pas d'ironiser sur «l’échec de Me wade qui disait avant son élection qu’il pouvait résoudre la crise en une semaine». A quelques jours de l’anniversaire de sa prestation de serment le 3 avril 2000, les derniers événements (les morts et blessés de Kafountine) sonnent comme un rappel à la modestie et, peut-être, à un changement de méthode.

Un malheur ne venant pas seul, le rebondissement «l’affaire» de la disparition des quatre touristes français, survenue le 5 avril 1995, avec l’audition, mardi 26 mars, par un juge de Saint-Etienne du dirigeant du MFD, exilé à Paris Nkrumah Sané, sonne comme un rappel de la place de la France dans cette crise. L’abbé Diamacoune a toujours clamé que la Casamance «n’a jamais fait partie du Sénégal» en affirmant que «la France le sait». Dans le passé, il a exigé le témoignage de l'ancienne puissance coloniale, qui avait envoyé le conservateur des archives coloniales, Pierre Charpy, qui déclara dans un argumentaire flou, que la Casamance faisait effectivement partie du Sénégal. Du coup, le MFDC avait crié alors à la «trahison». C’est peut-être ce qui explique le fait que les intérêts de la France, ainsi que ses touristes, sont souvent les cibles des bandes armées.

Sept ans après l’affaire des disparus, le fait que la justice française évoque la piste du mouvement indépendantiste, avec l’exhibition tardive d’un «coupable» en la personne d’un certain Joaquim Assine Sambou ne va probablement pas améliorer les sentiments anti-français des maquisards. A Dakar, on s’interroge en tous cas sur le temps qu’il fallu pour qu’on révèle l’existence d’un suspect, faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé depuis le 17 mai 1979, dont personne n’avait jamais entendu parlé. D’autant que depuis ce drame, le gouvernement du Sénégal, sous l’ex-président Abdou Diouf, comme le MFDC n’ont cessé de clamer leur innocence. Bref, ce nouveau rebondissement apporte un peu plus de confusion dans un dossier décidément bien mystérieux.



par Demba  Ndiaye

Article publié le 29/03/2002