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Sénégal

Le match de la discorde avec la Gambie

Un match de football manque de déclencher une crise politique entre la Gambie et le Sénégal. Le samedi 7 juin. Les Lions de la Teranga, équipe nationale du Sénégal, ont battu sur leur terrain à Dakar, l'équipe nationale de Gambie lors de la quatrième journée des qualifications pour la coupe d'Afrique des nations de football 2004. Le score de 3 buts à 1, humiliant pour les Gambiens, et la tension autour du match ont entraîné des échauffourées entre supporteurs.
«La bagarre a commencé dès le début du match. Les supporters gambiens sont responsables au même titre que les supporteurs sénégalais, mais je jure que ce sont les Sénégalais qui ont commencé les premiers à nous jeter des sachets dans lesquels on avait mis de l'urine !» Walfadjri, un quotidien sénégalais rapporte ainsi les propos d'un supporteur gambien qui aurait aussi laissé entendre que les Gambiens avait projeté de se venger dès leur retour au pays. En effet, au poste frontière de Karang, les supporteurs gambiens descendus des bus qui les ramenaient dans leur pays, ont pris à parti les quelques fonctionnaires sénégalais en poste et les populations civiles des environs, le dimanche 8 aux aurores. Voitures incendiées, bagarres générales, insultes, boutiques saccagées et pillées, très vites les populations sénégalaises se sont senties démunies avant de recevoir une protection ponctuelle des forces de l'ordre arrivées sur les lieux à la mi-journée.

À Banjul, la capitale gambienne, et à Bara, des rumeurs de mort d'homme suite aux événements de Karang se répandent. La rumeur gambienne a même fait état d'une dizaine de morts lors des bagarres entre supporteurs à Dakar. Les représailles ont été immédiates. Le Sénégalais est pourchassé. Le sentiment anti-sénégalais grandi dans les villes gambiennes, c'est l'escalade de la violence. Un école sénégalaise est incendiée et tous les biens appartenant à des sénégalais sont détruits. Une antenne de la radio privée Sud-FM a été réduite au silence. La réaction de l'Union des journalistes de l'Afrique de l'Ouest a été immédiate qui réclame des autorités gambiennes une condamnation de toutes ces exactions. Pour éviter une trop grande dégradation de la situation, le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheik Titdiane Gadio, a saisi son homologue gambien, Boubacar Blaise Diagne pour que la protection des populations sénégalaises vivant en Gambie soit effectivement assurée. Des appels au calme ont été lancés de part et d'autre avec à la clé un couvre-feu décrété en Gambie entre 19 heures et 6 heures locales.

Le couvre-feu pour calmer les esprits

Les politiques des deux pays ont aussi décidé de publier des communiqués dans lesquels ils regrettent les incidents et dénoncent les rumeurs de mort d'homme. Ils reconnaissent néanmoins de nombreux blessés qui ont reçu des soins «ne nécessitant aucune hospitalisation». Mais la tension est restée vive en Gambie, même 48 heures après le match, parce que certains propos du ministre de l'intérieur gambien, Ousmane Badjie, prêtaient aussi à équivoque. «Le gouvernement est au courant du mauvais traitement dont vous avez été l'objet, mais vous exhorte à lui laisser le loisir de régler cette affaire», a-t-il déclaré, renforçant le sentiment d'injustice et de victime ressenti par les Gambiens. Un député, Halifa Sallah, appelle, quant à lui, à une grande manifestation pacifique devant le palais présidentiel à Banjul. Il a l'intention de demander au président Yahya Jammeh «d'exiger des explications sur les violences faites aux supporters gambiens» à Dakar. Certes, les violences ont cessé, mais un rien mettrait à nouveau le feu aux poudres c'est pourquoi le couvre-feu est toujours maintenu, de nombreuses villes ayant aussi gagné par les violences anti-sénégalaises.

Panniqués, plusieurs centaines de Sénégalais ont investi les locaux de l'ambassade de leur pays à Banjul pour se mettre à l'abri d'éventuelles expéditions punitives. «Il n'en sera rien», rassure Ndiouga Ndiaye, l'ambassadeur du Sénégal en Gambie, qui confirme un retour progressif de ses compatriotes dans leurs foyers respectifs. Mais quelques irréductibles candidats au départ refusent de quitter les locaux de l'ambassade et réclament leur rapatriement vers le Sénégal. Le ministre sénégalais de l'Intérieur, le général Mamadou Niang s'est rendu à Banjul le 9 juin pour rassurer ses compatriotes. Mais il a été conspué lorsqu'il a annoncé qu'il n'était pas dans l'intention de son gouvernement d'organiser «des rapatriements massifs».

Les autorités sénégalaises parient sur un retour rapide à la normalité, car pour elles, cet incident ne pourrait entraîner une crise politique majeure entre les deux pays. Les autorités politiques évoquent, par ailleurs, les relations particulières qui lient les deux pays et leurs populations pour se persuader que des réponses «familiales» seront apportées aux problèmes. La Gambie, entièrement intégrée au Sénégal, partage avec ce pays les mêmes populations et les mêmes langues. Mais une différence persiste. La barrière des langues officielles, (l'anglais pour la Gambie et le français pour le Sénégal) que les tentatives d'effacement par le Sénégal, pudiquement appelées confédération, n'ont pu vaincre.



par Didier  Samson

Article publié le 10/06/2003