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Sénégal

«L'affaire des mannequins»<br>provoque une crise avec la Libye

La découverte d'un trafic de mannequins sénégalais à destination de la Libye, présumé être lié à un réseau de prostitution, provoque une crise diplomatique entre Dakar et Tripoli, le Sénégal ayant rappelé son ambassadeur en Libye.
De notre correspondant au Sénégal

Les s£urs jumelles Nancy et Leila Campbell ainsi que la styliste Oumou Sy ont été inculpées par le juge d'instruction du délit de proxénétisme et d'atteinte à l'ordre public pour les deux premières et de complicité dans un réseau de proxénétisme pour la troisième. Et depuis le vendredi 31 Août, ces trois prévenues dans la rocambolesque affaire des 99 «mannequins» sénégalais qu'on a tenté de convoyer en Libye sont détenues au Camp pénal de Liberté VI à Dakar.

Les s£urs Campbell et Oumou Sy en prison, l'affaire est loin pour autant de connaître son épilogue. En effet, les autorités sénégalaises marquent une certaine détermination à aller jusqu'au bout de cette affaire et de la tirer au clair. C'est dans cet esprit que la justice sénégalaise compte ordonner des commissions rogatoires. De son côté, le ministre sénégalais de l'Intérieur a déjà saisi Interpol. Cette effervescence judiciaire et policière est causée par la certitude qu'ont les enquêteurs de l'existence d' «implications et de ramifications internationales». C'est pourquoi, les gendarmes et policiers sénégalais vont poursuivre l'enquête non seulement au plan national mais aussi au plan international.

Au demeurant, la dimension diplomatique de ce fait divers qui est en passe de devenir le feuilleton de l'été au Sénégal est manifeste. L'une des s£urs jumelles, Nancy Campbell est mariée à un Libyen qui vit au Niger. Cette dernière s'était déjà fait remarquer dans une autre affaire. Elle avait déjà organisé un défilé au début de l'année à Tripoli. Ce défilé avait rassemblé plus d'une cinquantaine de top models, qui après s'être fait confisquer leur passeport, s'étaient retrouvées séquestrées à l'hôtel et n'avaient du leur salut qu'à l'intervention du Quai d'Orsay. Selon des témoignages dignes de foi, il s'était agi de détourner les filles en Libye aux fins de prostitution, soupçon confirmé par le fait que des tests de dépistage du virus du sida étaient prévus. Avant de contacter les jeunes filles sénégalaises, Nancy et sa s£ur Leila, connues pour entretenir des relations suivies avec certaines autorités libyennes, avaient tout d'abord transité par le Cap-Vert, république voisine du Sénégal. Elles y ont en vain tenté d'enrôler des filles de cet archipel.

La vigilance des gendarmes de l'aéroport

C'est au Sénégal en revanche qu'elles ont pu «décrocher» quatre-vingt-dix neuf des filles triées sur le volet à l'issue d'un casting ou abordées purement et simplement pour leur beauté dans les rues de Dakar. Dans ce recrutement d'un autre genre, la styliste Oumou Sy aurait également joué un rôle important. Elle a reconnu avoir délivré un reçu aux s£urs Campbell qui lui ont remis 7 000 dollars (50 000 FF) en guise d'avance. Cette même Oumou Sy avait fixé à son profit une commission de 20 % sur la somme de 400 000 F CFA que chacune des 99 filles allaient percevoir. Selon les autorités sénégalaises, cette entreprise d' «exfiltration», organisée sous couvert de l'anniversaire de la Jamahiriya arabe libyenne, par ces jumelles qui voulaient embarquer ces filles sénégalaises «destinées à la prostitution», aurait réussi si les agents de sécurité et les gendarmes de l'aéroport Léopold Sédar Senghor n'avaient pas fait preuve de vigilance.

Intrigués par le nombre impressionnant de jeunes filles qui s'apprêtaient à embarquer le 18 Août dans le Boeing 727 Libyen affrété à Malte, les policiers et gendarmes ont vite alerté les autorités. Celles-ci, prises de court et s'offusquant d'avoir été mises devant le fait accompli, ont réagi avec célérité et fermeté. Le ministre sénégalais des Affaires étrangères, des Sénégalais de l'Extérieur et de l'Union Africaine, Cheikh Tidiane Gadio a fustigé cette affaire impliquant des diplomates libyens en la qualifiant d' «inacceptable et d' inamicale» avant d'ajouter que le Sénégal n'est pas «un Etat passoire». Quelques heures après, c'est le ministre sénégalais de l'intérieur qui assure dans un communiqué que ces filles qu'on tentait d'exfiltrer du territoire national étaient bien destinées à un trafic lié à la prostitution.

Aujourd'hui, alors que les quatre-vingt-dix neuf jeunes filles ont été toutes relâchées après avoir été entendues par les gendarmes, les trois prévenues dans cette affaire à la fois dramatique et ubuesque font les choux gras de la presse sénégalaise pour les risques qu'elles encourent pénalement (cinq ans d'emprisonnement ferme).


Quant aux relations sénégalo-libyennes, les observateurs s'accordent à dire qu'elles viennent de subir un sérieux coup d'arrêt avec des incidences fâcheuses sur l'Union Africaine. La Libye, initiatrice du projet avait été fortement soutenue par le Sénégal qui fut son avocat itinérant sur le continent. Aujourd'hui, ce détestable fait divers risque de tout remettre en cause au rythme où Dakar traite le dossier des 99 « mannequins » non livrés au Guide de la Révolution pour le 32ème anniversaire de la Jamahiriya.

Les sons RFI sur «l'affaire des mannequins»



par A Dakar, Pape  TOURE

Article publié le 04/09/2001