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Sénégal

L'an 3 de l'alternance

19 mars 2000/19 mars 2003. Le président Abdoulaye Wade et ses alliés ont voulu marquer de leur empreinte le troisième anniversaire de leur accession au pouvoir. Une semaine de meetings, de conférences publiques pour tenter de réveiller les «espoirs déçus», selon l’opposition. Mal perçu par les Sénégalais, Me Wade s’est cru obligé de participer, pendant deux heures de temps mercredi, à une émission populaire organisée par la radio privée «Sud Fm». Sur l’agriculture, les privatisations, l’électricité, le transport publique, le «pape» du Sopi («le changement») a allié gouailleries, provocations et cœur ouvert. Mais sur deux questions, la Casamance et la diplomatie, le chef de l’Etat sénégalais s’est carrément «découvert».
Depuis trois ans, le dossier casamançais est la question piège posée au chef de l’Etat sénégalais. «Vous aviez dit pendant la campagne électorale de 2000 que vous alliez régler la question en 100 jours. Vous ne l’avez toujours pas fait, pourquoi ?». Gêné mais toujours souriant, le chef de l’Etat sénégalais se dévoile : «Effectivement, j’avais dit qu’avec l’aide de Dieu quand je serai au pouvoir, en trois mois, je réglerais le problème de la Casamance. Pour quelles raisons j’ai dit ça ?». C’est bien la question qui lui est posée.

On apprend alors que Me Wade, alors ministre de l’opposition dans deux gouvernements de son prédécesseur Abdou Diouf, aujourd’hui secrétaire général de la Francophonie, a été piégé par certains secteurs impliqués dans cette crise. Voulant alors faire ses preuves, le ministre d’Etat d'alors a pris pour argent comptant ce qui était à l’évidence des pièges. «Quand j’étais ministre d’Etat, j’ai eu une fois la visite de tous les généraux d’état-major. Ils m’ont dit : ‘monsieur le président, vous étes le seul à pouvoir régler le problème de la Casamance. Nous, nous sommes sur le terrain, nous entendons ce que les Casamançais disent. C’était Mansour Seck (ancien chef d’état-major, ex-ambassadeur du Sénégal aux Etats-Unis, actuellement à la retraite, Ndlr) qui était le chef, avec le commandement dans la région».

Après ses responsables de l’armée, Me Wade dévoile aussi une autre raison de son optimisme, dix ans après : «Robert Sagna, qui est responsable politique, maire de Ziguinchor, est venu me dire : ‘vous êtes le seul à pouvoir régler le problème de la Casamance’». Enfin, troisième raison de cet optimisme de Wade, lors de son passage dans le gouvernement de Diouf, celui-ci (pour le piéger sans doute) lui avait confié la gestion de cette question. «Donc, fort de tout ça, je me suis dit que le jour où j’arriverai au pouvoir, je réglerai le problème rapidement. Il est vrai que sur l’estimation du temps (100 jours, ndlr), je me suis trompé. J’ai commis une erreur d’estimation».

«Inch’Allah, je vais régler le problème»

Mais après ce qui peut apparaître comme une auto-critique, Me Wade garde son optimisme : «Mais, inch’Allah, je vais régler le problème. Je ne peux pas vous dire quand. Mais les contacts que j’ai avec les combattants qui sont sur le front, me permettent de penser qu’assez rapidement, je vais pouvoir régler le problème de la Casamance».

Régulièrement attaqué sur sa politique diplomatique, notamment vis à vis des pays voisins, Me Wade a joué au sapeur-pompier. En effet, au début de son mandat, avec son langage d’opposant, il avait réussi à incommoder beaucoup des voisins du Sénégal. C’est de Paris, lors de sa première visite que, parlant des pays voisins, il les avait qualifiés de pays «mineurs». Bissau et la Gambie avaient alors mal pris cette sortie de Me Wade. Aujourd’hui, trois ans après, s’il refuse toujours de revenir sur ses dérapages, il assure qu’il entretient «les meilleures relations» avec ses voisins, notamment avec la Mauritanie, la Guinée Bissau et le Mali, tout en reconnaissant qu’il a «des problèmes» avec la Gambie. Avant d’ajouter : «mais je n’y suis pour rien». Concernant l’enclavement de la Casamance, avec notamment le naufrage du bateau «Le Diola», le chef de l’Etat déclare : «cet enclavement, je l’ai trouvé ici. Maintenant, ce que j’envisage de faire, c’est de faire un pont qui enjambe la Gambie. La France et la Grande-Bretagne sont responsables de la situation actuelle. C’est eux qui ont divisé nos pays. Il faut donc qu’ils m’aident à régler ce problème».

Enfin, sur la question de la crise irakienne (l’interview a eu lieu avant les premières frappes américaines), Me Wade confirme pour s’en réjouir qu’il avait eu plusieurs entretiens téléphoniques avec Georges Bush et Jacques Chirac. «Je ne vais pas vous dire ce qu’on s’est dit, mais cela montre l’intérêt qu’on porte au Sénégal. Je ne suis pas quelqu’un qui dit ‘je supporte celui-ci ou celui-là’, mais je donne mon avis, comme lors des conférences des non-alignés et des pays de l’OCI…». Les sénégalais ne sauront jamais ce que le président Wade et ses homologues américain et français se sont dits.



par Demba  Ndiaye

Article publié le 23/03/2003