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Patrimoine

«Les arts sous Charles VI», Paris flamboie

<P><I>Tableau de la Trinité</I>. Email sur ronde-bosse d’or, saphirs, rubis, perles. Paris ou Londres, vers 1380-1400</P> 

		© RMN/ Berizzi

Tableau de la Trinité. Email sur ronde-bosse d’or, saphirs, rubis, perles. Paris ou Londres, vers 1380-1400


© RMN/ Berizzi
Nous sommes sous le règne de Charles VI. Tandis que la Guerre de Cent ans, le Grand Schisme d’Occident, les émeutes dans Paris et la Grande Peste ont, entre autre, laissé dans l’histoire la trace indélébile d’une période noire, le gothique flamboyant s’empare d’une capitale où s’affairent les orfèvres, les ébénistes, les sculpteurs, les tapissiers, les architectes. Le royaume est riche, et Paris tend à s’affirmer comme un centre politique et administratif de l’Etat. Autour de 1400, fréquentée par les princes et les souverains étrangers, attirant des artistes qui viennent des Flandres, de Bohême, des Pays-Bas et d’Italie, Paris est en quelque sorte la capitale des arts. Prolongée jusqu’au 19 juillet 21H.30, l’exposition Paris 1400, les arts sous Charles VI place le curseur sur une date qui constitue un véritable tournant marquant de la fin du Moyen Âge.

C’est au Louvre, une des résidences royales, que sont revenues, le temps d’une exposition, 270 pièces, rares et dispersées dans le monde entier. Les trésors réunis proviennent de collections publiques françaises et étrangères, de collectivités locales, ou ecclésiastiques, et de collectionneurs privés. La pièce maîtresse de l’exposition est le Goldenes Rössl (le reliquaire au Cheval d’or), un chef d’œuvre rarissime et précieux entre tous, créé à Paris il y a exactement six cent ans. Il s’agit d’une «Vierge à l’enfant en un jardin en manière de treille», au pied de laquelle, se tient un cheval harnaché d’or émaillé et ciselé, accompagné de son écuyer au polychrome pimpant.

Le Cheval d’or est un joyau d’orfèvrerie, offert par Isabeau de Bavière à son époux à l’occasion des étrennes du 1er janvier 1405, et aujourd’hui conservé au trésor d’Altötting (Bavière). Conservateurs du patrimoine, chercheurs et universitaires ont souhaité, par cette exposition, rendre compte de la prospérité exceptionnelle et de la frénésie créative du pays en ces années médiévales où Paris est le pôle artistique le plus dynamique d’Europe. Le Goldenes Rössl atteste en outre, comme le souligne Elizabeth Taburet-Delahaye, commissaire de l’exposition, «qu’à cette époque la séparation entre le monde religieux et le monde terrestre s’amenuise, et devient de plus en plus floue [ sont représentés ensemble] la Vierge à l’enfant, le monde céleste, avec l’écuyer, le monde terrestre de la cour».


<EM><P>L’auteur offrant son livre à Isabeau de Bavière</EM>, in <EM>Œuvres&nbsp; pour Isabeau de Bavière, </EM>vers 1413.</P> 

		© Londres, British Library

L’auteur offrant son livre à Isabeau de Bavière, in Œuvres  pour Isabeau de Bavière, vers 1413.


© Londres, British Library

Quand Charles V meurt, le roi, amoureux des arts et bibliophile averti, lègue ses collections à son fils, lequel est immergé très tôt dans un environnement où l’on entretient un goût certain pour les arts et les lettres. Quand Charles VI est sacré roi en 1380, il n’a pas 12 ans. En 1388, il souhaite gouverner seul. Epris de paix (on le surnomme le bien-aimé), il réussit à maintenir une trêve avec l’Angleterre pour deux décennies. Les «princes des fleurs de lys» (ndlr: désignation des Valois de l’époque), disposant de moyens financiers considérables, se pressent autour de lui. Rivalités politiques et besoins d’affirmer une suprématie sur les cours voisines, de l’argent, le goût du luxe, tous les paramètres sont en place pour stimuler la concurrence, et la créativité des artistes auxquels les rois et les princes passent commande (Paris à l’époque compte pas moins de 600 orfèvres recensés).

A l’entrée de l’exposition, le visiteur est accueilli par Charles VI et son épouse Isabeau de Bavière, et par Jeanne de Boulogne, épouse du Duc de Berry (l’oncle du roi), trois moulages de la Belle Cheminée de la grande salle du palais de Poitiers. Reste ensuite à explorer, chronologiquement, une multiplicité de pièces manifestant une grande diversité de techniques. Emaux sur or, vases, bijoux ou attributs de cour et de chevalerie, armes d’apparat enrichies de pierres précieuses, de décors d’or et d’argent laissent apprécier au visiteur le raffinement, la préciosité, et l’excellence d’exécution qu’il s’agisse d’œuvres religieuses ou profanes, d’objets de table ou de joyaux d’étrennes.

La grande période d’apogée se situe entre 1390 et 1405; avec 200 000 habitants, Paris est la ville la plus peuplée d’Europe.Y siègent le gouvernement, un puissant évêché, la principale université du royaume. C’est un centre intellectuel et spirituel de premier ordre, où se forge ce qu’on appellera plus tard le gothique international, et où émerge de nouveaux courants littéraires. Des planches d’architecture à l’aquarelle, et des sculptures rendent compte de cette période gothique, repérable par des courbes qui dessinent des formes de flammes.

<P><EM>La Fuite en Egypte au soleil levant, (Heures du Maréchal Boucicaut), </EM>Paris, vers 1408</P> 

		© Paris, Institut de France, musée Jacquemart-André

La Fuite en Egypte au soleil levant, (Heures du Maréchal Boucicaut), Paris, vers 1408


© Paris, Institut de France, musée Jacquemart-André

1400, âge d'or du manuscrit enluminé

Par ailleurs, «l’exaltation des valeurs courtoises et chevaleresques suscite le développement des thèmes liés à cet univers [reflétant à la fois] l’intérêt de la cour de Charles VI pour la littérature historique et de la place croissante accordée aux femmes dans le milieu lettré». Tout l’univers courtois de cette fin du Moyen-âge se révèle aussi bien dans les petits objets d’orfèvrerie que sur les superbes tapisseries qui ont conservé une totale fraîcheur des couleurs: ainsi, La Rencontre ou l’Offrande du cœur, scène emblématique de l’amour courtois.

Les «beaux oncles» de Charles VI, les ducs de Berry, de Bourgogne, et de Bourbon viennent également se fournir en beaux livres. Les manuscrits enluminés constituent véritablement le temps fort de l’exposition. Provenant quasiment tous de la Bibliothèque nationale, livres d’heures, bibles, et monuments de la littérature d’époque comme le Roman de la Rose de Guillaume Lorris et Jean de Meung, ou quelques exemplaires de Boccace jalonnent toute l’exposition. Un traité de la chasse, de Gaston Phébus, décrit avec précision comment attraper le gibier, croquis à l’appui; remportant un vif succès à l’époque, pas moins de 30 exemplaires de ce dernier ont été commandés. Tous ces ouvrages témoignent, selon François Avril, historien, «d’une attention nouvelle à la représentation de la nature, et à la description des activités humaines ou à la figuration naturaliste des espèces végétales et animales». Le souci de réalisme est également très sensible dans les expressions des physionomies qui traduisent les sentiments intérieurs des personnages mis en scène.

<P><EM>L’offrande du cœur. </EM>Tapisserie, laine et soie. Paris, vers 1400-1410</P> 

		© RMN

L’offrande du cœur. Tapisserie, laine et soie. Paris, vers 1400-1410


© RMN

François Avril souligne: «autour des illustrateurs proprement dits, chargés de peindre les «histoires», gravitent nombre de praticiens spécialisés, dont l’étude précise reste à faire : les peintres de «vignette», cantonnés dans l’exécution des initiales et des encadrements, et des filigraneurs. Le fond des miniatures, toujours peint en premier, après exécution du dessin de la composition, était parfois confié à u e autre catégorie de spécialistes (…) au sommet de la pyramide artistique siègent un petit nombre d’enlumineurs au statut envié car attachés de façon prolongée au service d’un mécène princier».

1400, une étape dans la représentation de l’Homme et du Divin

1400 marque également une étape dans la représentation de l’Homme et du Divin, et dans la représentation des liens qui unissent les deux: «le milieu parisien participe pleinement, à la fin du XIVe et au début du XVe, à la diffusion des images suscitées par le nouveau courant de dévotion privée, qui cherche une relation plus intime au Christ (…) aux réflexions sur la destinée humaine développées par les moralistes et les théologiens parisiens, qui opposent au triomphe de l’âme dans l’éternité, la décomposition physique du corps», explique François Avril: ainsi au tombeau traditionnel à gisant représentant le mort reposant, vêtu et paisible, peut se substituer le transi, nu et décharné, comme celui de Guillaume de Harcigny, médecin de Charles VI, attestant d’un souci de réalisme croissant.

Thème gothique par excellence, celui du groupe formé par la Vierge à l’Enfant Jésus: ce thème connaît de nouvelles formes en 1400, et privilégie la relation à la mère, humaine, qui allaite un enfant quelquefois goulu. Qu’elles soient en marbre, en ivoire, en calcaire, en argent doré, miniatures ou monumentales, toutes les Vierges présentées dans la dernière salle sont représentatives de cette sensibilité. Renate Eickelmann, historienne, attire l’attention sur «l’ampleur et le mouvement des figures, l’abondance des drapés, l’élégance des gestes et l’expression douce des visages [qui]distinguent la plupart des figures originaires de Paris ou d’Ile-de-France ici rassemblées».

Tous ces objets sont les témoins d’une époque fastueuse et brillante, entre 1380 et 1410. Ce n’est qu’à la fin de la Renaissance que ce savoir-faire sera ravivé. Entre-temps, la Guerre de Cent ans, le Grand Schisme d’Occident, la naissance des Etats bourguignons, la déchéance du roi atteint de folie, les émeutes dans Paris, la défaite d’Azincourt (1415), le «honteux traité de Troyes» (1420) les épidémies de peste, occulteront cette période intellectuellement et artistiquement rayonnante.


par Dominique  Raizon

Article publié le 15/07/2004 Dernière mise à jour le 15/07/2004 à 14:26 TU