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Proche-Orient

Crise sans précédent entre l’ONU et les Palestiniens

Roed-Larsen en compagnie de Yasser Arafat en juin 2003. Autrefois proches, les deux hommes ne se sont pas revus depuis plus d'un an. 

		Photo : AFP
Roed-Larsen en compagnie de Yasser Arafat en juin 2003. Autrefois proches, les deux hommes ne se sont pas revus depuis plus d'un an.
Photo : AFP
L’Autorité palestinienne supporte mal la critique. Pour avoir dénoncé, en des termes certes sévères, la réticence et donc l’incapacité du président Yasser Arafat à engager des réformes, l’envoyé spécial des Nations unies au Proche-Orient est ouvertement désigné aujourd’hui comme «l’ennemi du peuple palestinien». Terje Roed-Larsen, pourtant plutôt connu pour ses prises de position très dures envers la politique israélienne dans les territoires occupés, a en effet été déclaré persona non grata. Et les Brigades des martyrs d’al-Aqsa, un groupe radical lié au Fatah de Yasser Arafat, lui ont interdit l’entrée des territoires palestiniens.

Dans son dernier rapport mensuel au Conseil de sécurité sur la situation au Proche-Orient, le diplomate norvégien n’a, il est vrai, pas mâché ses mots, s’en prenant aussi bien à l’Autorité palestinienne –ce qui est plutôt rare– qu’à l’Etat hébreu. Dressant un tableau noir de la situation sécuritaire dans les territoires qui selon lui «tourne progressivement au chaos», Terje Roed-Larsen a notamment estimé que «cet effondrement du pouvoir ne pouvait simplement être mis au compte des incursions et des opérations israéliennes dans les villes palestiniennes». Volontairement alarmiste sur l’état des services de sécurité palestiniens,  l’envoyé spécial de Kofi Annan a estimé que «l'Autorité palestinienne était  en profonde difficulté et en réel danger d'effondrement». Il a directement mis en cause le président Yasser Arafat pour son manque de volonté politique de réforme. Il lui a réservé ses mots les plus durs en l’accusant notamment de n’avoir apporté qu’un «soutien symbolique et partiel» à la proposition de l’Egypte en vue de réformer des services de sécurité palestiniens. Or ces réformes, a-t-il insisté, sont cruciales pour «rétablir la loi et l’ordre et –plus important encore– rétablir l’Autorité palestinienne en tant que partenaire totalement crédible pour la communauté internationale».

Cette mise en cause du rôle de Yasser Arafat ainsi que la remise en question par le représentant des Nations unies de son leadership –il reste le représentant élu du peuple palestinien– n’a bien évidemment pas été du goût du président de l’Autorité palestinienne et de son entourage. Son principal conseiller, Nabil Abou Roudeina, a immédiatement déclaré l’envoyé spécial de Kofi Annan persona non grata. «Les déclarations de M. Roed-Larsen devant le Conseil de sécurité sont inacceptables et il n’est pas le bienvenu dans les territoires palestiniens», a-t-il déclaré. Selon lui le rapport du diplomate norvégien, qui a jusqu’à présent toujours été accueilli avec les honneurs par les Palestiniens, n’est «ni précis ni équilibré». «Ce qu’il dit n’a aucune valeur et lui-même n’a aucune valeur», a-t-il lancé visiblement très en colère. Au siège des Nations unies, l’observateur palestinien, Nasser al-Kidwa, a abondé dans ce sens en mettant ouvertement en doute les déclarations de l’envoyé spécial de Kofi Annan. «Nous ne sommes même pas sûrs qu’elles reflètent la position des Nations unies», a-t-il laissé tombé.

Mise au point de Kofi Annan 

Ecartant toute ambiguïté, le secrétaire général de l’organisation a immédiatement apporté un «soutien total» à son envoyé spécial. Dans un communiqué, Kofi Annan a insisté sur le fait que le diplomate norvégien –qui est l’un des principaux artisans des accords d’autonomie conclus en 1993 entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine– s’exprimait bien «en son nom». Appuyant le rapport de Terje Roed-Larsen, il a rappelé qu’il existait «un consensus» au sein du Quartette, qui avec les Nations unies regroupe les Etats-Unis, l’Union européenne et la Russie autour de la Feuille de route, ce plan de paix qui prévoit la création aujourd’hui plus que jamais hypothétique d’un Etat palestinien d’ici l’année prochaine. Ce consensus souligne que «l’Autorité palestinienne doit engager le processus de réformes en accordant notamment les pleins pouvoirs au Premier ministre et le gouvernement israélien doit démanteler les colonies sauvages et geler ses activités de colonisation», a insisté Kofi Annan.

Cette mise au point très ferme du secrétaire général des Nations unies a visiblement embarrassé les Palestiniens qui ont tenté de dédramatiser l’affaire. L'ambassadeur à l'Onu, Nasser al-Kidwa, a ainsi assuré qu’aucune décision d’interdire les territoires palestiniens à Terje Roed-Larsen n’avait été prise. «Nous ne chassons personne, aucune décision quelconque n'a été prise à ce sujet», a-t-il assuré. Selon lui, plusieurs communiqués ont certes été publiés pour montrer la colère des Palestiniens, mais aucun de ces textes ne reflètent aucune prise de décision sur le statut légal de l’envoyé spécial dans les territoires.

Mais la pilule reste néanmoins amère pour les Palestiniens qui s’estiment visiblement trahis par le diplomate norvégien. «Nous n'avons pas de problème avec l'Onu mais avec M. Roed-Larsen, qui a ignoré le fait que l'occupation et l'agression israéliennes nous ont empêchés de procéder à des réformes en matière de sécurité», a notamment lancé Hassan Abou Libdeh, le chef du bureau du Premier ministre Ahmed Qoreï. Et signe que la situation est loin de se diriger vers l’apaisement, quelque trois mille réfugiés palestiniens, rassemblés dans la ville de Tyr, au Liban sud, ont conspué jeudi le diplomate onusien. «Sharon-Larsen, une même monnaie contre les Palestiniens», pouvait-on notamment lire sur un portrait montrant côte-à -côte le Premier ministre israélien et le diplomate norvégien. Prenant l’affaire très à cœur, les manifestants ont même soumis un mémorandum à Kofi Annan exprimant leur «étonnement face au propos de M. Roed-Larsen contre Yasser Arafat, président démocratiquement élu, sous la supervision des Nations unies». «Nous dénonçons vivement les déclarations de M. Roed-Larsen qui dénaturent le rôle du président Arafat. Comment pouvez-vous demander à un dirigent encerclé d'exercer ses pouvoirs en organisant des élections alors que les chars et les avions de l'ennemi tirent comme bon leur semble ?» contre le peuple palestinien, affirment-ils notamment dans leur document.

Enlisé depuis des mois, le conflit du Proche-Orient n’avait sans doute pas besoin d’une crise ouverte entre les dirigeants palestiniens, déjà isolés sur la scène internationale, et le secrétariat général des Nations unies. A moins que les critiques de Terje Roed-Larsen ne parviennent à provoquer un sursaut salvateur au sein de l’Autorité palestinienne en la poussant à se réformer de l’intérieur. Mais rien n’est moins sûr. Cantonné depuis près de trois ans dans son quartier général de Ramallah, le vieux raïs, qui continue à s’accrocher à son rêve d’Etat palestinien, n’a visiblement pas l’intention de passer la main et de céder la moindre parcelle de son pouvoir désormais plus que restreint.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 15/07/2004 Dernière mise à jour le 15/07/2004 à 16:20 TU