France-Maghreb
Ligne de défense européenne
(Photo : AFP)
La France a déjà des accords de défense avec le Maroc et la Tunisie. Elle souhaite en souscrire avec l’Algérie, un demi-siècle après la guerre (1954-1962) – dite à l’époque «de libération» par les Algériens et qualifiée d’«événements» en France. Dans cette perspective, Michèle Alliot-Marie juge utile de «tourner la page» et de consolider un nouveau «partenariat» avec le président-ministre de la Défense, Abdelaziz Bouteflika. Déjà client de Washington et de Londres, selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) qui évoque des achats d’armes légères (fusils, munitions, grenades) en 1998, mais aussi de Paris, pour du matériel de police «non létal», Alger serait intéressé par «des accords d'armement dans l'idée de l'interopérabilité entre nos forces», explique Michèle Alliot-Marie. Avec l’Algérie, le ministère français de la Défense envisage en effet «le développement de nos relations au niveau de la formation, des échanges au sein des états-majors et des fonctionnements de nos services de renseignement». Il s’agirait pour les deux armées de lutter ensemble contre le terrorisme international et «de s'entraîner parfois ensemble de façon à pouvoir ensuite mieux travailler ensemble sur les théâtres d'opérations extérieurs».
Abdelaziz Bouteflika se félicite chaudement de «l'ajout du segment de coopération militaire dans les relations entre l'Algérie et la France». Il a demandé à ses autorités militaires de faire des propositions circonstanciées sur la forme que ce rapprochement pourrait prendre. Nul doute que les militaires faiseurs de prince soupèsent déjà l’intérêt qu’ils peuvent en escompter, en terme d’équipement par exemple, tout en maintenant l’ancienne puissance coloniale suffisamment à l’écart de leurs affaires de famille. En attendant, Abdelaziz Bouteflika a promis de répondre cet automne à l’invitation de Paris à la réunion «4 plus 3». Ce tour de table entre quatre pays du Sud européen (Espagne, France, Italie et Portugal) et leurs trois vis-à-vis maghrébins (Algérie, Maroc et Tunisie) devrait être l’occasion de définir des «actions concrètes que nous pourrions mener ensemble pour rapprocher les deux rives de la Méditerranée occidentale», indique Michèle Alliot-Marie, missi dominici du président Chirac.
Cause commune euro-maghrébine
Evoquant des «zones grises où la règle du droit disparaît au profit de la loi de la jungle», la ministre française situe l’apparition de «ces phénomènes en Somalie et en Afghanistan», ajoutant, à l’intention des pays du Maghreb, qu’ils se sont «propagés notamment en Afrique et menacent à vos frontières, en particulier dans la région sahélo-saharienne». Retenue comme telle à Alger, cette cause commune euro-maghrébine est également le principal mobile de la navette diplomatique lancée à Rabat (30-31 mai) par le chef de la diplomatie française, Michel Barnier, qui l’a poursuivie à Alger (12-13 juillet) et bouclée à Tunis, les 18 et 19 juillet. Dans ses entretiens avec son homologue tunisien, Habib Ben Yahia, et avec le chef de l’Etat, Zine Ben Ali, il a bien sûr été question de Proche-Orient, d’Irak. «Sur ces sujets nous savons l'engagement de la Tunisie et du président Ben Ali à la tête de la Ligue arabe pour contribuer avec les pays européens et d'autres partenaires, dans le cadre des Nations unies, à trouver des solutions politiques», s’est félicité Michel Barnier, relevant la communauté de vues entre les deux pays qui réclament de concert une plus grande implication de l’Onu en Irak.
Utilisée comme tête de pont par nombre de clandestins maghrébins ou subsahariens en route pour l’Europe via le sud de l’Italie, la Tunisie est également elle-même une terre d’immigration, en particulier en direction de la France. En matière de lutte contre l’immigration clandestine, mais aussi contre le terrorisme international, Michel Barnier était venu prêcher un pouvoir tunisien déjà converti aux mérites de la coopération, multilatérale avec l’Union européenne et bilatérale avec la France. Evoquant «les conditions de séjour et de travail de la colonie tunisienne et les questions liées à la circulation des personnes», la diplomatie française est restée très discrète sur la médiocrité des droits de l’homme sous le président Ben Ali. En dépit de ses velléités de présidence à vie, ce dernier est du reste traditionnellement salué sur l’autre rive comme un policier talentueux et un ardent pourfendeur d’islamistes.
Avec une centaine de millions d'euros par an, la France est le premier bailleur de fonds de la Tunisie et son premier partenaire commercial. Un millier d’entreprises françaises font des affaires en Tunisie où un million de vacanciers français se rendent également chaque année. Michel Barnier était venu porter la bonne nouvelle d’un crédit supplémentaire de 80 millions d’euros pour sceller un accord-cadre de partenariat économique et financier. Il a également transmis au président tunisien l’invitation de son homologue français qui «sera très heureux de l'accueillir à Toulon pour assister, le 15 août prochain, aux cérémonies commémoratives du débarquement de Provence» où viendra également Abdelaziz Bouteflika. «Nous sommes très heureux qu'à cette occasion un hommage puisse être rendu aux soldats tunisiens qui se sont sacrifiés pour la libération de mon pays et celle de l'Europe», ajoute Michel Barnier. Bien sûr les anciens combattants des autres pays du Maghreb seront également honorés, comme leurs compagnons d’armes d’Afrique subsaharienne.
Dimanche matin, la ministre française de la Défense a passé en revue les troupes algériennes qui lui ont rendu les honneurs militaires au ministère de la Défense arpenté en compagnie du ministre algérien de l'Intérieur, Nouredine Zerhouni. A cette occasion, elle a pu saluer le commandant des forces terrestres et chef d'état-major par intérim, le général Gaïd Salah. Avant de quitter le sol algérien, elle est allée s’incliner devant les 630 soldats français de l’armée coloniale, enterrés au carré militaire du cimetière Saint-Eugène d'Alger, sous la protection d’un Zouave de pierre, au pied de la basilique de Notre-Dame d'Afrique. Saint-Eugène abrite également les tombes de très nombreux colons français, chrétiens ou juifs. En 2003, Paris a rénové son carré militaire et lancé un plan d’action quinquennal pour une «remise en état de décence des sites et des tombes» ainsi que le regroupement «dans un ossuaire» ou «au cimetière du chef-lieu de wilaya» des restes des «Français d’Algérie», chrétiens ou juifs.
Rendant également hommage aux quelque 2 400 Algériens encore vivants qui ont servi sous le drapeau français pendant la deuxième Guerre mondiale, Michèle Alliot-Marie a indiqué samedi qu’une enveloppe de 64 millions d’euros serait consacrée à la revalorisation des pensions d’anciens combattants, «cristallisées» jusqu’ici à un niveau extrêmement bas. Un geste pour marquer le dégel et manifester la chaleur de la volonté française d’une coopération militaire privilégiée.
par Monique Mas
Article publié le 19/07/2004 Dernière mise à jour le 19/07/2004 à 15:18 TU