Proche-Orient
Arafat défié par la jeune garde
(Photo : AFP)
Nul n’a jamais douté que la disparition de Yasser Arafat provoquerait un jour des luttes de pouvoir au sein de la société palestinienne. Il y a une dizaine de jours encore, les services secrets israéliens dressaient un scénario catastrophe de ce qui ne manquerait pas de se produire après le décès du vieux raïs et mettaient en garde contre le chaos qui régnerait alors dans les Territoires palestiniens. Mais que cette guerre fratricide –dont les prémices se sont déroulés le week-end dernier dans la bande de Gaza– soit déclenchée du vivant du leader historique de la cause palestinienne inquiète bon nombre d’observateurs, à commencer par Terje Roed-Larsen, l’envoyé spécial de Kofi Annan au Proche-Orient, qui dénonçait encore la semaine dernière l’incapacité de Yasser Arafat à engager des réformes au sein des services de renseignement et les graves répercussions qui pourraient en découler. Cette situation en dit long en tout cas sur l’état de délitement dans lequel se trouvent les institutions palestiniennes après bientôt quatre années d’Intifada.
Et il semblerait que le projet d’Ariel Sharon de retrait de la bande de Gaza, prévu en principe d’ici la fin de l’année prochaine, ait servi de révélateur à ces luttes intestines qui ne datent pas d’aujourd’hui. L’annonce de son plan d’évacuation d’une dizaine de colonies a visiblement exacerbé les tensions entre la pléthore de services de sécurité palestiniens que Yasser Arafat a toujours pris soin de mettre en concurrence et les groupes d’activistes qui se sont multipliés ces dernières années au fur et à mesure que les structures de l’Autorité palestinienne subissaient les coups de boutoir de l’armée israélienne et que l’insécurité allait en grandissant dans les Territoires palestiniens.
Vieille garde et jeune génération s’affrontent
Mais en dehors de ces luttes de pouvoir inhérentes à toute fin de règne –Yasser Arafat a aujourd’hui 75 ans et sa santé déclinante n’est un secret pour personne– une réalité mine aujourd’hui la société palestinienne. Economiquement sérieusement fragilisée par quatre années d’Intifada –deux tiers de la population de la bande de Gaza vivent en dessous du seuil de pauvreté– elle n’hésite plus à se rebeller contre la corruption et les abus de pouvoir symbolisés par les proches du vieux leader. Et si Yasser Arafat demeure le chef incontesté de la cause nationale, les Palestiniens, à commencer par les membres de son mouvement, ne se privent désormais plus de critiquer ouvertement sa manière de gérer les affaires. «Le respect pour Yasser Arafat en tant que symbole de la lutte palestinienne existe toujours et est toujours sacré. Ce qui ne l’est plus c’est sa façon d’administrer l’Autorité palestinienne», a récemment affirmé en hébreu sur une radio israélienne un haut responsable du Fatah, signe que la contestation est bien réelle.
Cette contestation qui a pris des allures de fronde le week-end dernier –pour la première fois des Palestiniens ont pris les armes pour dénoncer la situation qui prévaut dans les Territoires mais aussi les décisions de Yasser Arafat– trouve ses racines dans le fossé qui sépare désormais la vieille garde qui entoure le vieux raïs, «les hommes de Tunis» rentrés à Gaza après la signature des accords d’Oslo, et la jeune génération des Palestiniens de l’intérieur qui, elle, s’est frottée aux réalités de l’occupation israélienne. Cette génération, qui a connu les prisons de l’Etat hébreu, n’accepte plus aujourd’hui d’être écartée du pouvoir au profit d’une classe politique vieillissante arc-boutée sur ses privilèges. Une première crise, annonciatrice des tensions actuelles, avait déjà éclaté en mars dernier lorsque quelque 350 cadres du Fatah avaient démissionné en bloc pour protester contre la corruption, le manque d’ouverture au sein du mouvement qui venait de fêter ses 39 ans ou encore de stratégie dans la résistance à l’occupation. Yasser Arafat s’était alors engagé à organiser des élections transparentes pour renouveler le comité central du parti, inchangé depuis quinze ans, et surtout à mettre en œuvre une unification des différents services de sécurité. Un vœu pieu jusqu’à ces derniers jours où seul le souci de désamorcer une crise sans précédent a poussé le vieux raïs à réduire à trois la douzaine de services secrets palestiniens.
Une stratégie d'affaiblissement qui vise Arafat
Cette réforme, arrachée au président palestinien et jugée à bien des égards comme une mesure de façade –les trois nouveaux services ont été attribués à ses proches– est toutefois loin de garantir un retour à l’ordre ancien tant les rancœurs de cette jeune génération semblent aujourd’hui tenaces et sa détermination à obtenir un changement inébranlable. Le vieux routier de la politique qu’est Yasser Arafat saura-t-il redresser la barre ? Si toute sa vie il a affronté des crises qui paraissaient souvent inextricables, c’est la première fois qu’il est contesté aussi ouvertement par les siens. Et seule sa capacité à céder une parcelle de ce pouvoir auquel il s’accroche depuis des décennies pourrait lui garantir aujourd’hui de sortir de l’isolement politique dans lequel il s’est enfermé.
Car les événements qui ont secoué la bande de Gaza la semaine dernière sont loin d’être un acte spontané et semble au contraire relever d’une stratégie visant à affaiblir le vieux raïs dans la perspective du retrait israélien de ce territoire. La plupart des observateurs de la scène politique palestinienne voient en effet dans ces incidents la main de Mohamed Dahlan. Cet ancien secrétaire d’Etat à la Sécurité intérieure dans le gouvernement de Mahmoud Abbas, aujourd’hui sans rôle officiel, est le chef de file de la jeune génération qui réclame des réformes. Longtemps patron de la sécurité préventive de Gaza, il a conservé une forte influence dans le territoire. Et si depuis le début de la crise, Mohamed Dahlan observe un silence prudent, jamais les tensions entre la vieille garde et la jeune génération n’ont été aussi perceptibles.par Mounia Daoudi
Article publié le 20/07/2004 Dernière mise à jour le 21/07/2004 à 08:50 TU