Attentats du 11 septembre
L’Amérique était aveugle à la menace terroriste
(Photo : AFP)
De notre correspondant à New York
L’ex-président Clinton et l’actuel président Bush peuvent respirer plus librement. Aucun des deux n’est spécifiquement montré du doigt dans le rapport final de la commission parlementaire chargée d’enquêter sur les attentats du 11 septembre. Le pavé de 567 pages conclut deux ans d’une enquête ultra médiatisée, menée par dix membres du Congrès, des Républicains et des Démocrates. Au lieu de condamner des individus, le document relève les failles d’un système qui a permis à une poignée de terroristes déterminés d’infliger au Etats-Unis, sur leur sol, l’attentat le plus meurtrier de leur histoire.
« L’échec le plus important fut celui de l’imagination. Nous pensons que les dirigeants n’ont pas compris la gravité du danger » assure le rapport. « Les attaques du 9/11 furent un choc, mais elles n’auraient pas dû être une surprise » précise le document. Si le gouvernement américain avait été plus vigilant, il aurait peut-être pu mettre des bâtons dans les roues des concepteurs des attentats du 11 septembre, estiment les rapporteurs, qui ont relevé au moins neuf points faibles dans la préparation du complot terroristes.
La menace Al-Qaïda n’a pas été prise au sérieuxMais les auteurs du rapport se gardent bien d’affirmer que les attentats auraient pu être évités. « Comme les auteurs des attentats étaient flexibles et imaginatifs, nous ne pouvons pas identifier une mesure ou une série de mesures qui les auraient empêchés d'agir » admet le rapport. Ce qui en revanche ne fait aucun doute dans l’esprit des parlementaires, c’est que « aucune des mesures adoptées par le gouvernement américain en 1998 et 2001 n’a entravé ou même retardé » le complot terroriste de Al-Qaïda.
Le document met surtout en cause un appareil sécuritaire américain bureaucratique, hérité de la guerre froide et incapable de faire face aux menaces nouvelles. Les administrations Clinton et Bush sont jugées également coupables de n’avoir pas pris la menace d’Al-Qaïda suffisamment au sérieux. « De fait, c’est tout juste si le sujet a été mentionné pendant la campagne présidentielle de 2000 » note le rapport. « Les Etats-Unis ont essayé de régler le problème Al-Qaïda avec les capacités dont ils disposaient dans les dernières années de la guerre froide. Ces capacités étaient insuffisantes, et peu a été fait pour les accroître ou les réformer » poursuit-il.
A l’époque, alors même que Al-Qaïda était son principal ennemi, le Département de la défense ne s’engage pas totalement dans la lutte. La CIA et le FBI ne partagent pas leurs informations, et ne savent pas correctement analyser les éléments à leur disposition. Dans un effort d’autocritique, la commission parlementaire reconnaît que le Congrès lui-même n’était guère intéressé par le sujet, pas plus que les médias ou l’opinion américaine.
Nommer un vrai patron des services de renseignementReconnaissant que les Etats-Unis restent vulnérables à la menace terroriste, le rapport fait un certain nombre de recommandations. Il faut selon les enquêteurs mieux protéger l’infrastructure et les systèmes de transport, resserrer les contrôles aux frontières, encadrer davantage la délivrance de papiers d’identité, et entraîner des agents de renseignement, des analystes et des linguistes. Le document propose par ailleurs la création d’un centre national d’anti-terrorisme, chargé à la, fois de rassembler le renseignement disponible contre les terroristes islamistes et de préparer les contre-attaques.
Une des idées les plus novatrices est la nomination d’un nouveau directeur chargé de chapeauter toutes les opérations de renseignement. Il rendrait compte directement au Président et aurait un droit de regard sur le budget et les nominations des dirigeants de la CIA, du FBI, du Département de la sécurité intérieure et du Département de la défense – une idée que l’administration Bush accueille sans grand enthousiasme. En recevant le rapport, le Président américain a toutefois fait bonne figure, qualifiant le travail de la commission d’enquête de « formidable ». « Nous avons l'obligation de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour sauvegarder le peuple américain » a-t-il assuré.
Pas de lien entre Al-Qaïda et l’Irak de Saddam HusseinLe rapport revient aussi sur la question très controversée des liens entre l’Irak et Al-Qaïda, utilisés par l’administration Bush comme une des justifications de la guerre en Irak. Tout en reconnaissant l’existence de « contacts amicaux » et d’une haine commune de l’Amérique, le rapport assure que ces contacts n’ont « jamais débouché sur une coopération ». Oussama Ben Laden a toutefois tenté d’établir des contacts avec l’Irak au début des années 90, est-il précisé. Une délégation irakienne se serait même rendue en Afghanistan en juillet 1998 pour rencontrer Ben Laden, et peut-être lui offrir un asile qu’il aurait refusé. Les enquêteurs tentent aussi de mettre fin à deux « mythes », persistants depuis les attentats du 11 septembre.
Le gouvernement saoudien n’a pas financé les pirates de l’air, et les ressortissants de la famille Ben Laden qui se trouvaient aux Etats-Unis le 11 septembre 2001 n’ont pas été autorisés à quitter le pays jusqu’à ce que le trafic aérien soit rétabli, établissent les rapporteurs.
Les auteurs du rapport entendent maintenant sillonner le pays afin de promouvoir leurs recommandations et de mobiliser l’opinion publique, pour éviter que leur rapport ne rejoigne les étagères poussiéreuses de la bibliothèque du Congrès. Thomas Kean, le président de la commission d’enquête, a prévenu qu’une attaque « de plus grande ampleur encore » est « possible – et même probable ».
par Philippe Bolopion
Article publié le 23/07/2004 Dernière mise à jour le 23/07/2004 à 06:58 TU
Voir également :
Le texte intégral du rapport (en anglais) http://www.9-11commission.gov/