Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Afghanistan

Médecins sans frontières jette l’éponge

L’organisation humanitaire justifie son départ par l’insécurité grandissante qui règne sur le terrain. 

		<A href="http://www.msf.org/" target=_BLANK>Site : MSF</A>
L’organisation humanitaire justifie son départ par l’insécurité grandissante qui règne sur le terrain.
Site : MSF
Médecins sans frontières (MSF) a décidé de retirer ses équipes d’Afghanistan après plus de vingt-quatre ans de présence dans ce pays ravagé par des décennies de guerre. L’organisation humanitaire, prix Nobel de la paix 1999, justifie son départ par l’insécurité grandissante qui règne sur le terrain et par les menaces dont sont la cible ses employés aussi bien expatriés qu’afghans. La décision de MSF constitue un coup dur pour le gouvernement de Kaboul dans la mesure où elle pointe son incapacité à pacifier le pays près de deux ans et demi après la chute du régime des Taliban.

La décision de quitter un pays où des équipes de médecins et d’infirmières se sont relayées pendant près d’un quart de siècle n’a pas été un choix facile pour l’organisation humanitaire. Mais il faut croire que l’insécurité qui prévaut aujourd’hui en Afghanistan a atteint un stade tel que Médecins sans frontières, pourtant habituée à opérer dans des zones de conflits, souvent très dangereuses, a estimé que ses équipes n’étaient plus en mesure d’accomplir leur mission humanitaire. MSF, qui a dénoncé dans un communiqué «les assassinats, les menaces et l’insécurité» qui se multiplient à travers le pays, explique que sa décision a été prise après «l’attaque sans précédent» dont ont été victimes cinq de ses employés il y a huit semaines.  

Le 2 juin dernier en effet, cinq membres de la section néerlandaise de l’organisation –trois expatriés de nationalité belge, hollandaise et norvégienne ainsi que deux employés afghans– ont été assassinés par des hommes en armes non-identifiés. Ils étaient tombés dans une embuscade sur une route de la province de Baghdis dans le nord-ouest du pays, un secteur plutôt sécurisé en comparaison du sud et l’est de l’Afghanistan où les attaques des Taliban du mollah Omar sont très fréquentes et n’ont jamais cessé. Depuis, l’organisation humanitaire, qui était présente dans treize provinces de l’Afghanistan avec quelque 70 volontaires internationaux et près de 1 400 employés afghans, avait décidé de suspendre ses activités et de réduire au maximum ses équipes.

L’attaque contre Médecins sans frontières, revendiquée à deux reprises par un porte-parole des Taliban, avait bouleversé la communauté des organisations humanitaires travaillant en Afghanistan. Les autorités s’étaient aussitôt engagées à faire la lumière sur ce drame mais sans grand succès dans la mesure où la plus grande partie du territoire afghan échappe au contrôle du gouvernement de Hamid Karzaï qui, en deux ans de pouvoir, n’a réussi à asseoir  son autorité que dans la seule région de Kaboul. MSF a d’ailleurs profondément regretté, dans son communiqué, «l’échec du gouvernement à mener une enquête crédible sur cette attaque».

Mélange de genres

Mais en choisissant de retirer ses équipes d’Afghanistan, l’organisation humanitaire n’entend pas uniquement dénoncer l’insécurité qui règne dans ce pays. Les menaces proférées contre son personnel par des responsables taliban –un porte parole de la milice fondamentaliste, Abdul Latif Hakimi, avait accusé, après l’attaque du 2 juin, MSF «de travailler et d’espionner» pour le compte des Américains et avait ouvertement désigné son personnel comme «une cible»– ne sont certes pas étrangères à sa décision de quitter le pays. Mais Médecins sans frontière entend également protester contre ce qu’elle qualifie de «cooptation de l’assistance humanitaire par les forces de la coalition pour des motifs politiques et militaires».

L’organisation avait déjà, à de nombreuses reprises, mis en garde contre ce qu’elle dénonce comme étant un mélange des genres. Son directeur général, Pierre Salignon, affirmait ainsi, dans une récente interview, que «la confusion entre militaire et humanitaires étaient totale en Afghanistan». Selon lui, les organisations non gouvernementales sont désormais «perçues comme servant les ambitions du régime d’occupation piloté par les Américains et leurs alliés». Plus grave à ses yeux, elles sont accusées de «faire de l’espionnage, d’être corrompues et de ne pas faire leur travail».

Interrogé sur les causes de cette amalgame entre humanitaires et militaires, Pierre Salignon a dénoncé les méthodes employées par les forces de la coalition en Afghanistan comme par exemple le recours au chantage à l’aide. Selon lui, l’armée américaine a distribué des tracts dans le sud du pays demandant à la population de communiquer des informations relatives aux Taliban, à al-Qaïda et au chef de guerre Gulbuddin Hekmatyar afin de pouvoir «continuer à recevoir de l’aide humanitaire». «Ce chantage établit une distinction inique entre supposées bonnes victimes –celles qui collaborent– et mauvaises victimes. Certains Afghans n’obtiennent plus aucune aide parce qu’il seraient du mauvais côté», s’est-il indigné.

Le départ de Médecins sans frontières, l’une des plus anciennes et plus importantes ONG travaillant en Afghanistan, est donc à ce titre un désaveu cinglant pour la politique menée par les forces de la coalition –essentiellement américaines– sur le terrain. Il pourrait avoir de sérieuses conséquences sur le maintien des humanitaires dans ce pays.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 28/07/2004 Dernière mise à jour le 28/07/2004 à 14:16 TU

Audio

Pierre Salignon

Directeur général de MSF, médecins sans frontières et ancien responsable de programme en Afghanistan

«On est amené à prendre une décision qui est douloureuse mais qui est simple. On n'est pas des mercenaires de l'humanitaire.»

[28/07/2004]

Articles