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Côte d'Ivoire

Des charniers à Korhogo

Ibrahim Coulibaly (G) et Guillaume Soro (D) en guerre pour le leadership des Forces nouvelles. 

		(Photo : AFP)
Ibrahim Coulibaly (G) et Guillaume Soro (D) en guerre pour le leadership des Forces nouvelles.
(Photo : AFP)
L’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) a découvert trois charniers au nord de la Côte d’Ivoire, dans la région de Korhogo où se sont rendus par deux fois ses enquêteurs chargés des droits de l’homme et de la police, du 1er au 12 juillet et du 22 au 26 juillet derniers. Avant même la publication de leur rapport, annoncée comme imminente, les spécialistes onusiens ont annoncé le 2 août qu’ils avaient pu établir la mise à mort, par balles, décapitation ou asphyxie, de quelque 99 personnes au moins. Les corps ensevelis dans trois sites seraient identifiés comme ceux de victimes des affrontements qui ont opposés dans la métropole nordiste des factions rivales de l’ancienne rébellion du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), les 20 et 21 juin dernier. La victoire était alors revenue à Guillaume Soro, l’actuel chef politique des Forces nouvelles.

Le huis-clos de la moitié «rebelle» du pays s’était déjà entrebâillé en septembre 2003 sur une bataille rangée à Bouaké pour le contrôle d’une succursale de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO). A la demande de Guillaume Soro, un détachement français de l’opération Licorne avait alors déployé plusieurs blindés pour sécuriser le périmètre de la banque dont les coffres venaient d’être vidés. A peu près à la même période une querelle en légitimité était apparue au grand jour au sein du MPCI. Elle oppose aujourd’hui encore le très politique Guillaume Soro et l’un des acteurs militaires de la tentative de putsch du 19 septembre 2002, le sergent-chef Ibrahim Coulibaly, dit «IB». Ce dernier est «neutralisé» en France où il avait été mis en examen, le 27 août 2003, pour «recrutement de mercenaires», après une «exfiltration» du Burkina, en forme de traquenard. Il n’en continue pas moins de réclamer le leadership monopolisé par Soro. Et cela, depuis la naissance en janvier 2003 des Forces nouvelles, à Marcoussis (dans la région parisienne) où il avait satellisé les deux autres petits groupes armés, le Mouvement pour la justice et la paix (MJP) et le Mouvement patriotique du grand Ouest (MPIGO), apparus en novembre 2002 dans l’Ouest ivoirien.

Asphyxiés dans des conteneurs

En juin dernier, le vacarme des affrontements entre partisans de Soro et d’IB n’était pas passé inaperçu. Mais les observateurs donnaient un bilan réservé de 22 morts pendant la bataille. Aujourd’hui, l’Onuci en évoque une centaine et se déclare «préoccupée par la situation des personnes encore détenues à la suite de ces événements». D’autant que selon Amnesty international, qui presse l’Onuci de publier son rapport, «les personnes détenues par la faction proche de Guillaume Soro auraient été placées dans des conteneurs et des dizaines d'entre elles seraient mortes par suffocation». A ce sujet, les responsables de l’Onuci ont pris soin de souligner diplomatiquement que «pendant toute la durée de ses travaux, la mission d'enquête a tenu informées les Forces nouvelles dans leurs branches civile et militaire ainsi que les autorités religieuses et traditionnelles. La mission d'enquête reconnaît qu'elle a constamment obtenu la collaboration des autorités des Forces nouvelles».

Pour justifier son expédition militaire à Korhogo, fief d’IB, en juin dernier, Guillaume Soro avait invoqué une tentative d’assassinat contre sa personne et des attaques lancées par ses adversaires contre son QG de Bouaké. Ces représailles avaient été pour lui l’occasion de revendiquer la mort de Bamba Kassoum, dit Kass, le dernier chef de file pro-IB après l’assassinat d’Adama Coulibaly, alias Adams, à Korhogo en février dernier. La découverte de «cadavres les bras liés dans le dos» relance la balle dans le camp d’IB. De Paris, son porte-parole, Vincent Rigoulet, s’est empressé d’inscrire ce massacre dans une «épuration» dont il accuse la mouvance Soro d’être totalement responsable «puisqu'elle affirme disposer d'une armée structurée qui obéit à une hiérarchie». «L'existence de ces charniers prouve qu'il faut déployer le plus rapidement la totalité du contingent onusien, dans le nord et le sud, et peut-être renforcer le mandat des Casques bleus pour qu'ils aient le pouvoir d'intervenir et d’assurer la protection des personnes, civiles ou militaires», conclut-il, perfide.

En février 2003, Amnesty International avait rendu public le massacre, en octobre 2002, de dizaines de gendarmes et de certains de leurs enfants, «détenus sans armes dans une prison militaire à Bouaké et abattus de sang froid par des éléments armés du MPCI». A l’époque, l’organisation des droits de l’homme avait retenu la thèse de représailles au «massacre impuni d’une cinquantaine de civils à Youpougon, en octobre 2000, abattus par des gendarmes de la caserne d'Abobo, à Abidjan». Pour sa part, Guillaume Soro avait assuré tout ignorer de la tuerie de Bouaké. Cette fois, au lendemain du communiqué d’Accra qui programme le désarmement pour le 15 octobre prochain, la révélation des charniers de Korhogo sonne comme une mise en garde internationale, c’est-à-dire comme un instrument de pression. Guillaume Soro ne tient plus le rôle de l’offensé. Il va devoir rendre des comptes.



par Monique  Mas

Article publié le 03/08/2004 Dernière mise à jour le 03/08/2004 à 15:22 TU

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