Côte d''Ivoire
Amnistie consensuelle
Il aura manqué seulement deux voix aux 229 élus ivoiriens pour faire l’unanimité totale sur la loi d’amnistie adoptée par l’Assemblée nationale ce mercredi 6 août. Mais si le projet présenté par le gouvernement le 4 juillet dernier a fait débat - principalement du côté des victimes -, sur le principe chacune des forces politiques paraît trouver son compte. Le champ d’application de la loi balaie large. Il amnistie tout civil ou militaire impliqué de près ou de loin dans des «infractions contre la sûreté de l’Etat», commises entre le 17 septembre 2000 et le 19 septembre 2002. En revanche, la loi ne s’applique ni «aux infractions économiques», ni aux «violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire». Inscrite par le gouvernement de réconciliation nationale «dans le cadre du pardon général», cette loi va surtout permettre le démarrage du cantonnement, du désarmement et de la démobilisation ou de l’intégration dans une future armée nationale des forces des anciens belligérants.
Ce n’est qu’au cas par cas qu’il sera possible d’apprécier quelles infractions les politiques estimeront commises «en relation avec la crise armée du 19 septembre 2002», et donc couvertes par l’amnistie. Le texte situe les éventuels coupables «sur le territoire national ou en exil», mais il faudra attendre une identification circonstanciée des anciens-combattants pour en savoir davantage sur leur nationalité. Pour le moment, le Premier ministre Diarra ne sait rien par exemple des effectifs des ex-rébellions. Un petit nombre de protagonistes de la guerre sera en revanche effectivement concerné par l’amnistie des «infractions militaires que sont l’insoumission, l’abandon et la désertion». L’adjudant Tuo Fozié ou le colonel Michel Gueu par exemple. Mais aussi d’autres acteurs de troubles militaro-politiques plus anciens, tels les généraux Palenfo et Coulibaly.
C’est sur recommandation pressante du président Gbagbo, en mai dernier, que la loi du 6 août amnistie les événements des 17 et 18 septembre 2000. Ces derniers avaient vu l’attaque de la résidence du général-président Robert Gueï et le limogeage des numéros deux et trois de sa junte, les généraux Palenfo et Coulibaly, libérés depuis lors. L’amnistie «entraîne de plein droit la réintégration dans les fonctions ou emplois publics, grades, offices publics ou ministériels, la reconstitution de carrière, la restitution des décorations et la réintégration dans les ordres nationaux ». Pour sa part, Robert Gueï s’était déjà auto-amnistié avec la Constitution du 1er août 2000 dont l’article 132 blanchit son coup d’Etat du 24 décembre 1999 contre l’ancien président Bédié.
«Souvenez-vous du charnier de Yopougon»
La fin de la guerre a été officiellement proclamée le 4 juillet dernier. Le 29 juillet, des représentants des Forces armées ivoiriennes (Fanci) et des anciens rebelles ont échangé des listes de prisonniers. Ils seraient au total quelque 200 et devraient être prochainement libérés. Depuis le 14 août, les barrages installés dans le centre et l’ouest du pays par les anciens rebelles ont été levés. Mais surtout, depuis fin mai, une «zone de confiance» - de 50 kilomètres de large sur 200 de long – a été établie entre les ex belligérants. Le 4 août, Paris a obtenu le renouvellement pour six mois de l’opération Licorne dont les 4 000 hommes veillent tout particulièrement dans cette zone démilitarisée, aux côtés de la Mission de la Cedeao en Côte d’Ivoire (Miceci) et de la Mission des Nations unies en côte d’Ivoire (Minuci). Ces casques blancs sont chargés de «créer un climat de confiance» entre anciens combattants appelés à la démobilisation.
Le cantonnement est prévu pour la mi-août et la fin du désarmement programmée pour septembre, en l’absence d’un budget suffisant. Quant à l’aide financière extérieure, elle reste largement conditionnée par le lancement de cette très délicate opération, dont dépend pourtant la paix exigée par les bailleurs de fonds. Le Premier ministre Seydou Diarra ne s’attend pas à l’arrivée rapide d’une aide internationale massive pour financer les prochaines étapes civiles et militaires du processus de paix. Il espère que les négociations, attendues au dernier trimestre, avec les bailleurs de fonds de Bretton Woods permettront une relance économique du pays. Toutes les projections pronostiquent une chute vertigineuse du taux de croissance en 2003. De quelque 3 % avant les événements de septembre 2002, il pourrait s’effondrer à une valeur négative de un à deux points.
Nul doute que, de la base au sommet, la «réconciliation nationale» passe largement par la résolution de la crise économique qui a mis ces derniers mois des centaines de milliers d’Ivoiriens supplémentaires au chômage. L’amnistie ne suffira pas à les rassurer et la réinsertion qu’elle promet à certains anciens belligérants ne s’accompagnera pas forcément d’une garantie d’emploi. D’autre part, en présentant la loi d’amnistie, la ministre de la Justice, Henriette Diabaté a promis de mobiliser 24 milliards de CFA pour indemniser les victimes de la guerre. Leurs défenseurs du Collectif des avocats rappellent que l’amnistie «éteint l’action publique mais pas l’action civile». «Marcoussis ne peut pas réécrire le code pénal», déclare Maître Hamza Attéa, présidente du collectif des avocats des victimes de la guerre. Plus politiquement, elle estime que «si des personnes ont souffert moralement et physiquement, c’est parce que d’autres refusent l’esprit démocratique». Me Hamza voit un risque de «consacrer l’impunité».
«A Bouaké, quand on tuait les gendarmes, on leur disait : souvenez-vous du charnier de Yopougon», dit Me Hamza, s’étonnant de la position d’Henriette Diabaté, numéro deux du Rassemblement des démocrates républicains (RDR), qui «curieusement veut aujourd’hui amnistier ces faits alors qu’elle a la possibilité de poursuivre les auteurs du charnier. Je dis non, il faut qu’on sache qui a créé ce charnier à Yopougon». Reste que les crimes contre l’humanité échappent aux lois nationales, amnistie comprise.
C’est sur recommandation pressante du président Gbagbo, en mai dernier, que la loi du 6 août amnistie les événements des 17 et 18 septembre 2000. Ces derniers avaient vu l’attaque de la résidence du général-président Robert Gueï et le limogeage des numéros deux et trois de sa junte, les généraux Palenfo et Coulibaly, libérés depuis lors. L’amnistie «entraîne de plein droit la réintégration dans les fonctions ou emplois publics, grades, offices publics ou ministériels, la reconstitution de carrière, la restitution des décorations et la réintégration dans les ordres nationaux ». Pour sa part, Robert Gueï s’était déjà auto-amnistié avec la Constitution du 1er août 2000 dont l’article 132 blanchit son coup d’Etat du 24 décembre 1999 contre l’ancien président Bédié.
«Souvenez-vous du charnier de Yopougon»
La fin de la guerre a été officiellement proclamée le 4 juillet dernier. Le 29 juillet, des représentants des Forces armées ivoiriennes (Fanci) et des anciens rebelles ont échangé des listes de prisonniers. Ils seraient au total quelque 200 et devraient être prochainement libérés. Depuis le 14 août, les barrages installés dans le centre et l’ouest du pays par les anciens rebelles ont été levés. Mais surtout, depuis fin mai, une «zone de confiance» - de 50 kilomètres de large sur 200 de long – a été établie entre les ex belligérants. Le 4 août, Paris a obtenu le renouvellement pour six mois de l’opération Licorne dont les 4 000 hommes veillent tout particulièrement dans cette zone démilitarisée, aux côtés de la Mission de la Cedeao en Côte d’Ivoire (Miceci) et de la Mission des Nations unies en côte d’Ivoire (Minuci). Ces casques blancs sont chargés de «créer un climat de confiance» entre anciens combattants appelés à la démobilisation.
Le cantonnement est prévu pour la mi-août et la fin du désarmement programmée pour septembre, en l’absence d’un budget suffisant. Quant à l’aide financière extérieure, elle reste largement conditionnée par le lancement de cette très délicate opération, dont dépend pourtant la paix exigée par les bailleurs de fonds. Le Premier ministre Seydou Diarra ne s’attend pas à l’arrivée rapide d’une aide internationale massive pour financer les prochaines étapes civiles et militaires du processus de paix. Il espère que les négociations, attendues au dernier trimestre, avec les bailleurs de fonds de Bretton Woods permettront une relance économique du pays. Toutes les projections pronostiquent une chute vertigineuse du taux de croissance en 2003. De quelque 3 % avant les événements de septembre 2002, il pourrait s’effondrer à une valeur négative de un à deux points.
Nul doute que, de la base au sommet, la «réconciliation nationale» passe largement par la résolution de la crise économique qui a mis ces derniers mois des centaines de milliers d’Ivoiriens supplémentaires au chômage. L’amnistie ne suffira pas à les rassurer et la réinsertion qu’elle promet à certains anciens belligérants ne s’accompagnera pas forcément d’une garantie d’emploi. D’autre part, en présentant la loi d’amnistie, la ministre de la Justice, Henriette Diabaté a promis de mobiliser 24 milliards de CFA pour indemniser les victimes de la guerre. Leurs défenseurs du Collectif des avocats rappellent que l’amnistie «éteint l’action publique mais pas l’action civile». «Marcoussis ne peut pas réécrire le code pénal», déclare Maître Hamza Attéa, présidente du collectif des avocats des victimes de la guerre. Plus politiquement, elle estime que «si des personnes ont souffert moralement et physiquement, c’est parce que d’autres refusent l’esprit démocratique». Me Hamza voit un risque de «consacrer l’impunité».
«A Bouaké, quand on tuait les gendarmes, on leur disait : souvenez-vous du charnier de Yopougon», dit Me Hamza, s’étonnant de la position d’Henriette Diabaté, numéro deux du Rassemblement des démocrates républicains (RDR), qui «curieusement veut aujourd’hui amnistier ces faits alors qu’elle a la possibilité de poursuivre les auteurs du charnier. Je dis non, il faut qu’on sache qui a créé ce charnier à Yopougon». Reste que les crimes contre l’humanité échappent aux lois nationales, amnistie comprise.
par Monique Mas
Article publié le 07/08/2003