Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Côte d''Ivoire

Après Marcoussis, Bouaké

La plupart des partis signataires des accords de Marcoussis du 24 janvier dernier se sont rencontrés mercredi à Bouaké et ont décidé d’un «principe d’action commune» pour les faire appliquer. Tandis que des anciens rebelles et des représentants de l’armée régulière (FANCI) ont décidé de créer un «comité mixte d’état-major» pour contrôler l’application du cessez-le-feu». Le tout en l’absence de nombreux ténors civils et militaires.
«La balade des gens heureux». C’est ainsi que le quotidien ivoirien Le Temps a qualifié ce jeudi la rencontre organisée la veille, à Bouaké, par Guillaume Soro, ministre de la communication, mais aussi président du MPCI et principal dirigeant des «Forces nouvelles», autrefois rebelles. Une rencontre qui est une première pour la deuxième ville du pays, occupée par la rébellion depuis le 19 septembre et qui avait été soigneusement préparée : deux avions avaient été mis à la disposition des délégués des différentes parties signataires des accords de Marcoussis, des militaires des FANCI (armée régulière) ainsi que de la presse nationale et internationale.

Finalement, aucun des ténors de la scène politique ivoirienne qui avaient participé aux rencontres de Marcoussis et de l’avenue Kléber (à Paris) n’a fait le déplacement de Bouaké. Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara, tout comme le premier ministre issu de Marcoussis Seydou Diarra ou le chef d’état-major des FANCI Mathias Doué, ont préféré décliner l’invitation de Soro. Si toutefois celle-ci leur a été adressée. Plus important, le FPI (le parti du président Gbagbo) et le petit parti de Théodore Mel (UDCY) n’étaient même pas représentés à cette réunion censée «évaluer l’application» des fameux accords de Marcoussis. Pourquoi ? Le président du FPI a déclaré jeudi sur nos antennes qu’il n’avait reçu l’invitation que mardi, et par fax…

Guillaume Soro s’est néanmoins adressé à des délégués connus et reconnus des partis présents dans les salons du Ran Hôtel de Bouaké: Alphonse Djédjé Mady pour le PDCI, Gon Coulibaly pour le RDR, Akoto Yao pour l’UDPCI ou Francis Wodié pour le PIT. Et l’ancien leader rebelle de s’adresser d’emblée «aux partis par qui cette guerre a éclaté de se retrouver pour une fois dans la sérénité». Comme si le putsch du 19 septembre n’avait pas été déclenché par des mutins et des sous-officiers qui ont ensuite donné naissance au MPCI que dirige toujours Guillaume Soro.

Cette réunion prévue pour durer deux jours s’est finalement achevée dans la soirée de mercredi, mais les participants ont néanmoins décidé d’un «principe d’action commune pour faire appliquer» les accords de Marcoussis, dénoncé «la persistance des activités des milices» et réclamé l’adoption «de toute loi entrant dans la mise en œuvre effective» des accords signés en banlieue parisienne.

Seydou Diarra à Bruxelles pour contrer ADO

On s’interrogeait beaucoup, à Abidjan, ces derniers jours, sur les buts réels recherchés par cette rencontre. Finalement le roi du peuple baoulé, Nanan N’Guessan Kouakou, que l’on n’avait guère vu sur le devant de la scène médiatique ces derniers temps, a quelque peu mis les pieds dans le plat, après avoir demandé aux dieux d’inspirer les participants: il a ouvertement souhaité que le président Gbagbo se plie à la volonté de «neuf partis sur dix» de nommer le plus vite possible le général Gaston Ouassenan Koné au poste toujours vacant de ministre de la Défense. Ce qui semble satisfaire le PDCI, le RDR et le MPCI mais pas le président Gbagbo.

Quant au Premier ministre issu de Marcoussis, Seydou Diarra, il était au même moment à Bruxelles pour une visite quelque peu inattendue voire précipitée. Car il avait été précédé dans la capitale belge - également siège de la Commission de l’Union européenne - par le président du RDR Alassane Dramane Ouattara, qui depuis quelques jours faisait un véritable forcing diplomatique auprès de la Commission européenne, dans le but déclaré de dissuader les instances européennes de reprendre leur aide à la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui. Ce qui a quelque peu surpris, sinon choqué, certains hauts fonctionnaires européens.

A Bruxelles, Seydou Diarra a d’abord rencontré le ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, qui lui a promis que la Belgique allait accorder de nouveau son aide à la Côte d’Ivoire, afin que celle-ci redevienne «le poumon de l’Afrique». Il a rencontré ensuite, jeudi soir, le président Romano Prodi pour ce qui semble être le plat de résistance : le programme dit DDR, concernant la démobilisation, de désarmement et la réinsertion des rebelles ivoiriens. Un «dossier très lourd mais que nous devons mener avec beaucoup de doigté», a-t-il précisé, avant d’ajouter qu’il demeurait néanmoins optimiste : pour lui l’application des accords de Marcoussis «permettrait d’aboutir en 2005, à des élections justes, transparentes et ouvertes». Finalement Seydou Diarra peut être satisfait: Romano Prodi devrait se rendre en Côte d'Ivoire avant la fin de l'année, et l'exécutif européen a indiqué avoir adopté un "Programme immédiat de réhabilitation après crise" de 30 millions d'euros.

De son côté, le président Gbagbo a rencontré mercredi à Yamoussoukro les 169 préfets et sous-préfets qui ont fui leur circonscription au lendemain du putsch du 19 septembre 2002. Au menu, la sécurité de ces représentants de l’Etat qui n’ont toujours pas regagné leurs postes. Le ministre de l’administration territoriale, Issa Diakité, lui-même issu de la rébellion, a reconnu que la sécurité des préfets est «étroitement tributaire de la réussite du programme de démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR)». Et Gbagbo de leur demander de «restaurer l’autorité de l’Etat» dans les 22 départements du centre, du Nord et de l’Ouest investis par la rébellion. «Votre présence suppose qu’on aura recouvré l’intégralité du territoire national», a-t-il conclu.



par Elio  Comarin

Article publié le 17/07/2003