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Côte d''Ivoire

Les voies de la normalisation

On ne signale plus d’accrochages à l’ouest, plus de raids d’hélicoptères des Fanci (forces armées nationales de Côte d’Ivoire), ni d’attaques de rebelles, bref la Côte d’Ivoire semble retomber sur ses pieds. Mais ce calme pourrait bien n’être qu’apparent.
Depuis le 3 mai dernier, l’accord d’un cessez-le-feu intégral entre les Fanci et les rebelles a marqué une nouvelle étape vers la normalisation en Côte d’Ivoire. Plusieurs réunions de travail impliquant les représentants de Fanci, des Forces nouvelles (rebelles), de la force de paix de la Cedeao et de l’opération Licorne ont permis de faire le bilan des positions occupées par les belligérants et de déterminer les sites de cantonnement des rebelles.

Le 4 mai à Tiébissou, le 27 mai à Bouaké, base arrière de rébellion, les mêmes interlocuteurs se sont retrouvés pour évoquer les modalités de cantonnement des différentes troupes et en projetant une autre rencontre pour le 17 juin. On y parlera forcément de la loi d’amnistie, car «les militaires attendent fermement cette loi pour savoir à quoi s’en tenir. Cette loi sera une acceptation des rebelles. Ils rentreront dans la famille et on pourra rapidement faire la paix», a déclaré le commandant Nestor Djido, porte-parole de la force de paix de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest.

En prenant le décret de la levée du couvre-feu, le président Laurent Gbagbo a aussi déclaré qu’il n’y avait plus «de zones de guerre en Côte d’Ivoire». Cette décision a été prise pour que la mission du Conseil de sécurité des Nations unies, de passage à Abidjan du 15 au 18 mai apprécie les efforts faits pour le retour de la paix. L’ONU a une échelle de cinq niveaux pour juger de l’insécurité, de la précarité ou d’une situation de guerre qui nécessitent des mesures urgentes. Le niveau 5, le plus élevé déclenche la suspension de toutes les actions sous l’égide de l’ONU, des services administratifs aux programmes de développement et passant par l’assistance humanitaire. La Côte d’Ivoire était au niveau 4, et la mission de l’ONU prévoyait une évaluation de la situation pour une éventuelle rétrogradation au niveau 3. Les autorités ivoiriennes en avaient besoin comme d’un signal fort envers les investisseurs et pour la relance de l’économie.

Fort de ces signes positifs, le Premier ministre, Seydou Diarra, s’est rendu à Addis-Abeba le 4 juin, à l’assemblée générale annuelle de la BAD (Banque africaine de développement), pour plaider le retour à Abidjan de la banque, actuellement et provisoirement délocalisée à Tunis. Mais les responsables de cette institution financière, échaudés par le conflit ivoirien, n’envisagent pas un retour au bercail avant 2005, si ce n’est 2006, c’est-à-dire après la période transitoire et les élections générales en Côte d’Ivoire.

Pardon ou désobéissance

Dans le même esprit de normalisation, le ministre des Transports, Anaky Kobenan, fait de la réouverture du trafic ferroviaire entre Abidjan et Ouagadougou, suspendu depuis le début de la crise ivoirienne, le 19 septembre 2002, une des ses priorités. Mais des problèmes de sécurité font repousser de mois en mois l’exploitation de cette ligne. Selon le ministre l’arrêt des activités a entraîné en quelques mois une perte de plus 43 milliards de francs CFA de chiffre d’affaire pour la société d’exploitation, Sitarail. Corrélativement les activités du port d’Abidjan ont chuté de près de moitié alors que plusieurs centaines de milliers de tonnes de marchandises sont en souffrance dans les entrepôts. Le mois dernier plusieurs rencontres entre les états-majors militaires de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso ont conduit à la décision des deux gouvernements de réouvrir la frontière entre les deux pays, dès le 30 juin prochain. Des patrouilles conjointes sont décidées, avec des éléments de la Cedeao, de l’opération Licorne, des Fanci et des forces nouvelles, côté ivoirien.

Malheureusement, tous ces chiffres et la réalité économique proche de la catastrophe, ne modifient pas le jugement des «jeunes patriotes», les ultra-nationalistes proches du pouvoir. Le rétablissement des lignes téléphoniques avec le Burkina Faso et le Mali, le projet de réouverture de la ligne ferroviaire Abidjan-Ouagadougou sont autant de signes révélateurs, pour eux, de la collusion entre «l’étranger et les rebelles». Ils publient divers messages dans lesquels ils menacent de saboter le trafic ferroviaire, si l’ouverture de la ligne se confirmait. Dans la presse nationale de nombreux autres écarts de langage sont à la limite de l’appel à la haine. L’organisation de défense de la liberté de la presse, Reporters sans frontières a demandé aux autorités ivoiriennes, «la mise en place d’un mécanisme de surveillance des médias d’Etat», pour qu’au moins à ce niveau, toutes les sensibilités politiques soient représentées.

Malgré les volontés affichées de dépasser les différents clivages, la réalité impose un autre regard sur la question ivoirienne. Le pays est toujours coupé en deux. Les rebelles devenus «forces nouvelles» ont toujours la haute main sur la moitié nord du pays. Leurs ministres nommés au gouvernement viennent à tour de rôle à Abidjan et n’habitent toujours pas les maisons de fonction qui leur sont affectées. Ils vivent à l’hôtel, avec les membres de leurs cabinets et retournent presque tous en week-end à Bouaké, la base arrière. Ils restent très méfiants malgré l’élaboration d’une loi d’amnistie générale sur la demande du président Gbagbo. «Il faut le pardon pour réunifier tous les Ivoiriens», affirme-t-il.

Mais Mamadou Koulibaly, le président de l’Assemblée nationale n’a pas la même appréciation que le chef de l’État. Il appelle tous les Ivoiriens à la «désobéissance civile» contre tous les ministres issus de la rébellion. Le président de l’Assemblée nationale fait du désarmement des rebelles un préalable à toute discussion. Il a dû apprécier le fait que, le colonel Michel Gueu, ministre des Sports issu du MPCI, ait été hué par le public lors du match Côte d’Ivoire-Burundi comptant pour les qualifications de la coupe d’Afrique des nation de football. Bref, le rapide survol de ces quelques faits montrent bien qu’en Côte d’Ivoire un ravalement de façade est entrepris, mais les travaux d’intérieur sont à peine évoqués, et restent un impressionnant chantier.



par Didier  Samson

Article publié le 12/06/2003