Terrorisme
Les nouveaux soldats d’al-Qaïda
(Photo : AFP)
Les informations relayées jeudi par le Washington Post selon lesquelles al-Qaïda projetterait d’assassiner une personnalité politique de premier plan, de frapper l’économie américaine et de saper la présidentielle de novembre viennent une nouvelle fois contredire George Bush. Le président américain qui n’a cessé ces derniers mois de se féliciter des succès de sa guerre «contre la terreur», affirmant que son administration avait «capturé ou tué» une grande partie des partisans d’Oussama Ben Laden dans le monde, se voit en effet aujourd’hui contraint de sérieusement revoir ses certitudes. Le très sérieux New York Times a ainsi révélé en première page mardi qu’«une nouvelle génération de dirigeants d’al-Qaïda émergeait». Citant deux hauts responsables du renseignement américain, le quotidien affirme que les postes vacants au sein de l'organisation ont été remplis soit par «des membres de rang moins élevé» soit par «des recrues plus récentes».
La conseillère de George Bush pour la lutte antiterroriste, Frances Townsend, l’a d’ailleurs elle-même reconnu même si, selon elle, le niveau des remplaçants des agents d’al-Qaïda tombés ces dernières années n’est peut-être pas aussi élevé que par le passé. Elle a en tout cas mis un terme à l’idée relayée jusque-là par l’administration américaine en reconnaissant que «l’organisation continuait». Plus gênant encore pour le candidat Bush, les services de renseignement ont récemment découvert que le réseau d’Oussama Ben Laden avait «conservé certains éléments de son commandement centralisé et de sa structure de communication».
L’arrestation le mois dernier au Pakistan de Mohamed Naeem Noor Khan, présenté comme un haut responsable d’al-Qaïda, a en effet permis de découvrir que l’organisation terroriste continuait d’envoyer des messages cryptés à des cellules installées en Grande-Bretagne, en Turquie et au Nigeria. Loin d’avoir été anéantie, la nébuleuse se serait au contraire renforcée en étendant sa toile avec le recrutement de nouveaux agents et en maintenant le contact avec ses principales cellules.
Une nouvelle génération difficile à détecterDéjà désorientée par le profil des pirates de l’air du 11 septembre –tous de jeunes diplômés, issus des classes moyennes et parfaitement intégrés dans la société américaine– l’administration Bush est en outre obligée de reconnaître aujourd’hui que les terroristes d’al-Qaïda ne sont pas tous «des cinglés issus d’une autre planète, des diables et des fanatiques religieux». Une étude récente, menée par un professeur d’université de Pennsylvanie, est en effet venue battre en brèche l’idée reçue selon laquelle le kamikaze est un jeune, paumé, pauvre et isolé, issu des banlieues déshéritées du monde arabo-musulman.
Marc Sageman a décortiqué la vie de 382 personnes liées au réseau d’Oussama Ben Laden à la lumière de documents des services de renseignement de plusieurs pays. Il a notamment eu accès à des transcriptions d’interrogatoires, des relevés d’écoutes téléphoniques et des données personnelles sur les suspects transmis par les Etats-Unis, l’Allemagne, le Maroc, l’Egypte et l’Indonésie. Et même s’il juge ces renseignements incomplets, ce psychiatre qui a travaillé sur le terrain pour la CIA, estime cependant qu’ils lui ont permis de dégager plusieurs constantes. Il a ainsi relevé que dans plus de 90% des cas, les personnes dont il a étudié le dossier n’ont pas suivi d’éducation religieuse. Une majorité d’entre elles, 54,9%, est issue des classes moyennes et 17,6% appartiennent à la classe supérieure. Près des deux tiers de ces terroristes présumés ou avérés possèdent en outre au moins un diplôme de l’enseignement secondaire et 42% d’entre eux occupaient un poste intéressant.
A en croire l’étude de Marc Sageman, le militant type d’al-Qaïda serait donc parfaitement intégré dans la société dans laquelle il vit. Souvent marié, voire père de famille, il y mène une vie bourgeoise, ce qui le rend invisible aux yeux des services de renseignement engagés dans la lutte contre le terrorisme. Et à la question de savoir ce qui a bien pu pousser ces personnes apparemment socialement assimilées à se lancer dans le jihad, l’universitaire évoque la nostalgie de leur pays ainsi que le sentiment de solitude et de marginalisation dont ils estiment souffrir dans leur pays d’adoption.
Ce portrait-robot du terroriste d’al-Qaïda a tout pour inquiéter les services secrets des pays occidentaux. Difficile à cerner de par sa structure même de nébuleuse formée de cellules indépendantes obéissant non pas à des ordres mais à une idéologie, l’organisation lancée par Oussama Ben Laden paraît aujourd’hui plus que jamais insaisissable.
par Mounia Daoudi
Article publié le 11/08/2004 Dernière mise à jour le 11/08/2004 à 14:37 TU