Liban
Le grand retour des touristes arabes
(Photo : AFP)
Centre-ville de Beyrouth, Bhamdoun, Aley, autant de lieux qui changent de physionomie et d’habitudes l’espace d’une saison touristique. Cette année, plus que les étés précédents, les rues des principales villes libanaises sont littéralement envahies par des limousines ou des 4x4 immatriculés dans un des pays du Golfe. La nuit, le célèbre centre «historique» fraîchement reconstruit de la capitale grouille d’une foule joyeuse. Les cafés trottoirs sont pleins à craquer d’hommes en disdashas blanches ou de femmes en abayas (longues robes traditionnelles arabes) ne laissant entrevoir que les yeux et plus rarement le nez et la bouche.
Au cœur de la montagne, certaines localités voient leur population quadrupler en juillet et en août. C’est le cas de Bhamdoun et d’Aley, deux villes presque entièrement détruites pendant la longue guerre civile (1975-1990). Aujourd’hui, il ne reste plus aucune séquelle des durs affrontements. Les richissimes princes saoudiens et émirs koweïtiens, émiriens et qatariens, qui y possédaient des résidences avant la guerre ont reconstruit leurs magnifiques villas. De nouveaux venus les ont rejoints. Les hôtels cinq étoiles, les résidences meublées, les immenses centres commerciaux ont poussé comme des champignons. Les grandes boutiques et les célèbres restaurants de Beyrouth ont ouvert des succursales dans les deux villes.
En été, la population de Bhamdoun passe de 25 000 à 100 000 personnes. Plus au nord, à Broumana, au cœur du pays chrétien, ce sont des membres de la famille royale saoudienne qui viennent profiter du doux climat. Parfois accompagnés d’une suite de plusieurs dizaines de personnes, ces princes louent hôtels et appartements à des prix exorbitants. A Beyrouth, tous les hôtels cinq étoiles affichent complets.
Une invasion bien vue
Cette «invasion» fait le bonheur de nombreux Libanais. Commerçants, hôteliers et restaurateurs attendent la venue de ces touristes fortunés qui font rouler la machine économique en y injectant des centaines de millions de dollars. Depuis 2000, l’augmentation du nombre de touristes est régulière. Elle était de 36% jusqu’en 2003 (45% pour les touristes en provenance des pays arabes). L’année dernière, le million de touristes a été dépassé pour la première fois depuis la fin de la guerre. En 2004, avec une augmentation de 50%, la progression est phénoménale. Le pays finira l’année avec 1,5 million de touristes, soit le tiers de sa population. 47% sont Saoudiens, 16% Koweïtiens, 13% Jordaniens, 12% Émiriens et Qatariens.
Cette proportion peut paraître modeste comparé à la France qui accueille autant de touristes qu’elle a d’habitants, ou que Chypre qui reçoit sept fois plus de touristes que le nombre de sa population. Mais c’est sans compter le fait que le Liban attire des touristes «haut de gamme», qui dépensent en moyenne 1 600 dollars par individu et qui contribuent ainsi à améliorer la plupart des indicateurs économiques.
Ces touristes arabes ne sont pas de simples consommateurs, ils sont surtout des investisseurs. Ils achètent souvent des appartements et des terrains. Ainsi en 2003, les acquisitions par des ressortissants des pays du Golfe de biens immobiliers ou fonciers ont fait un bond prodigieux de 127%. D’abord concentrés à Beyrouth et dans la montagne qui surplombe la capitale, ces achats se sont étendus à toutes les régions libanaises, du nord au sud.
En été, le Liban devient presque une autre Arabie. Il entre en symbiose avec les pays du Golfe. La forte pénétration des médias libanais dans les pays arabes crée une relation affective qui dépasse celle de la simple destination touristique. Pour la majorité de ces touristes, le Liban est perçu comme une province de leurs pays.
Ce boom touristique s’explique, bien sûr, par le retour de la paix et de la stabilité et le climat doux. Mais la raison principale reste le 11 septembre: les Arabes ne se sentent plus à l’aise en Occident et le Liban reste le seul pays qui peut leur offrir une partie des sensations qu’ils recherchaient à Paris, Londres ou New York. L’instabilité en Irak et en Arabie Saoudite est aussi un facteur qui joue en faveur du Liban. De plus, l’obstacle de la langue n’existant pas, les touristes arabes s’y sentent presque chez eux.
Malgré cette remarquable progression, le tourisme ne constitue que 9% du PIB contre 22% en 1975. Mais l’apport en argent frais de ces touristes permet à l’économie libanaise, plombée par une dette publique de 35 milliards de dollars, de continuer à fonctionner. Et tout laisse croire que cette tendance à la progression va se poursuivre dans les années à venir.
Mais des Libanais regardent d’un mauvais œil ces «étrangers» qui achètent à tour de bras appartements et terrains. Et des voix s’élèvent pour dénoncer le rationnement du courant électrique dans certaines régions pour alimenter les villes qui accueillent des touristes. Preuve que cette manne salutaire pour le pays ne fait pas que des heureux.
par Paul Khalifeh
Article publié le 19/08/2004 Dernière mise à jour le 19/08/2004 à 09:09 TU