Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

irak

Le retour à hauts risques de l’ONU

Le bâtiment de l'ONU avant l'attentat de 2003. 

		(Photo : RFI/Manu Pochez)
Le bâtiment de l'ONU avant l'attentat de 2003.
(Photo : RFI/Manu Pochez)
Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU, répète que la sécurité constitue le facteur prioritaire qui doit guider le retour des Nations unies en Irak. Or, les nouveaux locaux choisis pour abriter les personnels de l’ONU sont loin de présenter un niveau de sécurité satisfaisant.

De notre envoyé spécial à Bagdad

Les bureaux de l’ONU sont installés à l’intérieur de la « zone verte », et plus précisément dans l’École du Diwan (The Diwan School), qui accueillait les enfants de la nomenklatura du régime de Saddam Hussein. Une note de sécurité interne de l’ONU en date du 17 juillet conclut clairement : « le site ne répond pas aux critères du MOSS (Minimum Operational Security Standard ou Standard minimum opérationnel de sécurité) (1). Il n’existe pas de garantie d’une protection complète contre une attaque ou une action hostile. Le site où se trouve l’École du Diwan a été l’objet de tirs indirects dans le passé ».

Situé en contrebas du pont de la République sur les rives du Tigre, le bâtiment est en effet très vulnérable. Quatre routes passent autour de lui, dont deux ne pourront être interdites à la circulation : l’une d’entre elle mène à la résidence d’Iyad Allaoui, le Premier ministre irakien. « C’est un bâtiment difficile à protéger, confie un responsable de l’ONU qui était présent à l’hôtel Canal lors de l’attentat du 19 août 2003. Les experts sécuritaires américains et européens qualifient même ce choix de dangereux. »

En effet, l’École du Diwan peut être atteint par des tirs de francs-tireurs à partir du pont de la République et de la berge opposée du Tigre. Dans les lieux où travailleront les personnels de l’ONU, aucune protection de la toiture n’a été prévue, notamment du blindage, ou un filet sur la cour intérieure. Pour contrer la vulnérabilité du site, les experts onusiens ont donc décidé d’ériger un mur de 3,8 mètres de haut pour ceinturer les 12 000 m² de terrain de l’École du Diwan.

« Une nouvelle fois, l’ONU s’y prend mal en terme de sécurité. Elle procède par adjudication au moins-disant, elle aura le prix le plus bas, mais pas la meilleure protection. » Cet entrepreneur occidental a été contacté pour soumissionner à l’appel d’offres des Nations unies pour la construction du mur.

Il critique la lourdeur administrative des procédures onusiennes, dans un domaine pourtant urgent et crucial : « les travaux du mur vont durer 50 jours, auxquels il faut ajouter une semaine pour examiner les offres des sociétés, ce qui signifie que l’édifice ne sera pas prêt avant deux mois ! Des terroristes auront donc largement le temps de frapper. Il aurait mieux valu sélectionner deux ou trois entreprises sérieuses ayant déjà fait leurs preuves et connues dans la  ‘zone verte’, mais évidemment, cela aurait coûté un peu plus cher ».

Bref, malgré le drame de l’hôtel Canal, l’ONU semble répéter les mêmes erreurs. Certes, l’organisation n’a décidé d’envoyer à Bagdad qu’une équipe réduite de 32 expatriés dirigée par le Pakistanais Ashraf Qazi. Mais là encore, sur le plan sécuritaire, le dispositif prévu par l’ONU présente des failles. Lors d’une réunion de l’organisation du 22 juillet sur les conditions d’un retour en Irak, il a été prévu « que la première vague d’expatriés logerait à l’hôtel Rachid. »

Mission impossible ?

Vidé de ses occupants, l’établissement fait régulièrement l’objet de tirs. Paul Wolfowitz, secrétaire-adjoint à la Défense, a lui-même expérimenté la dangerosité des lieux : à l’automne dernier, il avait réchappé à un tir de roquette alors qu’il se séjournait à l’hôtel Rachid. « L’ONU est apparemment prête à faire prendre à ses personnels les mêmes risques qu’en août 2003 », lâche désabusé notre interlocuteur onusien.

Pour lui, l’organisation n’a pas encore intégré les changements du type de violence auquel ses personnels sont désormais confrontés : « la culture sécuritaire de l’ONU s’est construite pendant des années autour des opérations de maintien de la paix. Le dispositif sécuritaire s’est traditionnellement mis en place dans le cadre de déploiements de casques bleus et d’opérations militaires. Il faut sortir de cette logique qui n’est plus du tout adaptée aux situation de guérilla urbaine et de terrorisme, comme à Bagdad ».

Bref, l’ONU ne revient pas en Irak dans les meilleures conditions sécuritaires. Outre la situation problématique des locaux de l’organisation, se pose aussi la question des déplacements sur le terrain de ses expatriés. Or, le mandat de la communauté internationale est ambitieux : l’ONU doit non seulement participer à la reconstruction du pays au travers ses différentes agences, mais aussi préparer les élections générales qui théoriquement doivent se tenir avant le 31 janvier 2005. Avec 32 expatriés, l’organisation pourra-t-elle vraiment remplir sa mission ?

Aujourd’hui, après la fin du prêt d’un avion du gouvernement hollandais, l’ONU n’a plus de moyens de logistiques aériens pour ses rotations de personnels entre Amman et Bagdad. Elle considère que les vols commerciaux à partir de la capitale jordanienne ne sont pas assez sécurisés. « A court terme, l’ONU va dépendre de la logistique aérienne américaine, » assure notre interlocuteur onusien. Pour l’anecdote, le roi Abdallah II a proposé de mettre à la disposition d’Asraf Qazi et de ses collaborateurs, l’un de ses avions équipés de systèmes de contre-mesures et de leurres.

(1) Ce MOSS a été établi après l’attentat de l’hôtel Hotel. Dans le cas de l’Irak, il a même été relevé en EMOSS (Enhanced Minimum Operational Security Standard), avec des mesures encore plus strictes.



par Christian  Chesnot

Article publié le 19/08/2004 Dernière mise à jour le 19/08/2004 à 12:49 TU