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Présidentielle libanaise

Le jeu de la Syrie condamné à l’ONU

Emile Lahoud a annoncé la semaine dernière qu'il était candidat à sa propre succession, en violation totale de la constitution. 

		(Photo : AFP)
Emile Lahoud a annoncé la semaine dernière qu'il était candidat à sa propre succession, en violation totale de la constitution.
(Photo : AFP)
La menace d’une résolution réclamant de la Syrie qu’elle cesse d’intervenir dans la vie politique libanaise pendait depuis plusieurs semaines au nez de Damas. Les Etats-Unis mais aussi la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne avaient en effet à de nombreuses reprises mis en garde les autorités syriennes contre le maintien à la tête de l’Etat libanais du président Emile Lahoud, allié inconditionnel de Damas, en violation de la constitution de ce pays. Le projet de résolution, soumis au vote jeudi soir, a été adopté par neuf voix sur quinze, soit le minimum requis pour qu’un texte soit voté par le Conseil. Il constitue un camouflet pour Damas même si la Syrie n’est pas directement citée dans le document qui ne prévoit pas en outre de sanctions internationales contre le régime de Bachar al-Assad. Ce vote intervient par ailleurs au moment où la Syrie se trouve dans le collimateur d’Israël qui l’accuse d’être impliquée dans le double attentat suicide qui a fait mardi dix-huit morts à Beersheva dans le sud du pays.

Le cas est à ce point rare qu’il mérite d’être signalé. La France, aux côtés des Etats-Unis, bataille pour faire passer aux Nations unies le projet de résolution qui exige de la Syrie qu’elle respecte la souveraineté et l’indépendance du Liban. A l’origine de ce texte, qui doit être soumis au vote dans la soirée au Conseil de sécurité, les manœuvres des alliés libanais de Damas pour maintenir à la tête de l’Etat Emile Lahoud, homme lige du régime syrien. Alors que la constitution libanaise limite à un mandat de six ans la présidence de la République, les Syriens ont fait pression pour obtenir un amendement qui prolonge de trois années la charge de leur protégé. Fort de leur soutien, ce dernier a commencé par annoncer la semaine dernière qu’il était candidat à sa propre succession en violation totale de la constitution. Son gouvernement s’est ensuite réuni sans préavis pour adopter en un temps record –vingt minutes– un amendement de l’article 49 de la loi fondamentale qui lui interdit de briguer deux mandats consécutifs. Cet amendement devrait être voté sans trop de difficulté vendredi par le parlement libanais.

Ce n’est pas la première fois que Damas intervient directement dans le déroulement de la présidentielle libanaise puisqu’en moins de dix ans, la constitution a été amendée à trois reprises sur injonction syrienne pour qu’accède à la tête de l’Etat libanais un homme choisi par le puissant voisin syrien. En 1995, une modification du fameux article 49 avait ainsi permis une prolongation du mandat du président Elias Hraoui. Trois ans plus tard, Damas obtenait un nouvel amendement de la loi fondamentale qui interdisait jusque-là au commandant en chef de l’armée libanaise –poste qu’occupait à l’époque Emile Lahoud– de se présenter à la magistrature suprême. Aujourd’hui, elle intervient de nouveau pour le maintenir à la tête du pays et ce malgré l’opposition déclarée de la société, chrétiens et musulmans confondus.

Une fois encore, les autorités libanaises ont avancé des circonstances exceptionnelles pour justifier ce «bricolage» constitutionnel. Le président sortant a ainsi évoqué «la situation exceptionnelle et délicate» qui prévaut dans la région. Son Premier ministre Rafic Hariri, qui s’était pourtant publiquement opposé à sa reconduction affirmant préférer «se suicider politiquement» que de se plier aux desiderata syriens, est lui aussi rentré dans le rang. Une convocation à Damas et une rencontre avec le chef du renseignement syrien au Liban auront achevé de vaincre ses réticences. Il a lui aussi évoqué une situation «nécessitant des mesures exceptionnelles».

Une résolution qui ne fait pas l’unanimité  

Ces arguments avancés par l’exécutif libanais sont toutefois loin d’avoir convaincu la France et les Etats-Unis, les deux pays les plus en pointe pour dénoncer les manipulations syriennes de la vie politique du pays du Cèdre. Et même si la Maison Blanche –contrairement à Paris– n’a jamais par le passé fait de l’indépendance et de la souveraineté du Liban une priorité de sa politique régionale, elle semble aujourd’hui déterminée à multiplier les pressions pour obtenir de Damas un retrait des quelque 20 000 soldats qu’elle maintient au Liban depuis 1976. Après avoir renforcé il y a quelques mois ses sanctions économiques contre le régime du président Bachar al-Assad, accusé de soutenir le terrorisme international, Washington fait aujourd’hui pression pour que Damas soit condamné par le conseil de sécurité dans le dossier libanais.

Le texte de la résolution présentée par les Etats-Unis et la France souligne ainsi que l'élection présidentielle devant se dérouler prochainement au Liban doit être «libre et équitable, selon les règles constitutionnelles libanaises établies, sans interférence étrangère». Il réitère également l'appel du Conseil de sécurité à «un strict respect de la souveraineté, de l'intégrité territoriale, de l'unité et de l'indépendance politique du Liban». Alors que dans sa version initiale, elle «exigeait que les forces syriennes se retirent du Liban sans délai», la résolution votée omet la mention explicite de la Syrie et se contente d’«exiger que toutes forces étrangères restantes se retirent du Liban». Elle appelle enfin «au démantèlement et au désarmement de toutes les milices libanaises et non-libanaises» dans ce pays.

Comme il fallait s’y attendre, le gouvernement libanais a rejeté vendredi la résolution du Conseil de sécurité de l'Onu appelant au respect de la souveraineté du Liban et le retrait de toutes les troupes étrangères de son sol. «Le Liban n'acceptera aucun projet qui ignore le problème principal : l'occupation israélienne», a affirmé dans un communiqué le ministre libanais des Affaires étrangères, Jean Obeid, qualifiant la résolution de l'Onu d' «ingérence» dans les affaires intérieures du Liban. «Cette résolution est déplacée car elle transgresse les principes de non-ingérence dans les affaires intérieures» des pays membres de l'Onu, a-t-il ajouté.

Le texte voté au Conseil de sécurité a recueilli neuf voix sur quinze, soit le minimum requis pour qu’une résolution soit adoptée. Les six Etats qui se sont abstenus sont l’Algérie, le Brésil, la Chine, le Pakistan, les Philippines et la Russie.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 02/09/2004 Dernière mise à jour le 03/09/2004 à 10:33 TU

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Rafic Madayan

Membre du comité exécutif du mouvement du renouveau démocratique libanais

«Je ne crois pas que l'administration américaine pourraît accepter un embrasement du conflit militaire dans la région. »

[03/09/2004]

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